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Mobilité - Les transports publics craignent la paupérisation

Recettes en baisse, sources de financement qui se tarissent : l'économie du transport public urbain, déjà déséquilibrée, risque de voir ses capacités d'investissement sérieusement remises en question à l'avenir alors que la demande ne cesse d'augmenter, met en garde l'Union des transports publics et ferroviaires (UTP).

Les transports publics broient du noir en cette rentrée. "Nous sommes face à une double menace : moins de fréquentation et moins de ressources. Notre modèle économique risque d'être durablement fragilisé si des mesures ne sont pas prises", a déclaré Jean-Marc Janaillac, nouveau président de l'Union des transports publics et ferroviaires (UTP) ce 9 octobre, lors d'une conférence de presse sur l'actualité du secteur. Les gestionnaires de transports publics mettent en exergue la dégradation continue depuis dix ans du ratio recettes/dépenses d'exploitation, passé de 39% en 2002 à 31,5% en 2012. Dans le même temps, en Allemagne, ce même ratio a régulièrement augmenté, passant de 41,9% en 2002 à 48,3% en 2012.
S'il y a moins de recettes – et donc moins de capacités à investir -, cela est dû à une progression beaucoup plus rapide de la demande de transport, pointe l'UTP. En dix ans, le trafic voyageurs a en effet augmenté de 40,3% - entre 2011 et 2012, la hausse a encore été de 4% et elle devrait atteindre 2,5% en 2013. Deux raisons principales expliquent cette progression, note l'UTP : les horaires de service se sont élargis pour répondre à une demande qui change de nature – la moitié des déplacements aujourd'hui ne sont plus liés au trajet domicile-travail et domicile-école mais à l'accès aux loisirs ou aux différents services – et l'offre de transport s'est étendue au rythme des périmètres de transports urbains (PTU). Ces derniers se sont agrandis pour englober de nouvelles communes – en dix ans, la surface desservie a augmenté de 55%, passant de 22.546 km² en 2002 à 34.947 km² en 2012 – mais la population desservie, elle, n'a augmenté que de 11%. Un écart dû à l'extension des réseaux de transports à des communes de plus en plus éloignées de la "ville centre" et comptant peu d'habitants : les territoires desservis comptent ainsi 28% de moins d'habitants/km² en 2012 qu'en 2002.

