Aides publiques - Les collectivités dépensent au moins 6 milliards pour les entreprises
D'après un rapport réalisé par trois inspections - finances, administration et affaires sociales - à la demande du Premier ministre dans le cadre des "audits de modernisation" de l'Etat, les aides publiques que la France verse aux entreprises sont très supérieures aux 10 milliards d'euros répertoriés par la Commission européenne. Elles ont atteint 65 milliards d'euros en 2005, soit 4% du PIB de la France. En tout cas si l'on inclut dans le champ des aides publiques, comme le fait ce rapport discrètement mis en ligne ce 25 janvier suite aux premières informations données par la presse, les allègements de charges et certaines aides fiscales nationales. Cette somme représente un peu plus que le total du budget de l'Education nationale et près de deux fois le budget de la Défense.
Ces aides sont débloquées, parfois au coup par coup, en fonction des politiques publiques décidées par une multitude d'acteurs : l'Etat, les différents niveaux de collectivités, les établissements publics... L'Etat est toutefois largement le plus gros contributeur de ces aides : il en fournit près de 90%. Une contribution finalement "mal connue", "alors que l'opinion commune "surévalue la part des collectivités territoriales", notent d'ailleurs les rapporteurs.
Une offre pléthorique, des redondances et des contradictions...
Les fonds européens représentent quant à eux 335 millions d'euros. Et les collectivités territoriales ont dépensé 6 milliards d'euros au titre de l'action économique en 2004, soit 4% de leurs dépenses totales, pas moins de 112 euros par habitant en moyenne, avec une fourchette de 65 à 314 euros. Le pourcentage s'élève à 12,2% pour les régions, soit 39 euros par habitant. En notant toutefois qu'"action économique" ne signifie pas forcément "aide économique"... mais qu'a contrario, le chiffre de 6 milliards exclut toute une série d'aides pourtant accordées par les collectivités, dont les aides en nature et les aides fiscales. "Le total de 6 milliards ne constitue qu'une première approximation, en réalité sous-estimée", en concluent les inspecteurs.
L'offre en matière d'aides publiques est pléthorique : il existe 6.000 dispositifs différents, dont 22 européens et 73 nationaux. La région Ile-de-France, par exemple, totalise à elle seule 650 dispositifs d'aides pour l'ensemble de ses collectivités. Au-delà de cette profusion d'offres, les auteurs du rapport soulignent la complexité des mécanismes d'aides, qui se traduit par un empilement de mécanismes voisins ou aux objectifs quasiment identiques. Conséquences : de nombreuses redondances, voire de franches contradictions entre ces mécanismes, et parfois l'inadaptation de certaines aides aux besoins réels des bénéficiaires. "La sédimentation des aides publiques aux entreprises atteint un niveau tel que, pour une décision donnée, des dizaines dispositifs se trouvent en concurrence pour le même objet", insiste le rapport, qui compte par exemple "au moins 42 dispositifs à ce jour d'allègements spécifiques de charges sociales pour les aides au recrutement".
Plus grave encore, la profusion des dispositifs d'aides rend très difficile le pilotage et l'évaluation de cette politique publique. Un exemple : il existe 120 dispositifs différents d'aides à la création d'entreprise, mais seulement 10% des entreprises en bénéficient.
Concurrence entre collectivités
Face à cette situation, les auteurs du rapport préconisent de procéder à un suivi et une évaluation générale des 6.000 régimes existants. Car si les sources d'information ne manquent pas, elles s'avèrent difficiles à exploiter. Ainsi, "il n'existe pas de système d'information permettant aujourd'hui de consolider [les données] par région". Si une circulaire de juillet dernier prévoit le recensement par les conseils régionaux des aides territoriales aux entreprises, les auteurs estime que ce recensement "servira difficilement de base à une connaissance fine des aides versées par les collectivités territoriales", entre autres parce que les collectivités infrarégionales "n'ont pas forcément intérêt à révéler l'ensemble de leurs interventions"...
De même, il n'existerait "aucune information permettant d'évaluer une éventuelle forme de concurrence fiscale entre les régions et les collectivités locales, là où pourtant les aides publiques aux entreprises jouent nécessairement comme levier de concurrence entre les espaces territoriaux".
Les inspecteurs conseillent finalement au Premier ministre d'établir une véritable politique nationale en la matière, de supprimer certaines aides et de regrouper celles qui ont la même finalité. Enfin, ils proposent de créer au sein du Conseil d'orientation des finances publiques un comité permanent pour réguler et évaluer ces aides publiques. Objectif : économiser 4 milliards d'euros en un an. La question sera peut-être d'ailleurs à l'ordre du jour de la prochaine Conférence nationale des finances publiques prévue le 12 février prochain.
Emilie Zapalski