Energie - Transition énergétique : la commission spéciale éclairée par des experts
Avant de se pencher sur le texte entre le 24 et le 26 septembre, la commission spéciale de l'Assemblée nationale chargée d'examiner le projet de loi sur la transition énergétique pour la croissance verte a entamé une série d'auditions d'experts, de professionnels et d'élus qui se poursuivront jusqu'au 18 septembre, en parallèle de celles menées par les cinq rapporteurs désignés lors de sa réunion constitutive (lire ci-contre notre article du 10 septembre).
Le statut d'ERDF en question
Après l'audition de la ministre de l'Ecologie le 9 septembre, elle a ainsi organisé une table ronde le lendemain avec Jean Gaubert, médiateur de l'énergie, et les associations de consommateurs. Le médiateur a défendu le principe d'une réforme du statut d'ERDF, filiale à 100% d'EDF. "Je vous demande de vous interroger sur la différence de statut qu'il y a entre RTE, filiale réseaux de transport d'EDF, et ERDF, filiale réseaux de distribution d'EDF", a déclaré Jean Gaubert à l'adresse des députés.
Comme le représentant de l'association de consommateurs UFC-Que Choisir, entendu par la même commission, il a dénoncé les liens capitalistiques entre ERDF et sa maison mère, estimant qu'ils étaient susceptibles d'entraîner un sous-investissement dans le réseau électrique, du fait d'une remontée de trésorerie vers la maison mère. "J'observe que ce que l'on prend aux consommateurs, théoriquement pour qu'ils puissent être servis par des réseaux en excellent état, ne sert pas toujours à ces réseaux", a déploré Jean Gaubert. Il a demandé que le président du directoire d'ERDF soit nommé par le Conseil des ministres, comme le dirigeant du gestionnaire du réseau à haute tension RTE, et non par EDF. "A minima, c'est de calquer sur la gouvernance de RTE", a-t-il insisté.
En outre, la trajectoire d'investissements de RTE est contrôlée par la Commission de régulation de l'énergie (CRE), le gendarme français du secteur, avec le cas échéant une redistribution des marges non justifiées. Pour "ERDF, la CRE peut approuver la trajectoire d'investissements mais n'a aucun pouvoir sur la réalisation de la trajectoire d'investissements, c'est-à-dire qu'ensuite ERDF peut (...) remonter du cash à EDF sur des économies d'investissements", a constaté le médiateur.
"A titre personnel, je pense qu'aujourd'hui, la France est mûre pour créer deux sociétés de réseau complètement indépendantes de la maison mère", dans lesquelles les collectivités territoriales prendraient une participation non majoritaire, a-t-il poursuivi. "Je pense que l'Etat doit garder (...) une responsabilité forte dans la cohérence du système. C'est une garantie pour le fonctionnement du réseau", a-t-il dit.
Un nouveau chèque énergie doté de moyens suffisants
Le Médiateur de l'énergie a aussi plaidé pour un nouveau chèque énergie suffisamment doté financièrement, sous peine d'être voué à l'échec. "Le chèque énergie, nous applaudissons puisque le Médiateur - mon prédécesseur avant moi, moi et d'autres - a porté l'idée du chèque énergie en constatant que les tarifs sociaux tels qu'ils sont aujourd'hui étaient inopérants", a déclaré Jean Gaubert. "Il n'en reste pas moins que le chèque énergie risquerait d'être inopérant s'il est sur la même base financière", a-t-il ajouté.
Les tarifs sociaux de l'électricité et du gaz avaient été étendus automatiquement, en novembre 2013, à environ 4 millions de foyers modestes, soit plus de huit millions de personnes. Mais selon le Médiateur de l'énergie, seuls 1,6 million d'entre eux en bénéficiaient à la fin 2013, et les ménages précaires recourant à d'autres sources de chauffage que l'électricité ou le gaz en sont exclus. En outre, les tarifs sociaux sont insuffisants pour couvrir le coût de la contribution au service public de l'électricité (CSPE), une taxe prélevée sur les factures d'électricité servant surtout à financer le développement des énergies renouvelables, et l'augmentation des prix depuis 2010. "Simplement, on a limité l'effet de la hausse, on n'a aucunement soulagé leur budget", a déploré le Médiateur. "Cela veut dire que pour le moment, nous sommes en situation d'échec".
"Si on veut créer le chèque énergie et qu'on veut l'élargir à tous les consommateurs, il va falloir trouver des moyens de financement", a-t-il poursuivi. "Au bas mot, il faudrait passer au milliard", à comparer au coût du dispositif actuel qu'il chiffre à 200 millions d'euros par an.
Face aux difficultés budgétaires actuelles de l'Etat, il a plaidé pour un élargissement de l'assiette de la CSPE et la contribution d'énergies carbonées comme le gaz et le pétrole. "Ce qui serait le plus grave, c'est qu'on finisse par étendre le chèque énergie à tout le monde, et de ne le faire payer que par ceux qui consomment de l'électricité", a-t-il insisté.
