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Aménagement numérique - Une année décisive pour le très haut débit

Année de démarrage, année de transition, année peut-être décisive... Le plan national Très Haut Débit entré dans sa phase opérationnelle continue à mobiliser énergie et passion. L'adoption de la proposition de loi Maurey-Leroy au Sénat en février, les premières demandes de financement de réseaux d'initiative publique, une industrie qui s'interroge sur son avenir, des opérateurs prudents dans leurs investissements... puis le changement d'équipe gouvernementale et l'annonce de nouvelles hypothèses de travail témoignent d'une activité intense, émaillée de rebondissements. L'enjeu étant de couvrir le territoire en fibre optique dans un intervalle de temps réduit.

Malgré la vive opposition du précédent gouvernement, le Sénat adoptait en première lecture, le 15 février, la proposition de loi Maurey-Leroy visant à assurer l'aménagement numérique du territoire et à "rééquilibrer les relations entre les collectivités locales et les opérateurs". Porté par des élus de la majorité et voté par l'opposition, ce temps fort de début d'année était révélateur du mécontentement croissant des élus locaux. Il confirmait la place centrale tenue par le très haut débit dans les stratégies de développement économique territoriales ; la volonté, aussi, des élus de peser sur la géographie, sur le rythme et la densité des réseaux à déployer ; le besoin, enfin, d'instituer des mécanismes de péréquation puissants afin de réduire les inégalités générées par la fracture numérique entre les territoires.

Mutliplication des projets de réseaux d'initiative publique

L'appétence des acteurs publics locaux s'est confirmée avec le lancement des permiers réseaux d'initiative publique (RIP) éligibles aux aides du fonds de solidarité numérique (FSN). En juillet, plus de 16 collectivités et établissements publics avaient déposé un dossier, l'ensemble des demandes couvrant 23 départements français, soit près d'un quart du territoire. Les feuilles de route des porteurs de projets sont représentatives de la disparité des moyens et des rythmes de déploiement : les territoires plus riches donnant priorité au développement de la fibre jusqu'à l'abonné (Yvelines, Hauts-de-Seine, Manche) et les plus pauvres se contentant de programmes plus modestes, associés à des actions de montée en débit pour améliorer l'ordinaire des zones mal desservies. La volonté de maîtriser le développement de la fibre se retrouve aussi dans les choix de déploiement. Elle a conduit certains départements à assurer eux-mêmes la maîtrise d'ouvrage des chantiers, soit par réalisation directe (choix en partie retenu par le conseil général de la Haute-Marne), soit à travers la passation de marchés de conception-réalisation (Manche et Yvelines).

Un modèle de déploiement fragilisé par les opérateurs

Mais la mise en ordre de marche des territoires ne suffit pas. En donnant la priorité à l'investissement privé et au levier de la concurrence entre opérateurs, le modèle français se trouve fragilisé si les principaux acteurs ne jouent pas le jeu. Or, jusqu'à présent, les volumes de déploiement de la fibre sont restés assez faibles : la réalisation des réseaux FTTH (fibre jusqu'à l'abonné) représente en vitesse de croisière 500.000 logements raccordables, soit six fois moins que le nécessaire pour atteindre les objectifs de couverture et de délais. Le rythme aurait même faibli au cours des trois derniers trimestres, passant, selon l'Avicca, de 140.000 prises raccordables à 105.000. De quoi inquiéter la filière industrielle et les collectivités territoriales. Si le ralentissement économique et les élections expliquent en partie cette baisse, deux autres facteurs sont également à prendre en compte : d'une part, la rente dont bénéficient les opérateurs de réseau sur la boucle locale en cuivre ne les incite pas a investir dans la fibre, d'autre part, les usagers qui, dans les zones urbaines, bénéficient du "quadruple play" (internet, téléphone fixe, mobile et TVHD) ne se pressent pas au portillon pour passer du cuivre à la fibre. L'Arcep a fait l'objet de critiques sur cette faiblesse persistante des investissements ainsi que sur "le retard français" par rapport aux principaux pays développés. Jean-Ludovic Silicani, président de l'Arcep, s'en est défendu. Lors des Assises du très haut débit organisées au début du mois de juillet, il a bien reconnu un retard sur le Japon, la Corée et les Etats-Unis, mais pas sur les autres pays européens. La France se situerait même au premier rang pour son taux de logements raccordables au FTTH : "Le retard ne porterait pas sur le pourcentage de foyers éligibles au très haut débit […] mais sur celui des abonnements effectifs. 10% seulement environ des foyers éligibles s'abonnent. On connaît la raison : la très bonne qualité de l'ADSL et la faible promotion des offres très haut débit par les opérateurs jusqu'en 2011."

