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Insertion - Un an après, un bilan en demi-teinte pour le RSA

Le 1er juin 2009 entrait en vigueur la loi du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d'insertion. Publié 20 ans, jour pour jour, après la loi instaurant le RMI, ce texte introduisait, avec le RSA activité, une novation majeure : l'octroi d'un revenu pérenne de complément à des personnes en situation d'emploi mais à faible revenus. Un an après, le bilan, encore partiel, laisse apparaître des résultats nuancés.

Bien que portant un nom unique, le RSA recouvre deux prestations distinctes, ce qui n'est pas sans lien avec ses résultats actuels. D'un côté, le RSA socle conserve les fondamentaux du RMI, avec toutefois diverses améliorations, dont les principales concernent l'orientation des bénéficiaires, le contrat unique d'insertion, le cumul avec les revenus d'activité ou encore les pactes territoriaux d'insertion. De l'autre côté, le RSA activité concrétise, 40 ans après, le principe de l'"impôt négatif" imaginé par l'économiste américain Milton Friedman et popularisé en France, dans les années 70, par Lionel Stoléru.

RSA activité : des chiffres décevants

Le bilan quantitatif du RSA un an après sa mise en place est assez simple à établir. Les dernières données disponibles se situent au 1er mars 2010. A cette date, 1,756 million de foyers percevaient le RSA : 1,132 million touchaient uniquement le RSA socle (ex RMI et API), 437.000 percevaient uniquement le RSA activité et 189.000 bénéficiaient à la fois des deux prestations (soit un total de 626.000 bénéficiaires du RSA activité, à titre exclusif ou cumulé). Sur le seul mois de février 2010, le nombre de foyers allocataires s'est accru de 22.000 (+1,2%), dont 13.000 perçoivent uniquement le RSA activité.
Les chiffres relatifs au RSA activité sont le principal point faible du dispositif. Lors de sa mise en place, Martin Hirsch tablait en effet sur un objectif de 1,6 ou 1,7 million de bénéficiaires potentiels du seul RSA activité, dont 800.000 dès la fin de 2009. Au rythme actuel de progression, on en est encore très loin, ce que confirmait d'ailleurs le comité d'évaluation du RSA dans son rapport de décembre 2009. Diverses raisons ont été avancées pour expliquer cette montée en charge beaucoup plus lente que prévue : relative complexité de la prestation, connaissance insuffisante de la population concernée, campagnes de communication pas assez ciblées, manque d'enthousiasme de la part des CAF déjà confrontées à de sérieuses difficultés de fonctionnement... Une autre raison réside sans doute dans la difficulté, pour des salariés aux revenus certes très modestes, mais intégrés dans le monde du travail, à se tourner vers un minimum social qui, après vingt ans de RMI, reste perçu comme une prestation d'assistance et de lutte contre l'exclusion. Un sentiment que Pierre Saglio, le président d'ATD Quart Monde, résume sans détour en indiquant que "le RSA est perçu comme une prestation pour les pauvres". Dans une interview au quotidien La Voix du Nord du 29 mai, Marc-Philippe Daubresse, le successeur de Martin Hirsch, ne dit pas autre chose en indiquant que "demander le RSA, c'est demander une allocation, et ils ont peur d'être stigmatisés". De ce point de vue, le rassemblement, sous une même dénomination, de deux prestations très différentes a sans doute constitué un frein. Ce n'est sans doute pas un hasard si l'impôt négatif, et son pendant positif, avaient une vocation universelle...
Tout en reconnaissant, comme son prédécesseur, que beaucoup de bénéficiaires potentiels ne font pas valoir leurs droits, Marc-Philippe Daubresse estime néanmoins que la progression du RSA activité "ne se dément pas depuis juin 2009". Outre un diagnostic avant l'été "sur les facteurs qui freinent la montée en charge du dispositif", le ministre de la Jeunesse et des Solidarités actives a également annoncé, en avril, son intention de "renforcer les actions d'information et de pédagogie à destination des publics cibles". Sont notamment prévues des initiatives avec les bailleurs sociaux, les organismes de services à la personne, mais aussi avec les préfets et les maires. Mais l'exercice risque d'être délicat : alors que la rigueur budgétaire s'annonce, le gouvernement va-t-il vraiment se lancer dans de grandes actions de communication pour augmenter une dépense ? Lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2010, la commission des finances du Sénat chiffrait à 862,1 millions d'euros l'excédent prévisionnel 2010 du Fonds national des solidarités actives (FNSA), financé par la contribution additionnelle de 1,1% assise sur l'ensemble des revenus du capital. Un excédent bienvenu pour Bercy, puisqu'il a servi l'an dernier à financer... la prime de Noël.

