Transports - Trains Intercités, équilibre économique des transports publics urbains : la Cour des comptes livre ses recettes
"La gestion des trains Intercités offre un exemple d'atermoiement entre volonté affichée de réforme et indécision persistante et préjudiciable au service public", a déclaré Didier Migaud en présentant le rapport 2015 de la Cour des comptes ce 11 février. D'emblée, le premier président de l'institution de la rue Cambon a prévenu que "contrairement à ce qui a pu être suggéré, la Cour ne recommande pas de supprimer ce réseau". "Elle appelle au contraire à sortir de l'impasse, précisément pour lui offrir un horizon pérenne", a-t-il affirmé.
"La préservation d'un réseau de trains Intercités est un enjeu majeur d'aménagement du territoire", indique le rapport de la Cour, qui souligne néanmoins que "le retard mis à prendre les décisions permettant de l'assurer contraint maintenant l'Etat, la SNCF, mais également les régions à devoir résoudre une équation particulièrement complexe à un moment où les marges de manoeuvre financière sont devenues très faibles". Ainsi, ajoute la Cour, "un tel objectif suppose des mesures énergiques de réduction des coûts de gestion de ces trains, mais aussi des choix en ce qui concerne leur périmètre et leur financement".
Depuis 2010 et une convention signée avec la SNCF, l'Etat fonctionne comme une autorité organisatrice pour les trains Intercités, "trains d'équilibre du territoire" (TET), qui peinent à trouver leur place entre TGV et TER. Ils "ont été gérés jusqu'à présent sans véritable stratégie et utilisent un matériel roulant vieillissant", écrit encore la Cour, indiquant que l'âge moyen du parc était, fin 2012, de 33,5 ans : "Aucune réflexion ne paraît avoir été engagée jusqu'à une date récente sur la définition d'une nouvelle gamme de matériels adaptée aux liaisons de grand parcours hors grande vitesse."
"Recentrage sur des liaisons rapides de moyenne et longue distance"
Elle estime que "le recentrage de ces trains sur des liaisons rapides de moyenne et longue distance, assorti d'une nouvelle qualité de service sur ces lignes, est susceptible d'accroître leur rentabilité". Et ajoute que "dans un contexte de possible développement de l'offre de transport routier interurbain, le remplacement, sur les lignes les moins fréquentées et les plus déficitaires, de certaines dessertes par des liaisons routières moins coûteuses, est une option à étudier".
Quant aux trains de nuit, le maintien de l'offre actuelle nécessiterait, "à échéance de 2018, la rénovation (...) de 300 voitures. Le coût en est évalué par la SNCF à environ 120 millions d'euros, ce qui va requérir des arbitrages difficiles compte tenu du caractère fortement déficitaire de ces lignes", selon la Cour.
La Cour des comptes recommande également de modifier le mode de financement des trains Intercités, puisqu'il "constitue (…) pour l'essentiel un circuit fermé qui voit l'Etat reverser à la SNCF sous forme de subvention d'équilibre le produit de taxes qu'il a précédemment prélevées sur elle".
Transports publics urbains : "un nouvel équilibre du service" à trouver
Dans un autre chapitre de son rapport 2015, la Cour a examiné la situation économique des transports publics urbains de voyageurs. Ce secteur pèse lourd dans l'économie : les 287 réseaux hors Ile-de-France emploient plus d'un million de personnes, gèrent plus de 9 milliards d'euros de dépenses dont 2,5 milliards d'euros d'investissement, comptent 27 millions d'usagers et ont vu leur fréquentation croître de 25% entre 2000 et 2010. Mais il est aujourd'hui "soumis à de fortes contraintes financières qui conduisent à définir un nouvel équilibre du service", estime la Cour. Selon elle, "le rétablissement durable de l'équilibre des services de transport public urbain de voyageurs est subordonné à la mise en oeuvre rapide de mesures allant dans trois directions".
