Economie - Projet de loi Macron : ce qui va changer pour les collectivités
Article initialement publié le 10 décembre 2014.
Alors que les professions du droit battaient le pavé parisien, ce mercredi, jour de présentation du projet de loi Macron en Conseil des ministres, Manuel Valls a cherché à présenter un front uni. Attaqué sur sa gauche, le Premier ministre a convié la presse pour une grand-messe à l'Elysée, entouré de dix ministres et secrétaires d'Etat afin de présenter les principaux axes de ce texte fourre-tout comprenant quelque 106 articles. "Tout le monde doit accepter de changer ce qui ne fonctionne pas bien (…) même si cela peut bouleverser des habitudes, des intérêts particuliers, des corporatismes", a-t-il martelé.
Censé donner des gages à Bruxelles sur la volonté de réforme du gouvernement, le projet de loi "pour la croissance et l'activité" se résume en trois mots : libérer, investir et travailler.
Pour le mettre en œuvre, l'exécutif n'a pas hésité à bousculer l'agenda parlementaire et décidé de recourir au maximum aux ordonnances. Travail le dimanche et en soirée, réforme de l'urbanisme commercial, baisse des tarifs des professions réglementées, cessions des participations de l'Etat, développement du logement intermédiaire, des autocars, de l'épargne salariale… tout est bon pour lever les "blocages" et favoriser le retour de la croissance, même si certains pans qui figuraient dans l'avant-projet de loi dévoilé il y a quelques semaines ont disparu. C'est notamment le cas de la réforme des professions de santé. Quoi qu'il en soit, les collectivités sont concernées à plus d'un titre.
Travail le dimanche
Tout d'abord par le travail le dimanche et en soirée : l'un des thèmes les plus contestés du projet de loi, des syndicats aux rangs mêmes de la majorité, jusqu'aux mises en garde du Conseil d'Etat. Officiellement, le repos dominical reste la règle, comme l'a répété Manuel Valls. Mais il sera facile de le contourner, moyennant compensations (salaires, repos…). Ainsi le nombre de "dimanches des maires" passe de 5 à 12, avec un minimum obligatoire de 5. Lors de ces dimanches choisis par le maire, les commerces pourront ouvrir sans autorisation.
Les zones touristiques actuelles seront étendues. Parmi elles seront définies des "zones touristiques internationales" dans lesquelles le travail dominical et en soirée sera possible toute l'année, l'idée étant de capter les touristes de passage. Le gouvernement, qui s'appuie sur l'exemple de Londres qui attirerait davantage de touristes le week-end, compte donc passer outre les réticences du maire de Paris, Anne Hidalgo, même si son avis sera requis. Les zones seront définies par décret interministériel. Sont concernés les zones les plus touristiques des agglomérations mais aussi des sites très fréquentés. Le travail le dimanche et en soirée sera également étendu à une vingtaine de gares, sur le modèles des aéroports.
Quel que soit le cas de figure (dimanches du maire, zones touristique, gare, etc.) le travail dominical reposera sur le volontariat et les compensations deviendront obligatoires, alors qu'elles ne le sont aujourd'hui que dans les 31 Puce ou dans certains secteurs, mais facultatives dans les 640 zones touristiques que compte le territoire.
Le gouvernement a finalement renoncé à traiter les entreprises de moins de 20 salariés à part comme il le prévoyait au départ, afin de ne pas les mettre en difficulté. Les compensations devront être arrêtées dans un délai de trois ans et sont renvoyées à des accords d'entreprise, de branche ou territoriaux. "Il ne faut pas qu'il y ait un flou, si vous voyez ce que je veux dire", a déclaré Manuel Valls, en allusion à une célèbre formule de Martine Aubry sur François Hollande ("Quand c'est flou, c'est qu'il y a un loup"), montée au créneau contre cette partie du projet de loi.
Urbanisme commercial
Face à la levée de boucliers de maires, le gouvernement a finalement sorti du texte le transfert des plans locaux d'urbanisme aux intercommunalités. Le volet urbanisme commercial est en revanche maintenu. Ainsi, l'Autorité de la concurrence pourra désormais mettre son nez dans les documents d'urbanisme (PLU, PLU intercommunaux, schéma de cohérence territoriale, schéma de développement régional d'Ile-de-France) pour s'assurer qu'ils ne sont pas trop restrictifs en matière d'implantation commerciale et qu'ils comportent "une attention suffisante à une concurrence satisfaisante", indique Bercy, dans son dossier de presse. L'objectif est bel et bien de libérer la construction de surfaces commerciales. "Paradoxalement, c'est un secteur moins développé en France", assure-t-on à Bercy, à rebours de certaines études qui alertent au contraire sur le risque à venir de friches commerciales (sur le sujet, voir ci-contre notre article du 18 novembre 2014).
