Santé / Social - Plan Maladies neurodégénératives : le successeur du plan Alzheimer manque de fonds
Après plusieurs annonces prématurées et reports successifs (voir nos articles ci-contre), Marisol Touraine, la ministre des Affaires sociales et de la Santé, Laurence Rossignol, secrétaire d'Etat chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie, et Geneviève Fioraso, secrétaire d'Etat chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche, ont présenté ce 18 novembre le plan Maladies neurodégénératives 2014-2019.
La chronologie est tellement embrouillée que le ministère finit lui-même par s'y perdre. Dans sa présentation des "Etapes clés d'élaboration du plan", le dossier de presse annonce ainsi "30 octobre : le plan Maladies neurodégénératives est lancé ; le dossier est accessible sur le site des ministères". Oubliant ainsi que la présentation du plan et sa mise en ligne ont finalement été reportées au 18 novembre...
Un risque de "fourre-tout" ?
Ces péripéties désormais oubliées, le principal changement, déjà annoncé de longue date, se lit dans l'intitulé du plan. Contrairement à ses trois prédécesseurs, il ne se limite plus à la seule maladie d'Alzheimer et aux troubles apparentés, mais s'étend désormais à d'autres maladies neurodégénératives (MND), comme la maladie de Parkinson (environ 150.000 personnes touchées en France) et la sclérose en plaques (85.000 personnes). Alzheimer reste toutefois la dimension principale du plan, avec ses 800.000 malades et la perspective de toucher environ 1,3 million de personnes à l'horizon 2030.
Ce choix de l'apparentement entre des maladies supposées voisines ne convainc pas tout le monde. A la veille de la présentation du plan, les associations s'inquiétaient déjà du risque de dilution des crédits. Elles redoutent également une approche "fourre-tout", alors que les trois maladies principales couvertes par le plan présentent des profils très différents, notamment dans leur date moyenne d'apparition : autour de 30 ans pour la sclérose en plaques, de 60 ans pour Parkinson et de 80 ans pour Alzheimer.
Une poursuite du déploiement des structures de prise en charge
Sur le fond, l'organisation générale du plan 2014-2019 était déjà connue depuis plusieurs mois. Sans surprise, il regroupe quatre axes, douze enjeux et 96 mesures. Premier axe : "soigner et accompagner tout au long de la vie et sur l'ensemble du territoire". Ceci recouvre à la fois le diagnostic, l'évaluation globale et partagée des situations (pour aboutir à un programme personnalisé de soins), l'accès à des soins de qualité tout au long de la vie avec la maladie et l'adaptation de la formation des professionnels.
Parmi les mesures prévues au titre de ce premier axe, figurent notamment le développement de l'éducation thérapeutique sur les MND, dans la lignée des recommandations de la Haute autorité de santé (HAS), ou encore la mise en place d'une expertise transversale à ces maladies, couvrant l'ensemble du territoire. Autres dispositions notables : le renforcement et l'adaptation de l'intervention des services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) et des services polyvalents d'aide et de soins à domicile (Spasad), le développement des ESA (équipes spécialisées Alzheimer) ou la poursuite du déploiement des Pasa (pôles d'accompagnement et de soins adaptés).
Du côté des Ehpad (établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes), le plan prévoit plusieurs mesures, comme l'adaptation des projets d'établissement pour mieux intégrer la dimension des MND, l'amélioration de la continuité des soins pour les personnes atteintes d'une MND et accueillies en Ehpad ou encore la poursuite du développement des UHR (unités d'hébergement renforcé) pour les malades les plus atteints. A noter : le plan prévoit aussi d'intégrer aux travaux sur la réforme de la tarification des Ehpad la prise en compte des effets des MND sur la prise en charge des résidents.
Enfin, et pour la première fois, certaines mesures sortent du champ de la maladie d'Alzheimer pour viser exclusivement d'autres MND : reconnaissance des centres experts sur la sclérose en plaque, amélioration des pratiques de neurostimulation (Parkinson)...
Adapter la société aux enjeux des MND
Le second axe prévoit de "favoriser l'adaptation de la société aux enjeux des maladies neurodégénératives et [d']atténuer leurs conséquences personnelles et sociales sur la vie quotidienne". C'est sans doute le plus attendu par les malades et leurs familles, en particulier autour de la question des aidants familiaux.
Il regroupe plusieurs enjeux : faciliter la vie avec la maladie, favoriser le lien social, les liens de proximité et la lutte contre l'isolement, soutenir les proches (dont les aidants familiaux), atténuer les conséquences économiques de la maladie et, enfin, faire des droits de la personne et de la réflexion éthique un levier de la conduite du changement.
