Economie - Les remèdes d'Emmanuel Macron pour la France "malade"
Emmanuel Macron l’assure : les "réformes structurelles" qu’il s’apprête à mettre en œuvre – terme qu’il dit ne pas apprécier – ne sont pas "dictées par l’extérieur". Il dit aussi que la portée de ces réformes se mesurera au "degré d’émoi" qu’elles susciteront. Certes il ne va pas - comme l’ancien ministre de l’Economie Pierre Moscovici – jusqu’à citer Keynes qui voulait "euthanasier les rentiers". Le ton est plus posé et le style plus souple que celui de son prédécesseur Arnaud Montebourg : il s’agirait plutôt de guérir la France de ses trois "maladies" : "la défiance, la complexité, les corporatismes". "Les intérêts constitués, les corps constitués sont résistants", mais "il faut arrêter les peurs inutiles", a déclaré le ministre de l’Economie, mercredi 15 octobre, lors de la présentation des grandes lignes de son futur projet de loi pour "libérer l’activité économique et restaurer l’égalité des chances économiques", dont l’intitulé sonne comme un écho à la commission Attali pour la "libération de la croissance" dans laquelle Emmanuel Macron siégeait…
Le texte, qui ne sera présenté en Conseil des ministres que mi-décembre, entend libérer à tout va : les transports par autocar, les professions réglementées du droit (notaires, huissiers…), de la santé (pharmaciens, dentistes). Il poursuit aussi deux autres mots d’ordre : investir et travailler, notamment le dimanche et en soirée. Une deuxième salve de mesures sera annoncée en novembre. Il sera notamment question de "mesures de simplification radicale" en matière de logement (avec une réduction des délais d’attribution des permis de construire) et d’urbanisme commercial.
Libéralisation du transport par autocar
Le projet de loi, initialement annoncé pour le mois de novembre, a donc pris du retard. La raison en est l’émotion suscitée chez les professions réglementées par la publication, le 24 septembre, du rapport de l’Inspection générale des finances daté de mars 2014… "Dans les prochaines semaines, nous allons continuer le travail avec les différentes professions, avec les ministères, avec les partenaires sociaux, avec les parlementaires", a tenu à rassurer le ministre.
Emmanuel Macron a invoqué à plusieurs reprises "les milliers d'emplois" qui pourraient être créés par ces réformes, tout en soulignant le "besoin d’aménagement du territoire". Même si "on a moins de déserts que beaucoup de nos voisins", a-t-il fait valoir alors que les mesures envisagées suscitent de nombreuses craintes dans ce domaine. Aujourd’hui, "on ne peut pas relier Bordeaux et Lyon sans passer par Paris", a-t-il illustré, pour défendre la libéralisation du transport par autocar. De quoi absorber, selon lui, une part des pertes à venir dans le secteur du transport routier. Emmanuel Macron estime que l’autocar coûte "8 à 10 fois moins cher" que le train et représente déjà "4 à 5% de l’activité du secteur des transports dans les pays qui l’ont ouvert". "Cela ne veut pas dire que l’on va abandonner le train, a-t-il précisé, la SNCF y participera car elle a elle-même une activité en la matière." Les régions sont sur le qui-vive. Elles disent vouloir veiller à ce que ces mesures ne se fassent pas "au détriment de l’action menée en faveur des TER depuis de longues années". "En tant que futures Autorités organisatrices de la mobilité au niveau du territoire régional, elles doivent décider elles-mêmes d’autoriser ou non les dessertes par autocar impactant directement les TER", ont-elles réagi, mercredi, dans un communiqué, alors que Bercy parle d’une "ouverture totale et partout des lignes d’autocars, sans autorisation préalable".
