Habitat - Mobilisation du foncier public pour le logement : le compte n'y est pas
Audrey Linkenheld, députée (PS) du Nord, et Jean-Marie Tétart, député (UMP) des Yvelines, ont remis leur rapport d'information, fait au nom de la commission des affaires économiques, sur l'application de la loi du 18 janvier 2013 de mobilisation du foncier public en faveur du logement et de renforcement des obligations de production de logement social.
Seulement huit cessions avec décote depuis le vote de la loi
La première mesure phare de la loi concernait l'instauration d'une décote, pouvant aller jusqu'à la gratuité, sur la cession de terrains appartenant à l'Etat et à certains de ses établissements (SNCF, RFF, RATP et VNF), en vue d'y construire des logements sociaux. Sur ce premier point, le rapport relève que tous les décrets d'application de la loi ont été publiés rapidement et qu'ils sont "globalement fidèles" à l'esprit de la loi. De ce fait, le dispositif "dispose de tous les outils nécessaires à sa réussite".
En revanche, l'application du texte s'est révélée très décevante. A ce jour, seules huit opérations de cession avec décote (sept de terrains de l'Etat et un terrain de RFF) ont été finalisées, malgré la mobilisation "rapide et forte" des pouvoirs publics. Celles-ci représentent 962 logements, dont 430 logements sociaux. La loi du 18 janvier 2013 a plutôt agi comme un facteur de déblocage, car ces huit cessions étaient déjà en discussion depuis un certain temps. Par ailleurs, huit autres cessions sont en cours de préparation et devraient être conclues "prochainement". On est donc très loin de la liste de 264 terrains de l'Etat publiée à l'automne 2013 à partir des remontées des préfets de région.
Des "blocages administratifs"
Les rapporteurs expliquent cet échec par "des blocages administratifs entre les services de l'Etat". Une expression qui recouvre l'accumulation de différents phénomènes : une méthode d'évaluation de France Domaine qui s'est révélée "peu transparente", des difficultés de négociation avec certains ministères (comme la Défense, dont la réduction de crédits budgétaires est gagée sur la vente de ses biens immobiliers), des blocages réglementaires sur certains types d'opérations...
Face à ce constat pour le moins mitigé, le rapport estime que "la mobilisation du foncier public doit désormais faire l'objet d'une démarche proactive de la part de l'Etat et de ses opérateurs". Ceci passe notamment par un effort accru de pédagogie et d'information, mais aussi par l'inscription de la mobilisation du foncier public dans le cadre, plus large, de la politique d'ensemble en faveur de l'accès au logement.
Pédagogie au Congrès des maires
C'est ce que s'est attaché à faire Thierry Repentin, président de la toute nouvelle Commission nationale de l'aménagement, de l'urbanisme et du foncier (Cnauf) installée en juillet dernier, au dernier Congrès des maires. Dans un atelier sur le logement organisé le 27 novembre dernier, il a d'abord rappelé aux élus locaux que "partout où vous avez du foncier public d'Etat, la décote est de droit dès lors que le programme que vous envisagez comporte 75% de logements sociaux". Ensuite, a-t-il précisé, la décote est d'autant plus importante que la part de logements très sociaux est importante (100% pour les PLAI, 75% pour les PLUS, 50% pour les PLS). "L'Etat accepte de prendre en compte les équipements publics (crèches, écoles) réalisés pour accueillir la population nouvelle" et "on regarde également les coûts de démolition, de dépollution…", a-t-il complété. "C'est une nouvelle aide à la pierre !", a-t-il résumé.
Quant à la liste de terrains de l'Etat publiée à l'automne 2013, il la considère comme "un vivier". Dès lors, "si d'aventure, dans vos territoires, vous avez connaissance d'une propriété d'Etat en friche dont vous pensez qu'elle peut être intéressante pour un projet, parlez-en à votre préfet !", a invité Thierry Repentin (la Cnauf ne pouvant être saisi que par le préfet ou par un ministre, même si son président s'est montré ouvert à des échanges informels).
25% de logements sociaux : des objectifs de rattrapage "très élevés"
Sur la seconde mesure phare de la loi de 2013 - le relèvement à 25% de la part minimale de logements sociaux nécessaires dans chaque commune (loi SRU) et le quintuplement potentiel des pénalités -, le bilan apparaît également mitigé. Si le cadre réglementaire a été publié, son application a parfois conduit "à des inégalités de traitement absurdes au sein d'un même EPCI", du fait d'un problème d'articulation entre la notion d'aire urbaine et celle d'EPCI. En outre, les conséquences de l'entrée de communes rurales dans un EPCI de plus de 50.000 habitants ont pu également être vécues de façon brutale.
Le rapport constate également que les objectifs de rattrapage induits par la loi de 2013 sur la période triennale 2014-2016 sont parfois "très élevés" (progression de ces objectifs de 180% en Ile-de-France, de 95% en Gironde...). Mais ces objectifs élevés sont "à la hauteur des besoins réels".
Mobiliser les préfets
La possibilité de multiplier le prélèvement par cinq - applicable dès le bilan de la période triennale 2001-2013 - a eu également des conséquences très concrètes. En 2014, les prélèvements opérés sur les communes ne respectant pas leurs obligations légales ont ainsi augmenté de 62%, pour atteindre 50,2 millions d'euros, contre 30,9 millions l'année précédente.
Enfin, le rapport estime nécessaire de revoir le fonctionnement du fonds national de développement d'une offre de logements locatifs très sociaux (FNDOLLTS), alimenté par ces prélèvements. En particulier, la méthode de l'appel national à projets, retenue pour attribuer les subventions du fonds, s'est révélée inadaptée, puisque seuls les deux tiers des subventions prévues ont pu être attribués lors du premier appel à projets. Les rapporteurs "recommandent donc au gouvernement d'abandonner le principe d'appels à projets nationaux spécialisés, afin d'intégrer directement la quasi-totalité de ces fonds aux enveloppes régionales des aides à la pierre de l'Etat consacrées aux logements PLAI" (prêts locatifs aidés d'insertion).
Ils lui recommandent également d'inciter les préfets à "utiliser plus largement leurs pouvoirs dans les communes carencées". S'ils utilisent effectivement le droit de préemption urbain (DPU) - qui leur est automatiquement transféré dans les communes carencées -, ils le font "en bonne intelligence avec les maires". Les rapporteurs constatent aussi que "la faculté, ouverte par la loi Alur, d'exercer la compétence de délivrance des permis de construire dans certains secteurs, est en revanche, pour l'instant, encore très peu utilisée".