Logement - Mobilisation du foncier public : une bonne raison pour faire bouger son programme local de l'habitat
"La mobilisation du foncier public ne pourra pleinement remplir ses objectifs que par une conjugaison des efforts de l'Etat et des collectivités", a déclaré Sylvia Pinel, mercredi 7 janvier, après avoir reçu le rapport sur la mise en œuvre du dispositif de mobilisation du foncier des mains de Thierry Repentin, président de la Commission nationale de l'aménagement, de l'urbanisme et du foncier (Cnauf) installée voici 6 mois.
Un rapport qui ne diffère pas fondamentalement – au moins sur le fond – du rapport parlementaire Linkenheld-Tétart de novembre dernier sur l'application de la loi du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social, dite "Duflot 1" (voir notre article ci-contre du 3 décembre 2014).
Réviser les PLH
Les objectifs de mise en chantier de logements sur ces anciens terrains publics ne sont pas chiffrés et ni la ministre du Logement, ni Thierry Repentin, ne s'y risquent, contrairement au programme de mobilisation du foncier public pour la période 2008-2012, qui s'était donné un objectif de 70.000 logements (dont 40 % sociaux) sur 500 sites identifiés, avec un taux de décote des prix de cession des terrains plafonné à 35%. 51.500 logements avaient été mis en chantier sur la période, soit 73% de l'objectif . Un résultat jugé insuffisant.
Pour le président de la Cnauf, l'urgence est aujourd'hui de convaincre les élus locaux du "changement radical de la politique publique de soutien au logement social" afin qu'ils l'intègrent au plus vite dans leurs PLH (programmes locaux de l'habitat), quitte à engager des révisions. Un "changement radical" initié par la loi du 18 janvier 2013 (voir notre article du 25 janvier 2013), et mis en œuvre notamment dans le plan de relance pour le logement dont Sylvia Pinel a la charge.
Plus le logement est social, plus il y a décote
Pour rappel, la loi du 18 janvier 2013 permet toujours à l'Etat de vendre à prix réduits des terrains lui appartenant, à condition que les programmes de construction comprennent du logement social. Mais cette fois, la cession des terrains peut se faire à titre gratuit. Ce sera toutefois l'exception car, comme le rappelle le rapport Repentin, "la gratuité du terrain ne peut se justifier que pour un programme exclusivement composé de logements très sociaux situés dans les zones très tendues". Pour résumer : plus il y a de logement social dans le programme et plus la décote est importante. La décote tient aussi compte de la réalisation d'équipements publics utiles aux habitants des logements sociaux. Et Thierry Repentin propose même qu'elle soit ouverte aux logements intermédiaires (statut qui n'existait pas encore lors du vote de la loi Duflot 1).
Bref, chaque opération se négocie dans la dentelle. Et c'est la grande mission de la Cnauf d'assurer ce travail d'artisan. "C'est sur le terrain qu'on arrive à trouver des solutions, dans le dialogue", est convaincu Thierry Repentin.
Seulement 11 terrains cédés : "le mouvement va s'accélérer"
Selon la Cnauf, au 31 décembre 2014, 11 terrains de l'Etat ont été cédés avec décote, en plus d'un terrain ferroviaire, qui permettront la réalisation de 3.000 logements dont 2.000 logements sociaux. Pas de quoi crier victoire. Mais son président le promet : "le mouvement va s'accélérer".
Preuve de la variété des situations, sur ces 11 premiers sites cédés, les taux de décote s'établissent de 26% à 84% et huit cessions ont bénéficié de taux de décote supérieurs à 50%. Le montant total de ces décotes représente un effort budgétaire de l'Etat de près de 27 millions d'euros. "Un chiffre supérieur au produit de la vente des terrains, qui s'élève à 25 millions d'euros", fait remarquer Thierry Repentin.
Le terrain le plus cher était celui de l'hôtel de police Castéja, à Bordeaux. D'une valeur vénale de près de 18 millions d'euros, il a été cédé à 12 millions d'euros, soit une décote de 33%, en vue de la réalisation de 224 logements dont 169 logements sociaux.
La décote la plus importante a été accordé également à un hôtel de police, à Saint-Malo cette fois. D'une valeur de 750.000 euros, il a été cédé un peu moins de 120.000 euros, soit une décote de 84%, en échange de la promesse de réaliser 15 logements, tous sociaux (5 PLAI et 10 Plus).
1.700 logements sur le site de la caserne Mellinet à Nantes dans 15 ans
Parmi ces 11 cessions de terrain, la toute récente Cnauf peut se prévaloir d'en avoir permis trois, à Nantes, Romainville et Pontoise. Trois opérations qui étaient bloquées.
A Nantes, il s'agit de la caserne Mellinet, d'une surface de 13 hectares, qui accueillera 1.700 logements dont 35% de logements sociaux et 30% de logements "abordables". D'une valeur de 19 millions d'euros, la caserne a été cédée 6,3 millions d'euros, avec une décote de 67%. Compte tenu de l'ampleur du projet, la réalisation du programme de construction a été planifiée sur 15 ans, alors que la loi du 18 janvier 2013 prévoit que les opérations mises en œuvre sur du foncier public soient achevées dans un délai maximum de 5 ans. La caserne Mellinet a en effet bénéficié d'une dérogation prévue par la loi pour l'accès au logement et à un urbanisme rénové (Alur) du 24 mars dernier.