Professions réglementées
Autre sujet – qui constitue sans doute le nerf du futur projet de loi : l’ouverture des professions réglementées. Pour ce qui est des professions juridiques, le travail se fait en concertation avec la ministre de la Justice, Christiane Taubira. La réforme visera à faciliter les installations, notamment chez les jeunes, mais aussi à ouvrir l’accès au capital de ces professions, à favoriser "l’interprofessionnalité" (notamment entre les huissiers, les administrateurs judiciaires et les mandataires) et à réglementer les tarifs des notaires au plus près des coûts réels. L'ouverture du capital serait limitée aux professionnels. "Il ne s'agit pas de financiariser" le secteur, a tenu à préciser le ministre. Il s’est également dit soucieux du "maillage territorial" de ces professions soulignant que le monopole des notaires sur les actes authentiques ne serait pas touché. Auditionné la semaine dernière par la mission d’information de l’Assemblée, le président du Conseil supérieur du notariat, Jean Tarrade avait mis en garde contre une "libéralisation totale d’installation" qui, selon lui, engendrerait "un coût particulièrement élevé de la justice pour le contribuable" (sachant qu’aujourd’hui, les offices, en particulier en milieu rural, permettent de résoudre quantité de petites affaires à titre gracieux). Jean Tarrade estime par ailleurs à 8 milliards d’euros le coût d’indemnisation en cas de suppression de la fonction notariale. En ce qui concerne l’installation de jeunes, il appelle le gouvernement à mettre à exécution le "plan d’aménagement des offices". Il propose aussi de s’inspirer des pharmacies pour "créer un service public organisé en fonction des besoins économiques de la population".
Travail le dimanche et en soirée
Concernant les pharmacies justement, les propositions ont été préparées avec la ministre de la Santé Marisol Touraine. L’idée est là encore d’ouvrir le capital des officines et de faciliter l’installation, alors qu’il existe aujourd’hui "une douzaine de règles… chaque maire le sait", a fait remarquer Emmanuel Macron. Il est également question de rendre plus transparent le prix des prothèses et de favoriser les ventes de produits pharmaceutiques sur internet. En revanche, "nous avons décidé de ne pas procéder à la commercialisation de médicaments en grandes surfaces", a insisté le ministre (la loi Hamon du 17 mars 2014 avait ouvert la voie en donnant la possibilité d’acheter des tests de grossesse et des lentilles de contact en grande surface).
L’autre gros sujet de crispations - qui ne touche pas uniquement l’économie mais le mode de vie - est le travail le dimanche et en soirée. "La plupart de ceux qui veulent travailler le dimanche ou en soirée n’en ont pas le droit", souligne le document de Bercy. Pourtant Emmanuel Macron le reconnaît lui-même : "environ 30% des Français travaillent (déjà) le dimanche" (c’est effectivement ce qu’indiquait une étude de la Dares, en 2012). Il y a une "vraie concertation à faire au niveau territorial", a déclaré le ministre, assurant vouloir "protéger les commerces en centres-bourgs"… Les mesures envisagées s’inspirent du rapport Bailly de décembre 2013. Il s’agira, pour les commerces non-alimentaires, de proposer aux maires d’avoir 12 dimanches en leur main (au lieu de cinq aujourd’hui). Sur le total, ils devront en utiliser au moins cinq. Les jours seront accordés aux commerçants sur simple demande et non sur autorisation préalable.
Dans les zones commerciales et touristiques, un nouveau critère de "potentiel économique" sera instauré. Dans les entreprises de plus de onze salariés, les employés seront payés double.
Le ministre envisage également la création de "zones touristiques de dimension internationale à fort potentiel économique" qui seront définies par décret. Là, le travail le dimanche et en soirée pourra être autorisé en cas d’accord majoritaire et sur la base du volontariat. Enfin, le ministre a évoqué une dizaine de gares où le trafic justifierait d’entrer dans le dispositif. Evoquant la concurrence d’Amazon qui, selon lui, réalise "un quart de son chiffre d’affaires le dimanche", Emmanuel Macron a assuré que "plusieurs milliers d’emplois seront créés à travers une telle mesure".
Entre 5 et 10 milliards de cessions des participations de l'Etat
Le projet de loi cherchera encore à réformer l’épargne salariale dans la lignée de la conférence sociale de juillet dernier, à réduire les délais de la justice prud'homale (27 mois en moyenne aujourd'hui) ou à diminuer les tarifs des sociétés d’autoroute tout en leur demandant d’investir davantage sur le territoire. "Nous allons étendre les compétences des autorités de régulation", a indiqué le ministre.
A côté de ces mesures sectorielles, le projet de loi comportera un volet sur l’investissement public et privé. Le ministre a annoncé à ce titre des cessions dans les participations de l’Etat de "5 à 10 milliards d’euros dans les dix-huit prochains mois". Sur le total, 4 milliards serviront au désendettement, le reste sera investi en "redéploiement". Il a dans le même temps précisé qu’aucun projet de privatisation d’EDF n’était à l’étude.
Emmanuel Macron souhaite voir le texte voté avant le printemps, afin de "prendre les décrets au plus vite". "Il faut raccourcir les délais", a-t-il martelé.