Vers 20% de la population en précarité énergétique ?
Auditionné à son tour le 11 septembre par la commission spéciale, le président de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) a appelé lui aussi à "mettre les moyens" dans le chèque énergie. Le dispositif prévu par le projet de loi sur la transition énergétique pour aider ces foyers en difficulté "est un combat de plusieurs années", s'est félicité Bruno Lechevin. Mais "il doit être 'carrossé', durable et financé". Face à "l'urgence sociale, qui est le traitement des factures d'énergie", il y a "des dispositifs sociaux qui ne sont pas à la hauteur des enjeux", a-t-il également estimé.
Pour lui, le chèque énergie, dont les modalités ne sont pas encore définies, devrait être de l'ordre de 250 euros en moyenne et toucher les 4 millions de foyers précaires quel que soit leur mode de chauffage, soit environ un milliard d'euros : "ça fait mal (...) mais dans l'énergie, ce n'est pas si énorme que ça", a-t-il dit aux parlementaires. "Il n'y aura pas de transition écologique sans la prise en compte de la question sociale", a-t-il insisté. Si on veut que le chèque énergie joue un rôle de 'bouclier' dans la transition, il faudra y mettre les moyens", a-t-il ajouté.
Pour Bruno Lechevin, "on va se rendre compte probablement très vite que les 4 millions de foyers précaires (plus de huit millions de personnes, ndlr) identifiés au regard des statistiques de 2006 sur le logement, sont largement dépassés". Les foyers consacrant plus de 10% de leurs revenus à l'énergie sont considérés comme étant en "précarité énergétique". "Progressivement, on va aller vers quasiment 20% de la population en précarité énergétique", a-t-il avancé, évoquant de nouveaux travaux d'évaluation de l'Observatoire de la précarité énergétique. Parmi les usages du futur chèque, pourrait figurer, par exemple, l'achat d'un appareil électroménager plus performant énergétiquement, a encore suggéré le président de l'Ademe.
Comment concevoir le futur mécanisme de tiers financement ?
Auditionné à son tour le 11 septembre par les députés de la commission spéciale, Pierre-René Lemas, directeur général de la Caisse des Dépôts, s'est pour sa part dit "très favorable" à ce que les collectivités s'impliquent dans le tiers-financement de la transition énergétique, tout en pointant des difficultés juridiques et financières liées à un tel mécanisme.
Le tiers-financement permet à un organisme, qui n'est pas une banque, d'avancer l'argent nécessaire à un investisseur, qu'il remboursera avec les bénéfices provenant de son projet. Dans le cadre du projet de loi sur la transition énergétique, la possibilité serait donnée aux sociétés d'économie mixte (Sem), dont le capital est détenu en majorité par une personne publique, (État, région, etc...), de financer de cette manière certains travaux de rénovation énergétique réalisés par les particuliers dans leurs logements. Elles se rembourseraient alors grâce aux économies d'énergie réalisées via ces travaux. Ce mécanisme suscite des réserves de la part des banques qui estiment qu'il ne faut pas le généraliser mais le réserver aux projets les plus risqués. Les pouvoirs publics et les professionnels de la construction y voient cependant un moyen de relancer un secteur du bâtiment en crise.
Pierre-René Lemas a jugé que le tiers-financement "pose des questions difficiles" sur la sécurité juridique et financière de ce mécanisme. "Quelle est la nature juridique de cet outil ? Si c'est un outil financier, cela doit être un outil reconnu comme tel au sens d'établissement financier, donc au sens bancaire du terme. On risque de perdre un temps infini à créer des sortes de banques", a-t-il argumenté. Il plaide donc pour que les futures institutions de tiers-financement soient des "ensembliers qui travaillent en tant que concepteur, conseil et maître d'ouvrage, et qui eux-mêmes nouent des relations contractuelles avec les banques". "Ce n'est pas un dispositif qui va de soi mais je pense que c'est la bonne voie", a-t-il ajouté. Banquiers, collectivités et investisseurs publics tentent actuellement de définir ce mécanisme dans le cadre de la Conférence bancaire et financière pour la transition énergétique.
Des représentants des employeurs, des syndicats, des associations environnementales et des grandes entreprises du secteur de l'énergie sont conviés aux prochaines tables rondes et auditions de la commission. Le 17 septembre, une table ronde est prévue avec les associations d'élus. Les participants seront Jean-Jack Queyranne, président de la commission développement durable et environnement de l'Association des régions de France (ARF), Frédérique Massat, présidente de l'Association nationale des élus de la montagne (Anem), Philippe Angotti, président de l'Association des communautés urbaines de France (Acuf). Sont également attendus des réprésentants de l'Association des maires de France (AMF), de l'Assemblée des communautés de France (AdCF), de l'Assemblée des départements de France (ADF) et de l'Association des maires de grandes villes de France (AMGVF).