A Romainville, "la situation était très tendue avec la municipalité", se souvient Thierry Repentin quand il a pris en charge le dossier. Finalement, le "Talus de l'A3" accueillera 177 logements dont 39 logements sociaux. Il a été vendu 590.000 euros avec une décote de 60%.
A Pontoise, un terrain d'Etat d'une valeur vénale de 2,5 millions d'euros a été vendu 150.000 euros pour construire 268 logements, tous sociaux. A la décote de 50%, se sont ajoutées la prise en charge par l'Etat des frais de démolition (700.000 euros) et une indemnité de 415.000 euros.
110 terrains publics prioritaires identifiés
La Cnauf assure que cinq autres terrains seront cédés avant la fin du 1er trimestre 2015 (à Lille, Rennes, Montpellier, Alès et Savigny-sur-Orge), tandis que deux cessions sont en cours d'arbitrage par le Premier ministre. Soit au total 15 projets de cession qui sont passés entre ses mains.
Et cela ne devrait pas s'arrêter là puisque "plus de 110 terrains publics prioritaires ont été identifiés par les préfets à la demande de la ministre, pour que leurs cessions puissent aboutir majoritairement avant la fin 2015 avec l'accompagnement de la Cnauf", assure le ministère.
La tâche ne sera pas facile. "Le logement social n'est pas la denrée la plus vendable pour les élus locaux auprès de leur population", ne peut que constater Thierry Repentin. Ce qui expliquerait que "l'ambition de l'Etat ne trouve pas toujours localement du répondant".
Plusieurs terrains auraient déjà été vendus sans les élections municipales de mars dernier qui ont "ralenti, voire interrompu, des négociations en cours", affirme-t-il dans son rapport. C'est ce qu'il s'est passé pour le site toulousain du CEAT-Ensica (Centre Essais Aéronautiques - École nationale supérieure d'ingénieurs de constructions aéronautiques), de 17,2 hectares avec un potentiel de plus de 700 logements. Le protocole d'accord signé pourtant le 9 juin 2014 (et en présence du président de la République) fait actuellement l'objet d'un réexamen par la nouvelle municipalité, qui envisage de diminuer le pourcentage de logements sociaux. "En fonction des orientations du nouveau programme d'aménagement, l'État pourrait être amené à reconsidérer la décote consentie sur cette opération", rapporte le préfet de région Midi-Pyrénées.
Et quand le bâti est réutilisable ?
Le rapport note également une dizaine opérations "suspendues dans l'attente d'un arbitrage sur leur éligibilité à la décote" dans la mesure où elles concernent non pas du foncier mais des immeubles comportant des logements existants vacants et n'ayant pas vocation à être démolis.
C'est le cas par exemple de la cité douanière à Saint-Louis, en Alsace. Le projet de cession prévoit une opération de remise en état des huit anciens logements de fonction des douanes pour en faire huit logements de type PLAI et par la création de deux logements supplémentaires de type PLAI dans les combles. Autre exemple à Thonon-les-Bains. Cette fois le projet porte sur un terrain composé de deux parties : une partie portant sur une opération de démolition-reconstruction éligible à la décote (avec une programmation sociale mixte : PLAI, Plus, PLS et accession sociale) et une autre partie correspondant à un bâtiment à réhabiliter pour mettre à niveau dix logements.
Vers un pilotage local plus efficace
Le président de la Cnauf propose dans son rapport des évolutions notamment pour renforcer l'accompagnement des acteurs (Etat et collectivités territoriales) en mettant en place des équipes dédiées à la mise en œuvre des projets au sein des préfectures.
Concernant le pilotage local, une circulaire "gouvernance" (en cours de finalisation) sera adressée aux préfets par le Premier ministre pour rappeler que "l'identification de nouveaux terrains publics est d'actualité". Son objet sera également de mieux articuler l'action des services locaux de l'État et de les préparer aux travaux qu'ils devront conduire avec les établissements publics, ferroviaires et de santé (et peut-être un jour avec les établissements publics de l'enseignement supérieur, comme l'envisage le ministère qui s'apprête à missionner une personnalité pour évaluer le potentiel).
Pour "fluidifier les négociations", le rapport de la Cnauf suggère "d'identifier un porteur de projet, dûment mandaté par le préfet de département pour conduire les négociations sur le foncier public". Autour de ce porteur de projet, une équipe dédiée serait officiellement investie par le préfet du rôle de pilotage opérationnel du dispositif. Dans l'esprit de la Cnauf, "cette équipe-projet pourrait être composée de l'ensemble des responsables de services territoriaux prenant part aux négociations sur le foncier public". Une suggestion bien accueillie par la ministre du Logement.
Sylvia Pinel a déclaré par ailleurs que, d'une manière générale, un de ses objectifs pour 2015 était d' "aller vers une approche plus territorialisée de la politique du logement".