Economie - Pour une remise à plat des aides publiques aux entreprises
Dominique de Villepin a annoncé lundi qu'une mission sera lancée prochainement pour "recenser avant le 1er septembre les différentes aides publiques aux entreprises existantes, y compris celles attribuées par les collectivités locales".
"Une commission sera mise en place auprès du Conseil d'orientation pour l'emploi (COE) pour évaluer les dispositifs existants et formaliser des propositions sur la mise en cohérence et la simplification des systèmes d'aides", a précisé le Premier ministre après avoir reçu le président du COE, Raymond Soubie, qui lui remettait le 20 février son rapport sur ces aides publiques aux entreprises. Cette commission devra également plancher sur "les contreparties en matière d'emploi et les modalités d'évaluation" des aides.
Rendu public le 8 février, le rapport du COE préconise de durcir les conditions d'attribution des aides publiques et allègements accordés aux entreprises. Il reste en revanche prudent sur la question du remboursement de ces aides en cas de délocalisation, estimant qu'il "n'existe aujourd'hui aucune donnée statistique permettant d'apprécier l'ampleur" et la réalité des "comportements déloyaux" des entreprises qui délocalisent.
Ce rapport avait été commandé par Dominique de Villepin en décembre dernier, peu de temps après l'annonce de la suppression par l'américain Hewlett-Packard de 1.240 emplois en France.
Quand les collectivités posent leurs conditions
Pour le COE, la "conditionnalité" des aides publiques recouvre deux notions : les critères d'éligibilité (les conditions qu'une entreprise doit remplir préalablement à l'obtention d'une aide) et "l'exécution d'obligations" (les contreparties dont l'aide peut être assortie). Il constate au préalable que cette conditionnalité en matière d'emploi "est déjà largement pratiquée" en France, notamment par les collectivités territoriales. Elle est même plus fréquente du côté des aides locales que des régimes d'aides généraux.
Les conditions fixées par les collectivités doivent toutefois se situer dans les limites de leurs champs de compétences (création, maintien des emplois pendant une certaine durée...). De surcroît, dans la pratique, peu de collectivités "subordonnent de manière explicite l'octroi d'aides publiques au maintien de l'emploi", se contentant le plus souvent d'en faire "un élément d'appréciation parmi d'autres", nuance le COE.
Le rapport s'attarde sur "l'une des exceptions notoires connues à ce jour" : la charte d'engagements réciproques des entreprises sollicitant ou bénéficiant d'une aide de la région Poitou-Charentes, mise en place en 2004 et aujourd'hui signée par 215 entreprises. Cette charte conditionne tout contrat, arrêté ou convention prévoyant l'attribution d'une aide et exige le maintien des emplois. D'autres régions, comme Midi-Pyrénées, semblent s'engager dans des démarches proches, se réjouit le COE.
Quelques initiatives régionales intéressantes
"Les collectivités territoriales sont fondées à mettre en oeuvre certaines procédures de contrôles et à exiger le remboursement des aides même si celui-ci peut s'avérer difficile à obtenir effectivement", note le rapport. Même en l'absence de texte, la jurisprudence a d'ailleurs reconnu la nécessité pour les collectivités d'imposer des contreparties, notamment en termes de créations d?emplois.
Encore faut-il que les collectivités disposent d'outils de contrôle? Or on sait que les commissions régionales des aides publiques aux entreprises (Crape) prévues par la loi du 4 janvier 2001 n'ont jamais réellement fonctionné et ont finalement été abrogées fin 2002. Plus récemment, certains conseils régionaux ont souhaité créer leurs propres commissions de contrôle et d'évaluation. Le COE se refuse toutefois à se prononcer sur leur efficacité. Enfin, avec la loi relative aux libertés et responsabilités locales, le conseil régional doit désormais, en tant que coordonnateur du développement économique, établir "un rapport relatif aux aides et régimes d?aides mis en oeuvre sur son territoire par les collectivités territoriales et leurs groupements". Les premiers rapports sont attendus pour juin 2006. Le COE espère que leur exploitation conduira enfin à "une meilleure évaluation de l'efficacité en termes d'emploi des aides des collectivités locales aux entreprises".
Qu'il s'agisse d'aides émanant de l'Etat, des établissements publics, des collectivités ou des fonds européens? le premier obstacle demeure l'absence de toute vision exhaustive de ces aides publiques.
Exemple à suivre
Parmi les recensements partiels, celui de l'Observatoire des aides aux petites entreprises, par exemple, a listé plus de 2.550 dispositifs ! Le COE parle donc de "cloisonnement des guichets" et de "multiplication des dispositifs au fil du temps" et plaide pour leur "mise en cohérence" : "L'objectif serait d'accroître la lisibilité et l'efficacité des aides en limitant leur nombre et celui des guichets. La refonte complète des aides aux entreprises permettrait à la fois de supprimer les doublons, l'effet de saupoudrage et les dispositifs contradictoires, tout en dégageant des ressources pour une meilleure allocation de l'argent public", martèle le rapport. Sans cette mise à plat, il serait vain et prématuré, estime le COE, d'imaginer imposer de nouvelles contreparties aux entreprises bénéficiaires.
Se penchant, à la demande du Premier ministre, sur la question plus spécifique des exonérations de charges, le COE se montre prudent. Il explore plusieurs scénarios qui permettraient de répondre aux principales critiques formulées à l'encontre des politiques actuelles d'allègements de cotisations sociales patronales. Faudrait-il soumettre ces exonérations à des conditions sur la variation de l'emploi, l'absence de délocalisation, la part du travail non-qualifié ou le degré d'exposition à la concurrence internationale ? "Dans les faits, aucun de ces critères ne paraît praticable", assure le COE.
Globalement, les préconisations du rapport sont très mesurées. On lit ainsi en conclusion : "Pour éviter les comportements opportunistes d'entreprises bénéficiaires d'aides ciblées destinées à faciliter leur implantation ou leur maintien sur le territoire, il est proposé de subordonner systématiquement le bénéfice de telles aides à la signature d'une convention précisant les engagements de l'entreprise (investissements attendus, emplois créés ou maintenus...)", autrement dit, de s'inspirer de ce que certaines collectivités pratiquent déjà?
C. Mallet