Environnement - Efficacité énergétique : 120 mesures sur la table
Après quatre mois de concertation et plus de 200 contributions, les présidents des groupes de travail de la table ronde sur l'efficacité énergétique lancée le 31 mai dernier ont remis leurs rapports le 10 novembre à la ministre de l'Ecologie. Au final, les trois groupes de travail consacrés aux ménages, aux entreprises et aux pouvoirs publics ont retenu près de 120 mesures d'économie d'énergie qui sont soumises à consultation publique jusqu'au 30 novembre prochain. "Aujourd'hui, chaque ménage consacre en moyenne 2.900 euros par an pour ses dépenses énergétiques et 3,8 millions de foyers sont en situation de précarité énergétique. Dans le même temps, le budget énergie des collectivités a augmenté d'environ 22% entre 2005 et 2010, pour atteindre 2,2 milliards d'euros. Il est plus que jamais nécessaire d'accélérer la transition vers une société plus sobre en énergie", a souligné le ministère de l'Ecologie dans un communiqué.
Du côté des ménages, le groupe de travail présidé par Michèle Pappalardo, ancienne commissaire générale au développement durable et ancienne présidente de l'Ademe, a retenu une quarantaine de propositions dont une quinzaine de mesures phares touchant pour l'essentiel à l'habitat. Il appelle ainsi à soutenir la rénovation énergétique des logements "en confortant et en coordonnant les deux piliers de l'aide publique" que sont le crédit d'impôt développement durable et l'éco-PTZ. Pour rendre les deux dispositifs plus efficaces, le rapport préconise "une progressivité de ces aides en fonction de l'importance des travaux réalisés, un cumul possible des dispositifs ainsi qu'un réalignement des critères techniques des deux aides". Il préconise également un éco-prêt à taux zéro spécifique pour faciliter la rénovation énergétique des copropriétés et la prolongation de l'éco-prêt logement social dont l'enveloppe a été entièrement consommée. Autre suggestion : "Eliminer les frottements fiscaux pour les opérations de rénovation thermique financées par des tiers investisseurs dans des immeubles collectifs." Cette mesure, qui vise tout particulièrement les contrats de performance énergétique (CPE), consiste en clair à aligner les aides publiques pour des opérations financées par des tiers investisseurs dans des logements collectifs sur celles dont peuvent bénéficier les ménages investissant en direct dans des logements individuels. Le rapport invite aussi à fiabiliser le diagnostic de performance énergétique.
Lutte contre la précarité énergétique : les propriétaires-bailleurs visés
De nouvelles mesures sont également proposées pour lutter contre la précarité énergétique en mobilisant d'abord plus de moyens pour le repérage des ménages qui en sont victimes et pour l'ingénierie d'accompagnement des travaux. Pour limiter la possibilité de louer des logements trop énergivores, le rapport préconise d'intégrer des critères énergétiques dans les textes sur la décence et la salubrité "afin d'inciter les propriétaires bailleurs, attentistes ou négligents quant à la gestion de leur patrimoine, à réaliser une mise à niveau des logements qu'ils louent". Il appelle aussi à généraliser les tarifs sociaux pour l'énergie - qui ne concernent aujourd'hui que le gaz et l'électricité - et à faciliter leur attribution par le versement de chèques énergie (distribués par exemple par les caisses d'allocations familiales).
Toujours au chapitre habitat, le groupe de travail préconise de lancer une étude sur la possibilité de créer une obligation de travaux de rénovation énergétique pour les bâtiments résidentiels et sur les mesures incitatives fiscales qui pourraient l'anticiper telles qu'un bonus-malus sur les droits de mutations ou sur les taxes foncières. Il faudrait aussi selon lui lancer une expérimentation sur les modalités d'information sur le lieu de vie des ménages, pour accompagner le déploiement des compteurs communicants à grande échelle.
Concernant la mobilité des ménages, le groupe de travail préconise de "sévériser"le malus annuel pour les automobiles dans l'optique de "dégager des moyens pour financer des opérations ciblées de soutien au développement de modes de transports moins consommateurs d'énergie". Enfin, pour faciliter l'accès de tous à l'information sur les économies d'énergie, il préconise la mise en place d'un portail internet qui centraliserait toutes les données en la matière. Ce site pourrait s'appuyer sur le site de l'Ademe www.ecocitoyen.ademe.fr et s'adresser également aux entreprises et aux collectivités territoriales.
Des réseaux territoriaux d'acheteurs publics responsables
Les collectivités sont tout particulièrement ciblées par le rapport du groupe du travail "Pouvoirs publics" présidé par le sénateur UMP Albéric de Montgolfier. Parmi la quinzaine de mesures phares à retenir, plusieurs ont trait à la commande publique. Il s'agirait d'abord de fixer pour l'Etat, "de manière progressive et planifiée, des obligations sectorielles (de méthode, d'achats ou de seuils de performance) pour des familles d'achats à enjeux énergétiques" et d'inciter les collectivités à l'utilisation des standards qui auraient ainsi été définis. Autre proposition : "couvrir la France de réseaux territoriaux d'acheteurs publics responsables" en consolidant ceux qui existent déjà et en soutenant la création de nouveaux réseaux. Le groupe de travail voudrait aussi accélérer le déploiement de la garantie de performances énergétiques auprès des pouvoirs publics. Dans cette optique, il appelle à lancer "un plan d'exemplarité" avec un nombre significatif de contrats de performance énergétique (CPE) sur le patrimoine de l'Etat et des collectivités territoriales et à accompagner celles-ci dans leurs démarches en lien avec un CPE (appui technico-juridique, aides à la décision, centre de ressource).
