Transports - La commission Mobilité 21 appelle à sortir du tout TGV
Les travaux de la commission, dirigée par le député PS du Calvados, Philippe Duron, devaient établir des priorités parmi les 70 projets du schéma national des infrastructures de transports (Snit), établi sous le gouvernement Fillon pour l'ensemble des infrastructures de transport. Après huit mois de consultation, la commission a remis son rapport à Frédéric Cuvillier, ministre délégué aux Transports, ce 27 juin.
"La commission ne propose pas l'abandon de tel ou tel projet mais un phasage dans le temps, a déclaré Philippe Duron. Elle fait aussi des recommandations et son travail ne se résume pas au classement des projets. Nous préconisons qu'elle se remette a l'oeuvre tous les cinq ans. Son travail a consisté à remettre l'usager au centre, en pensant aux transports du quotidien, et a homogénéiser la liste des projets existants." "En France, la polarisation sur la grande vitesse a eu tendance a masquer des situations localement préoccupantes, a poursuivi Philippe Duron. Il est temps de s'interroger sur le modèle économique de la LGV."
Un grand nombre de projets actuels sont liés à la saturation, un sujet qui fait débat, pour lequel les choses ne sont pas claires. Pour sortir de la controverse, la commission propose la création d'observatoires de la saturation pour savoir quand il sera pertinent d'engager les projets. Elle propose aussi de développer une expertise nationale sur le lissage des pointes de trafic ferroviaire. Et de rénover en profondeur les mécanismes de gouvernance et de financement du système de transports (recours à l'épargne privée, renforcement de la participation des usagers, élargissement de l'assiette de la taxe poids-lourds, évolution du versement transport).
Deux scénarios
L'accent est mis dans le rapport sur le renforcement du réseau existant, devenu vieillissant. "On a besoin de transports inter-cités qui roulent à 200 km/h, le chaînon manquant entre TER et TGV", a indiqué Philippe Duron. Autre priorité : le traitement des noeuds ferroviaires, dont les dysfonctionnements se diffusent largement à l'ensemble des grandes lignes et qui, malgré des efforts entrepris au niveau de certaines gares, méritent un plan d'envergure. La priorité va aussi aux projets contribuant directement à l'amélioration de la desserte des ports et de leur hinterland.
52 projets ont été classés selon deux scénarios, l'un raisonnable et dit "au fil de l'eau", qui reviendrait à dégager de 8 à 10 milliards d'euros d'ici à 2030, ce qui est compatible avec les marges budgétaires de l'Agence de financement des infrastructures de France (Afitf). L'autre, plus ambitieux, dit scénario d'amplification, représente un investissement de 25 à 30 milliards d'euros, ce qui correspond à abonder de 400 millions d'euros supplémentaires par an les caisses de l'Afitf. Son ampleur peut être comparée à celle du financement du Nouveau Grand Paris. Ce scénario repose sur l'hypothèse d'une amélioration de la conjoncture économique et de la mobilisation de nouvelles sources de financement.
Dans le scénario 1, neuf projets sont considérés comme des "premières priorités" : ils concernent les flux portuaires (électrification de la ligne Gisors-Serqueux, contournement de Fos), le traitement des points noirs ferroviaires (1 milliard pour le noeud lyonnais, 2,5 milliards pour le traitement du noeud marseillais, 3 milliards pour le noeud Paris St Lazare-Mantes) ou bien relèvent d'enjeux d'attractivité économique (liaison Roissy-Picardie, Route Centre Europe Atlantique en Allier et Saône-et-Loire).
Quant aux priorités considérées comme étant "secondes" dans ce même scénario "au fil de l'eau", il s'agit surtout des LGV (Paris-Orléans-Clermont-Lyon / LGV Rhin-Rhône/LGV SEA Poitiers-Limoges), de projets fluviaux (mise à grand gabarit Seine amont), routiers (contournement d'Arles, de Strasbourg, de Lille, de Lyon). Enfin, des priorités sont repoussées à un horizon encore plus lointain (après 2050), par exemple le contournement ferroviaire de Bordeaux, le canal Saône-Moselle, des projets autoroutiers (Troyes-Auxerre) voire aéroportuaires (projet de piste sur l'aéroport de Mayotte). Le scénario 2 classe différemment ces projets tout en appliquant cette même logique de priorité aux plateformes portuaires, aux points noirs ferroviaires et à l'attractivite économique des territoires.
Un diagnostic partagé par Jean-Marc Ayrault
Le rapport doit être présenté en juillet devant les commissions parlementaires de l'Assemblée nationale et du Sénat. Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a déclaré, dans une interview à L'Usine nouvelle publiée ce 27 juin, partager le diagnostic du rapport de la commission Mobilité 21. "Le précédent gouvernement a fait une erreur et a commis un mensonge", a déclaré le chef du gouvernement à L'Usine nouvelle, en expliquant pourquoi il avait voulu cet état des lieux. "L'erreur, c'est qu'il s'est concentré sur les infrastructures en oubliant la qualité des services ! Le mensonge est d'avoir laissé entendre qu'on pourrait faire plus de 250 milliards d'investissements dans les vingt prochaines années ! C'est irréaliste financièrement et techniquement." "Le rapport de la commission sort de ce mensonge et fait un diagnostic précis, que je partage, de nos besoins de transport", se félicite Jean-Marc Ayrault. Il propose de "reprendre (...) ses recommandations préalables : continuer à investir, axer nos interventions sur la qualité de service, investir là où c'est le plus utile pour la croissance du pays".
Aux élus regrettant de voir leurs projets de grande vitesse reportés à après 2030, il répond que "le pays est largement maillé, par des voies ferrées et des autoroutes qu'il faut rénover. Je sais que ce grand maillage est imparfait et nous le corrigerons. Je leur réponds aussi que les grandes métropoles dont ils sont souvent élus doivent tirer la croissance de la France. Je leur dis que les nouveaux projets ne sont que la partie émergée d'un iceberg dont le reste est constitué des réseaux qui doivent être profondément rénovés, tant pour les infrastructures que pour le matériel roulant".
"Les choix que nous aurons à faire avec les élus, dans la concertation, ne consistent pas à se demander si nous mettrons des moyens dans les transports. Nous les mettrons. La question est de savoir de quels types d'investissements nos territoires ont le plus besoin à court et moyen terme", ajoute le Premier ministre.
"Mon ambition est celle d'investissements pensés au service de transports efficaces (...) Par exemple, ne soyons pas polarisés sur les seules lignes à grande vitesse lorsque des trains circulant à 200km/h à un coût moindre pour les voyageurs peuvent rendre un service économique et social supérieur", souligne par ailleurs Jean-Marc Ayrault dans une tribune à la presse quotidienne régionale dans laquelle il indique qu'il présentera le "9 juillet le plan d'investissement du gouvernement", qui comportera un volet transport. "Je veux, a-t-il ajouté, des transports sobres, pensés à chaque fois au sein de leur territoire, et accessibles en termes de coût pour les utilisateurs."