De nombreuses mesures sont prévues à ce titre. Parmi les plus significatives, on retiendra notamment une plus grande mobilisation des aides techniques et des nouvelles technologies (dans l'esprit de la "Silver Economy"), l'amélioration de l'accès aux droits ou celle de l'accès aux assurances et au crédit (dans l'esprit des mesures déjà prises autour du cancer). De même, le plan prévoit d'accorder une priorité au maintien dans l'emploi aux personnes atteintes d'une MND, ce qui ne vise pas les malades d'Alzheimer (sauf les cas, rares, d'Alzheimer précoce).
Certaines mesures laissent toutefois le lecteur sur sa faim, notamment au regard de la promesse contenue dans leur intitulé. C'est le cas, par exemple, de celle visant à "atténuer les conséquences économiques de la maladie". Elle reprend en effet des mesures de portée générale déjà actées ou en projet (comme l'accès aux mécanismes de départ à la retraite spécifiques aux travailleurs handicapés prévus dans la loi du 20 janvier 2014) ou consiste essentiellement à mieux informer sur les droits existants les personnes atteintes d'une MND. De même, seules deux mesures visent spécifiquement les aidants familiaux. Il est vrai toutefois que ceux-ci devraient bénéficier des mesures prévues dans le projet de loi relatif à l'adaptation de la société au vieillissement, adopté en première lecture par l'Assemblée nationale en septembre dernier (voir notre article ci-contre du 15 septembre 2014).
Recherche et gouvernance
Les deux autres enjeux du plan portent sur le développement et la coordination de la recherche sur les MND - qui concernent moins directement les collectivités territoriales - et la gouvernance du plan. Sur la recherche, deux enjeux sont prévus : dynamiser et mieux coordonner la recherche sur les MND et mieux comprendre ces dernières pour prévenir leur apparition et ralentir leur évolution. Sur la trentaine de mesures prévues à ce titre, on retiendra en particulier la mise en place d'un comité pour piloter la recherche sur les MND, l'identification et la labellisation de centres d'excellence régionaux "assurant un continuum soin-recherche pour les maladies neurodégénératives", ou encore - plus insolite - la promotion du don de cerveaux (indispensable pour la recherche). A la jonction du médical et du social, il est également prévu de travailler à une meilleure compréhension des causes de rupture sociale (basculement dans la dépendance et délitement du lien social).
Côté gouvernance, un seul enjeu : "rendre effective la démocratie sanitaire et structurer la gouvernance dans le cadre de la mise en oeuvre du plan MND". Ceci passe notamment par le développement d'"outils robustes de pilotage et de suivi", mais aussi par une promotion des savoir-faire français au niveau européen et international (en particulier dans le cadre du G8 Dementia).
La plan donne également les noms des futurs pilotes du plan, à travers son comité de suivi. Contrairement aux plans précédents, c'est un trio de professeurs qui se voit confier la responsabilité principale en la matière : Michel Clanet, président du comité de suivi, Joël Ankri, vice-président, et Etienne Hirsch, président du comité de pilotage pour la recherche. Le comité de suivi comprendra, pour sa part, des représentants de l'Etat, des associations d'usagers et d'aidants, des professionnels et établissements sanitaires et sociaux, des collectivités territoriales, de la recherche et des organismes de protection sociale. Une équipe projet - à désigner - sera chargée de l'animation de la démarche et de la mobilisation des administrations et organismes concernés.
Et l'argent dans tout ça ?
Cela ne devrait pas échapper même au lecteur le plus distrait et - à coup sûr - n'échappera pas aux associations et aux acteurs de la prise en charge des MND : le plan 2014-2019 ne comporte aucun chiffrage et aucun engagement budgétaire, au niveau de l'ensemble du plan comme du détail des 96 mesures qui le composent.
Cette absence de chiffrage va même parfois au-delà du strict aspect budgétaire et touche la quantification des objectifs. Certaines mesures font certes l'objet d'objectifs précis. Par exemple, la mesure 27 sur le renforcement du déploiement des UHR en Ehpad prévoit explicitement la création de 68 UHR et 660 places supplémentaires sur la durée du plan. Même chose pour les Maia (maisons pour l'autonomie et l'intégration des malades d'Alzheimer), pour lesquelles le plan prévoit cent nouvelles unités. Mais, à l'inverse, la mesure 26 sur le développement des Pasa se contente d'indiquer que le plan prévoit de "poursuivre le déploiement des Pasa au sein des Ehpad de manière à assurer un bon maillage territorial de l'offre", sans aucun mention d'un objectif chiffré.
Ce pointillisme nuit forcément à la vision d'ensemble du plan et ne pourra sans doute pas résister longtemps aux questions des associations et des acteurs. Dans leur préambule au plan, les trois ministres signataires indiquent d'ailleurs que, "dans un contexte de réformes structurelles à mener et d'importantes contraintes sur les finances publiques, il est nécessaire de déterminer clairement nos priorités". Une phrase qui devrait rapidement trouver à s'appliquer...