L'autorité aura également un pouvoir d'"injonction structurelle" dans le commerce de détail, sur le modèle de ce qui a été mis en place en 2012 pour l'Outre-Mer : elle pourra aller jusqu'à enjoindre aux enseignes détenant plus de 50% d'un marché et dont les prix et marges sont excessifs (sans qu'il y ait pour autant abus de position dominante) de céder une partie de leurs activités…
Autocars
Autre mesure symbolique de ce texte qui, selon Bercy, s'adresse à "ceux qui ne font pas partie du système", aux "outsiders" : les autocars. Le projet de loi vise à permettre à chacun de se déplacer, à moindre coût.
Aujourd'hui, le principe est l'autorisation pour les lignes internationales avec des restrictions pour les lignes interrégionales. Désormais, les liaisons interrégionales n'auront plus aucune restriction. Quant aux lignes infrarégionales, elles feront l'objet d'un contrôle de l'Araf qui voit ses compétences étendues à la route et devient l'Arafer (Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières). Les régions auront aussi leur mot à dire : sur la base de ce contrôle, l'autorité organisatrice des transports pourra interdire des lignes qui entreraient en concurrence avec les services publics de transport (cars ou TER).
L'Arafer sera aussi chargée de contrôler les tarifs des sociétés d'autoroute.
Logements intermédiaires constructibles
L'exécutif entend également relancer l'investissement, en lien avec l'agenda européen et le plan Juncker. Ce qui passera par une simplification des procédures, notamment environnementales, pour les grands projets. S'appuyant sur un rapport sur les permis de construire demandé en août dernier au préfet Duport, le gouvernement agira par voie d'ordonnance.
Il souhaite aussi relancer le logement locatif intermédiaire dans le prolongement des mesures déjà mises en place depuis le début de l'année (ordonnance du 20 février 2014, TVA à 10%, exonération de la TFPB sur vingt ans). Il s'agira ici de permettre aux communes d'appliquer à leurs documents d'urbanisme une "majoration de constructibilité" de 30% dans certains secteurs. En clair, les communes pourront augmenter de 30% la surface constructible pour les logements intermédiaires. Les collectivités pourront par ailleurs "mettre en oeuvre de véritables politiques locales de développement du logement locatif intermédiaire" par le biais des aides à la pierre…
Toujours au chapitre de l'investissement, l'Etat ouvrira le capital de certaines entreprises publiques pour dégager des ressources afin de se désendetter et de financer ses priorités. En octobre, Emmanuel Macron avait évoqué un montant compris entre 5 et 10 milliards d'euros en dix-huit mois.
Professions réglementées
Touchant moins directement les collectivités, la réforme des professions réglementées aura des incidences pour les territoires. D'abord parce que ces professions sont des interlocuteurs des collectivités, ensuite parce que la liberté d'installation aura des conséquences sur l'aménagement du territoire. Le gouvernement souhaite à la fois agir à la baisse sur les tarifs (qui, pour ce qui est des notaires, ont largement profité de l'envolée de l'immobilier), instaurer la liberté d'installation, tout en garantissant un "maillage territorial plus en adéquation avec les besoins de la population et des territoires". "La densité d'études [notariales] pour 100.000 habitants est de 4 pour Paris (Paris, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne) contre 12 pour l'Aveyron", fait valoir Bercy, dans son dossier de presse. Mais les professions du droit agitent le spectre de déserts juridiques, avec une forte concentration en région parisienne… Les notaires craignent aussi que ces mesures dévaluent fortement leurs études. De fait, dans son avis, le Conseil d'Etat estime que le texte porterait "un préjudice trop grave" aux notaires, huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires. Il demande au gouvernement d'instaurer une "progressivité suffisante" ou un "dédommagement adéquat".
A Bercy, on estime "assez confortables" les dispositions au regard des règles constitutionnelles. La mise en œuvre serait "progressive" et fondée sur une "cartographie".
Le texte sera examiné à l'Assemblée à compter du 22 janvier. Selon Bercy, bon nombre des ordonnances du texte sont déjà prêtes et pourront être mises en œuvre dans un délai de quatre mois après le vote de la loi. Quant aux décrets d'application, leur rédaction est déjà bien avancée.