La Cour juge ainsi nécessaire "une incitation à l'utilisation des transports en commun, (...) la maîtrise des dépenses d'exploitation et d'investissement", et "un accroissement de la contribution des usagers au financement du service". Et cite entre autres la nécessité d'une amélioration de l'offre mais aussi de la productivité du personnel, une mutualisation des coûts d'acquisition et de maintenance du matériel, des hausses tarifaires ou encore un renforcement de la lutte contre la fraude.
Opérateurs, collectivités chargées des transports, et même associations d'usagers, alertent depuis quelques années sur un modèle économique qui semble avoir trouvé sa limite. En cause : des réseaux qui s'étendent toujours plus loin, avec un coût du kilomètre marginal en hausse, tandis que les finances publiques sont toujours plus contraintes.
"Par-delà les efforts à réaliser sur les coûts et la hausse des tarifs, le rétablissement durable de l'équilibre financier des réseaux passe par leur rationalisation : il s'agit d'optimiser le service en répondant à la demande de mobilité de la population, à un coût raisonnable pour la collectivité", souligne la Cour des comptes. Elle évoque ainsi un "service public soumis à des fortes contraintes financières", avec des coûts d'exploitation en hausse. Par ailleurs, souligne-t-elle, "le partage des risques (...) apparaît plutôt défavorable aux autorités organisatrices". Les dépenses d'exploitation sont couvertes à hauteur de 28,6% par les recettes tarifaires, un taux qui a diminué de sept points au cours des dix dernières années.
Anne Lenormand
Les aéroports de Dole et Dijon critiqués par la Cour des comptes
La Cour des comptes a épinglé dans son rapport 2015 les aéroports de Dole (Jura) et de Dijon, distants d'à peine 50 km. "A ce jour, la viabilité économique d'un aéroport unique n'est pas démontrée, et celle de deux aéroports l'est encore moins", écrit la Cour. "La pertinence même d'un aéroport unique interrégional n'apparaît pas évidente au regard de la faiblesse du bassin de chalandise" et de la proximité de grands aéroports internationaux, martèle la Cour, qui demande l'arrêt des subventions à Dole. Celles versées à l'aéroport de Dijon ont déjà été stoppées lorsqu'il est devenu une simple plateforme d'affaires, en septembre 2014. Selon la Cour, entre 2010 et 2013, toutes aides confondues, quelque 21,9 millions d'euros ont été injectés dans le développement de l'aéroport de Dijon et 9,9 millions d'euros pour l'essor de la plate-forme de Dole. Au total, en comptant les aides promises à Dole d'ici fin 2016, ce sont 42 millions d'euros qui auront été versés par les pouvoirs publics aux deux aéroports. Or les deux structures se sont livrées une concurrence nocive en dépit de la concertation initiée au milieu des années 2000, qui n'a "pas été suivie d'effets". Au lieu de développer des synergies, les structures ont cherché toutes deux à attirer les compagnies à bas coût ou à desservir Nice, la Corse ou Biarritz, relève la Cour. Au nom de la clause de compétence générale, le département du Jura et la région Franche-Comté ont pu financer l'aéroport de Dole, tandis que la région Bourgogne, le département de la Côte-d'Or et l'agglomération dijonnaise ont subventionné celui de Dijon sans chercher "à définir une stratégie commune pour un développement coordonné des deux plateformes". Concurrencés par Lyon-Saint-Exupéry, Bâle-Mulhouse, Genève, Zurich ou Paris, Dole et Dijon touchent des aides jugées "élevées au regard [de leur] trafic" : 45 euros par passager transporté sur les lignes régulières à Dijon, 23 euros par passager sur les lignes à bas coût de Dole. La Cour reconnaît tout au plus une hausse du trafic global de ces aéroports entre 2009 et 2013 (+89.000 passagers à Dole et Dijon). Mais elle relève qu'à la même période, Lyon en gagnait plus de 928.000, Bâle-Mulhouse plus de 2 millions, Genève plus de 3 millions, à l'instar d'Orly, tandis que Roissy augmentait sa fréquentation de 4,2 millions. Parmi ses recommandations, la Cour propose d'améliorer la desserte des grands aéroports voisins plutôt que de faire de Dole un nouvel aéroport interrégional.
A.L. avec AFP