Trois sources de financement bloquées

L'offre de transport a augmenté de près de 29%, soit 155.000 kilomètres supplémentaires, au cours de la dernière décennie. Mais alors que la progression de la dépense par voyageur a été de 4,7% sur la période, passant de 1,44 euro à 1,52 euro, la recette, elle, a baissé de 15% en passant de 0,56 euro à 0,48 euro. Ce tableau pessimiste s'assombrit encore au vu de l'évolution des trois sources de financement du transport public urbain. Du côté du versement transport, la marge de progression est faible. "Compte tenu du contexte économique en France, les employeurs sont globalement dans une situation tendue et il est difficile de les convaincre de contribuer davantage vu l'élargissement de l'usage des transports publics à d'autres trajets que ceux domicile-travail", admet-on à l'UTP. Le budget des autorités organisatrices de transport, alimenté par la fiscalité locale, peut lui aussi difficilement progresser à l'avenir : les collectivités sont dans une phase de réduction de leurs dépenses et les dotations de l'Etat sont gelées jusqu'en 2016. Quant à la tarification, qui n'est pas indexée sur l'inflation, elle est aussi orientée à la baisse. Depuis dix ans, fait observer l'UTP, la quasi-totalité des titres de transport ont vu leur prix baisser en euros constants : -0,3% pour le ticket unitaire, -4,4% pour le titre pour une journée, -1% pour l'abonnement mensuel, -6,1% pour l'abonnement annuel. Les tarifs des transports routiers de voyageurs ont aussi baissé de 4,1% au cours de la même décennie. Par contre, relève l'UTP, les prix des autres services publics marchands ont nettement augmenté ces dix dernières années : +22,5% pour la cantine, +32,3% pour la distribution d'eau, +56,6% pour la distribution d'énergie et même +66% pour l'enlèvement des ordures ménagères.
Si leurs trois sources de financement traditionnelles ne peuvent plus progresser, les transports publics redoutent que l'offre s'en trouve pénalisée. Celle-ci a déjà commencé à se contracter entre les premiers semestres 2012 et 2013, souligne l'UTP. Au premier semestre 2013, elle a diminué en moyenne de 1,9% dans les réseaux de moins de 100.000 habitants et de 0,1% dans ceux de 100.000 à 250.000 habitants. Si, tous réseaux confondus, l'offre augmente de 0,9%, c'est grâce aux réseaux de plus de 250.000 habitants qui ont connu une progression de 1,5%. L'UTP s'est aussi mobilisée aux côtés du Groupement des autorités responsables de transport (Gart) contre la hausse du taux de TVA pour les transports publics. Déjà passé à 7% en 2012, il devrait passer à 10% en 2014, ce qui se chiffrerait à 168 millions d'euros, selon les calculs de l'UTP. Une hausse qui ne profite qu'à l'Etat, insiste-t-elle, et pénaliserait aussi bien les voyageurs, les employeurs que les AOT. Les premiers risquent de voir leur pouvoir d'achat baisser avec l'augmentation prévisible du prix du transport, les employeurs, qui remboursent la moitié du prix d'abonnement de transport de leurs salariés, subiraient une charge additionnelle tandis que pour les AOT (Etat et collectivités), la hausse du taux de TVA devrait se traduire par une augmentation des subventions versées pour assurer l'équilibre économique du service de transport, ce qui va à l'encontre des objectifs de maîtrise des dépenses qui leur sont assignés.

Recommandations communes avec le Gart

Dans ce contexte très morose, l'UTP avance plusieurs pistes qui permettraient de rééquilibrer l'économie des transports publics. "Du côté des opérateurs, nous pensons qu'il y a des gains de productivité internes à faire et qu'il vaut mieux adapter les modes de transport à la géographie et à la demande", estime Jean-Marc Janaillac. Le président de l'UTP croit aussi beaucoup à l'essor du report modal et à la décentralisation du stationnement qui vient d'être votée en première lecture au Parlement dans le cadre du projet de loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles. "C'est un élément important pour affirmer l'évolution vers des autorités organisatrices de la mobilité durable, incitant à des modes de transport alternatifs à la voiture, assure Jean-Marc Janaillac. Cela rendra aussi plus urgente la prise en compte de l'intermodalité". Ces derniers mois, l'UTP et le Gart ont travaillé à des recommandations communes pour encourager le report modal et rééquilibrer l'économie du transport public urbain. Ils ont identifié 7 leviers d'action : vitesse commerciale, politique de stationnement, tarification, étendue géographique de l'offre, étendue horaire de l'offre, fréquence et capacité de l'offre, gestion du parc et des équipements. Ces propositions seront dévoilées lors des Rencontres nationales du transport public qui se dérouleront à Bordeaux du 27 au 29 novembre prochains. A moyen terme, d'autres pistes seraient à explorer, selon l'UTP, notamment "la prise en compte des externalités et/ou leur transformation en moyens de financement des transports publics urbains". Ces "externalités" correspondent aux coûts des nuisances pour la société (pollution, accidentologie) auxquels s'ajoute le coût d'usage des routes généré par les véhicules individuels. Un total de 105 milliards d'euros par an, soit 15 fois le montant annuel du versement transport (7 milliards d'euros), a calculé l'UTP. Difficile, reconnaissent les professionnels des transports publics, de répercuter la totalité de ces externalités. Mais cela vaut la peine d'essayer. "Même si cela représente epsilon par rapport à leur coût total, il y a des marges de manœuvre pour trouver les moyens de les prendre en compte", affirme Jean-Marc Janaillac.