Un verre à moitié plein

Le RSA ne se résume pas aux débuts quelque peu poussifs de son volet activité. Il compte en effet à son actif plusieurs avancées. La première est de faire passer un certain nombre de ses bénéficiaires au-dessus du seuil de pauvreté, grâce notamment à l'amélioration du cumul entre la prestation et des revenus d'activité. Bien que le gouvernement a confirmé en octobre 2009 (à l'occasion de la présentation du premier rapport sur le sujet, prévu par la loi du 1er décembre 2008), son intention de réduire d'un tiers la pauvreté sur la durée du quinquennat, cet objectif paraît cependant difficile à tenir grâce au seul RSA. D'autant plus que la montée du chômage joue contre cette tendance. A défaut d'atteindre l'objectif d'un tiers, le RSA aura au moins contribué à une réduction significative de la pauvreté, même s'il est pour l'instant difficile de la chiffrer. De plus, la mise en place du RSA a mis un terme aux polémiques sur les "trappes à chômage", en instaurant une véritable incitation à la reprise d'emploi, qui devient plus intéressante dans tous les cas de figure (hors travail au noir). "Le RSA ne permet pas de sortir de la pauvreté. Il allège la pauvreté", résume l'économiste François Bourguignon, président du comité d'évaluation des expérimentations du revenu de solidarité active, tout en se disant "assez optimiste".
En matière d'insertion, il est trop tôt pour évaluer les effets véritables du RSA. Le rapport final, rendu en mai 2009, du comité d'évaluation des expérimentations, menées dans 33 départements, a néanmoins conclu à un impact positif sur le retour à l'emploi, même si cet impact n'est pas spectaculaire et pourrait être obéré par la crise. Selon François Bourguignon, "sur la longue période, le nombre de bénéficiaires de minima sociaux diminuerait ainsi d'environ 10%". "Je ne crois pas que l'on puisse attendre énormément de nouveauté par rapport au RMI pour ce qui est du retour à l'emploi", reconnaît-il toutefois s'agissant des bénéficiaires du RSA socle.
Une autre avancée du RSA réside dans la mise en place du contrat unique d'insertion (CUI), qui se substitue à quatre dispositifs (contrat d'avenir, contrat insertion - revenu minimum d'activités, contrat initiative emploi et contrat d'accompagnement dans l'emploi). Ici aussi, le recul manque cependant pour mesurer les effets à moyen et long terme de cette simplification, puisque le décret mettant en place le CUI ne date que du 25 novembre 2009. Dans son rapport de mars 2010 sur l'expérimentation des contrats aidés - qui préfiguraient pour partie le CUI - dans une douzaine de départements, le comité d'évaluation souligne néanmoins l'intérêt du "référent unique" et des modalités innovantes d'accompagnement des bénéficiaires.

Sur le terrain : une confusion discrète

Contrairement à l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), à la prestation de compensation du handicap (PCH) ou au financement de la réforme de la protection de l'enfance, le RSA n'est pas vraiment un sujet de polémique, ni un terrain de débat sur les dérives de la décentralisation. Plusieurs raisons à cette relative sérénité : les collectivités ne sont que très marginalement concernées par le RSA activité ; le RSA socle reste - malgré ses améliorations indéniables - dans la logique générale du RMI ; l'"absorption" des ex bénéficiaires de l'API s'est effectuée sans trop de difficultés et, surtout, les départements ont bénéficié jusqu'à la fin de 2009 du recul du nombre des bénéficiaires du RMI, puis du RSA (-8,3% en 2007, -2,6% en 2008, les évolutions étant beaucoup plus incertaines pour 2009 compte tenu du changement de périmètre).
La mise en place du RSA avait pourtant commencé par une certaine panique. Débordées par la montée de la demande sociale, puis par la perspective de l'arrivée du RSA - et sans doute insuffisamment préparées à la mise en place de ce dernier -, de nombreuses CAF ont perdu pied et fermé purement et simplement durant plusieurs jours pour tenter de résorber les retards. Au point de susciter la colère des départements les plus fragiles socialement, comme la Seine-Saint-Denis. Si les choses sont aujourd'hui rentrées dans l'ordre, l'organisation sur le terrain est loin d'être parfaite et les relations ne sont pas toujours au beau fixe entre les principaux partenaires concernés.