Rénovation de l'éclairage public et de celui des bâtiments
Sur le plan financier, le groupe de travail estime nécessaire d'apporter aux collectivités un appui du type "aide à la décision" pour qu'elles puissent se doter de capacités d'ingénierie financière. Elles pourraient ainsi utiliser le dispositif européen Elena et recourir au relais de l'Assistance technique financière (ATF), suggère-t-il. Autres mesures préconisées : ouvrir la part centralisée à la Caisse des Dépôts du livret Développement durable à des prêts finançant des projets "efficacité énergétique" des collectivités territoriales et faciliter l'implication des investisseurs dans les CPE à travers des montages en "tiers financement". En matière d'équipement, le groupe de travail propose d'abord d'encourager les communes de moins de 10.000 habitants à rénover leur éclairage public grâce à une aide de 30% sous forme d'avances remboursables permettant d'alimenter un fonds "revolving" en complément à une subvention éventuelle de 30% apportée par les conseils généraux ou par les syndicats d'énergie. Le dispositif permettrait de faire baisser le temps de retour sur investissement. Le rapport préconise d'amorcer le fonds avec une somme de 85 millions d'euros étalée sur 3 ans. "20 millions d'euros de subventions pourraient compléter ce dispositif pour déclencher des travaux dans un nombre plus limité de communes mais avec un objectif plus ambitieux (facteur 4)", avance-t-il.
Une autre mesure cible, la rénovation de l'éclairage intérieur des bâtiments publics (espaces de bureaux, établissements de santé, d'enseignement, lieux d'accueil, etc.) pour réduire leurs consommations d'énergie. Il s'agit de porter le taux de rénovation de 3% par an actuellement à 8%, grâce à la prescription de matériels performants. "Une aide au financement permettrait d'initier des travaux à grande échelle de rénovation du parc. Cette aide pourrait prendre plusieurs formes : aide à l'investissement sous forme d'avances remboursables et permettant d'alimenter un fonds 'revolving' du même type que celui prévu pour l'éclairage extérieur, éco-prêt à taux zéro élargi au secteur non résidentiel et aux petites collectivités locales, prêt bonifié", précise le rapport. Celui-ci préconise également de "faire évoluer la législation pour mieux prendre en compte l'efficacité énergétique dans les contrats de délégation de service public de distribution des énergies de réseaux" et ce, "sans nuire aux investissements nécessaires à l'équilibre du réseau et à la qualité du courant". Pour réduire les pertes dans les réseaux d'électricité ruraux, le groupe de travail appelle aussi à accélérer le remplacement des fils nus en faible section par des câbles de plus forte section. Les travaux pourraient être financés en dotant de 30 millions d'euros supplémentaires par an le Fonds d'amortissement des charges d'électrification rurale (Face).
Favoriser des lignes nationales d'autocars
Plusieurs mesures visent aussi les transports. Le groupe de travail souhaite ainsi "favoriser la mise en place de transports collectifs routiers de moyenne et longue distance de manière complémentaire à l'offre de services ferroviaires". "La proposition consiste à organiser, dans un premier temps, un appel à projets aboutissant au conventionnement, aux risques et périls de transporteurs, de quelques lignes nationales, par exemple, Caen – Bordeaux, Bordeaux – Lyon et Clermont-Ferrand – Montpellier, où la desserte ferroviaire n'est pas appropriée", estime-t-il. Un autre "appel à projets très ouvert, adressé aux services de l'Etat, collectivités, autorités organisatrices de transport et partenaires privés" pourrait être organisé "sur les modalités innovantes d'exploitation des voies rapides urbaines et le développement des transports partagés", avance encore le rapport qui voudrait également "favoriser les engagements volontaires des collectivités en matière d'éco-mobilité". La proposition consiste à mettre en place une charte pour les collectivités locales afin qu'elles s'engagent à mettre en oeuvre des actions visant à réduire les émissions de CO2 liées aux transports de marchandises et de voyageurs sur leur territoire, à l'instar de la "Charte d'engagements volontaires de réduction des émissions de CO2" impliquant aujourd'hui plus de 400 entreprises de transport routier et de voyageurs qui se sont engagées sur trois ans dans un plan d'actions visant à diminuer leur consommation de carburant.
Enfin, au chapitre animation locale et planification stratégique, le groupe de travail recommande de créer un réseau d'observatoires régionaux de l'énergie et du climat pour "animer, harmoniser les méthodes, développer l'expertise, créer des effets d'échelle et valoriser les travaux" alors que vont bientôt être mis en place des schémas régionaux Climat Air Energie et des plans Climat Energie territoriaux. Il propose aussi de renforcer les espaces info énergie (EIE), relais d'information des collectivités vers le grand public pour tout ce qui touche aux économies d'énergie, ainsi que le dispositif de conseil en énergie partagé pour les petites communes.
Quant au groupe de travail sur les entreprises, présidé par Pierre-François Mourier, directeur général adjoint du Centre d'analyse stratégique (CAS), il a notamment proposé de "mettre en place des projets pilotes de CPE représentatifs des projets d'efficacité énergétique dans l'industrie et le tertiaire privé" et de "lancer un plan d'expérimentation du CPE sur le patrimoine de l'Etat" en y associant un comité stratégique, d'"augmenter l'objectif de la deuxième période des CEE (certificats d'économie d'énergie)" ou de "fixer suffisamment en amont celui de la troisième période" , de "créer un tarif de rachat de l'électricité produite à partir de chaleur fatale, pour les installations ayant optimisé la production et l'usage éventuel de cette chaleur" et de " fixer une obligation réglementaire d'extinction la nuit des enseignes lumineuses".
"Ces propositions ainsi que les contributions de la consultation publique viendront alimenter le plan national d'actions pour l'efficacité énergétique qui sera présenté par la ministre en décembre avec des premières mesures opérationnelles dès début 2012", a précisé le ministère de l'Ecologie.