La 4G et le VDSL 2 sur la ligne de départ

Pour atteindre les objectifs ambitieux de couverture nationale, d'autres technologies que la fibre seront bientôt déployées. Jean-Ludovic Silicani a récemment indiqué que le comité d'experts pour les boucles locales cuivre et fibre optique donnerait à la rentrée son feu vert à l'introduction du VDSL 2, une technologie qui fait passer les débits de 50 à 150 Mbits/s sur des infrastructures en cuivre. Son usage sera limité "afin d'éviter une concurrence directe avec la fibre", a précisé le président de l'Arcep. Les zones mal desservies mais suffisamment denses seraient plus concernées puisque techniquement, l'abonné ne pourra être distant de plus de 1,5 km du noeud de raccordement. L'internet mobile à très haut débit avec l'arrivée de la 4G pourrait aussi révolutionner les usages. "Tous ceux qui n'ont pas de connexion de bonne qualité pourront en obtenir une rapidement sans devoir attendre une décennie, à condition que la 4G soit bien déployée en priorité dans les zones enclavées", commentait récemment Yves Krattinger, sénateur de la Haute-Saône, tout en soulignant les effets positifs de la 4G sur l'aménagement du territoire avec le fibrage des points hauts (lire ci-contre notre article du 13 juillet).

"Passage de témoin" et nouvelles orientations nationales en perspective

L'installation d'une nouvelle équipe gouvernementale et la création d'un ministère délégué chargé des PME, de l'Innovation et de l'Economie numérique ont bousculé les schémas initialement prévus. "Les réseaux, les équipements, les services, les usages et les contenus numériques" font partie des domaines d'attribution de Fleur Pellerin, la ministre déléguée. Le décret d'attribution précise aussi que ses missions sur le très haut débit s'effectueront "en lien avec les autres ministères concernés" et notamment celui de l'Egalité des territoires et du Logement de Cécile Duflot. Une nouvelle feuille de route sera présentée à la rentrée. On sait déjà que la nouvelle équipe ne fera pas table rase du plan initial, mais prévoit d'agir plutôt sur les points controversés. Fleur Pellerin et Cécile Duflot l'ont assez clairement indiqué lors d'une réunion de concertation organisée fin juillet réunissant les principaux acteurs : opérateurs, industriels, élus locaux, parlementaires, autorité de régulation, institutions publiques et associations.

Financement, péréquation et pilotage au centre des consultations

Les échanges se poursuivront cet été dans le cadre d'un appel à contributions portant sur les points sensibles :
- Définir une stratégie d'action sur une étape intermédiaire (2017) qui pourrait par exemple donner la priorité au raccordement des entreprises et des services publics et aux zones les plus mal desservies. Dans ce dernier cas, en privilégiant la fibre plutôt que la montée en débit dans des limites de coût à la prise ? A préciser.
- Mettre en oeuvre un dispositif de péréquation destiné à limiter le risque financier des territoires les plus défavorisés, à travers l'activation du fonds d'aménagement numérique du territoire (Fant). Dans l'immédiat, il pourrait être alimenté à hauteur de un milliard d'euros, en attendant l'éventuelle mise en place d'un mode de financement plus pérenne. Le ministère souhaite attendre la remise des conclusions du rapport sur la fiscalité de l'économie numérique en octobre prochain pour se prononcer sur ce point. Mais les propositions ne manquent pas. La dernière en date émane du sénateur Yves Rome, président de l'Avicca, qui propose une contribution de un euro par mois qui serait prélevée sur les abonnés à la téléphonie mobile.
- Lier plus fortement les opérateurs à leurs engagements dans les zones réservées à l'investissement privé et rechercher des incitations afin que les RIP existants soient réellement utilisés par les opérateurs, de manière à sécuriser leur fonctionnement. En retour, les RIP devront respecter des spécifications techniques et des normes qu’il conviendra de préciser dans les meilleurs délais. Ce qui suppose un engagement et une coordination renforcés de la part de l'Etat
- Créer une instance nationale pour gérer le Fant, assurer les harmonisations nécessaires au niveau national (cahiers des charges, interopérabilité…), diffuser les bonnes pratiques identifiées sur le territoire et assurer des missions d'assistance à maîtrise d'ouvrage pour les collectivités territoriales.
A défaut de réponses encore très précises sur les financements qui seront mobilisés dans les prochains mois, le renforcement du rôle des collectivités territoriales dans le déploiement du très haut débit semble déjà acquis. Le nouveau gouvernement a clairement fait savoir qu'il entendait travailler dans une relation plus étroite avec les collectivités locales, y compris au niveau des structures de pilotage qui pourraient être mises en place au niveau national.

 

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