Pôle emploi aux abonnés absents

La principale difficulté concerne Pôle emploi. Confronté, lui aussi, à la montée de la demande sociale - doublée des effets de la fusion ANPE-Unedic - Pôle emploi est resté globalement à la marge du RSA. Les élus ne se privent pas d'évoquer un traitement des dossiers concernant les bénéficiaires du RSA "beaucoup plus long que celui des anciens dossiers de RMI", avec un délai moyen de l'ordre de quatre mois pour signer un projet personnalisé d'accès à l'emploi. Auditionné le 18 mai par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, Christian Charpy, le directeur général de Pôle emploi, a d'ailleurs reconnu que "le nombre de personnes [bénéficiant d'une prise en charge renforcée] et restant inscrites à Pôle emploi reste assez faible, proche de celui qui était constaté du temps du RMI". Il a également admis qu'il y avait "des progrès à faire" dans le partenariat avec les acteurs institutionnels : départements, mais aussi régions (pour la formation), missions locales, maisons de l'emploi, acteurs socio-économiques de terrain...
Les tensions entre les départements et les CAF se sont quelque peu apaisées. Mais elles n'ont pas disparu pour autant. Elle se sont déplacées aujourd'hui, dans nombre de départements, sur d'autres thèmes comme le partage des informations, la réactivé aux décisions ou la nature des contrôles.
Une telle situation s'est révélée peu propice aux pactes territoriaux d'insertion, une autre création de la loi du 1er décembre 2008. Environ 70 départements devraient avoir signé un tel pacte avant la fin du mois de juin 2010 - un an après la mise en place du RSA -, auxquels on peut ajouter 88 conventions d'orientation et d'accompagnement signées entre les partenaires départementaux du RSA à la fin de l'an dernier. Si plus des deux tiers des départements disposent ainsi d'un pacte, le contenu de ce document entérine souvent des modalités de fonctionnement installées, plus qu'il n'apporte d'avancées en la matière. Une situation qui a conduit Marc-Philippe Daubresse à évoquer une "simplification" du dispositif, sans toutefois en préciser encore le contenu.
Enfin, du côté de l'harmonisation des droits connexes (prestations sociales extralégales mises en oeuvre par les collectivités), prévue par l'article 13 de la loi du 1er décembre 2008 (article L.1111-5 du Code général des collectivités territoriales), le rapport de Sylvie Desmarescaux, sénatrice du Nord, a eu le mérite de poser les termes de cette question délicate. Faute de pouvoir remettre en cause le principe de la libre administration des collectivités territoriales, il a débouché sur une "déclaration commune de principe sur les conditions des aides facultatives locales à caractère social", signée le 16 juillet 2009 par les associations de collectivités (ADF, AMF et ARF), l'Union nationale des centres communaux et intercommunaux d'action sociale (Uncass), la Caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf), la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), la Mutualité sociale agricole (MSA) et Pôle emploi. Dans le prolongement de la signature de cette déclaration, les services du haut-commissaire à la Jeunesse devaient diffuser, "d'ici à la fin du mois de juillet" (2009), un Guide des droits connexes locaux, afin "d'aider au plus près les différentes institutions dans leur réflexion sur l'ajustement des politiques sociales locales". On l'attend toujours...
Seule certitude dans l'immédiat : si des simplifications dans les démarches sont à l'ordre du jour, le RSA - et tout particulièrement son montant - ne devraient pas être modifié malgré l'arrivée de la rigueur budgétaire. Ainsi que le rappelle Marc-Philippe Daubresse : "Le RSA est une allocation régie par une loi. Son principe, ses montants et ses conditions d'attribution ne peuvent être remis en question, sauf à voter une nouvelle loi. Et ce n'est pas à l'ordre du jour."
 

Jean-Noël Escudié / PCA

 

Ce qu'en disent les CCAS

A l'occasion de ce premier anniversaire du RSA, l'Union nationale des centres communaux et intercommunaux d’action sociale (CCAS/CIAS), souvent chargés de l’instruction des demandes voire parfois de l’orientation et de l’accompagnement social des bénéficiaires, dressent un bilan "contrasté". Si les CCAS reconnaissent notamment "la souplesse offerte par le contrat unique d’insertion et l’apport du complément financier pour les travailleurs pauvres", ils estiment que "l’efficacité du RSA souffre encore de la longueur des délais de traitement des dossiers" ("jusqu’à 2 mois pour être orienté vers un travailleur social, 4 mois pour signer un projet personnalisé d’accès à l’emploi") et regrettent "le cloisonnement entre accompagnement social et professionnel". Il est en outre fréquent, assure l'Unccas, que les CCAS/CIAS "pallient les dysfonctionnements du dispositif au moyen de leurs propres aides financières" et soient parfois "confrontés à des échanges difficiles avec les conseils généraux, en proie à leurs propres difficultés budgétaires". L'Unccas s’apprête à lancer une enquête au sein de son réseau, dont les résultats seront présentés lors de son prochain congrès, les 6 et 7 octobre à Dijon.
C.M.
 

 

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