Accès aux soins - Médecine libérale : le rapport Legmann appelle à des réformes "audacieuses", Nicolas Sarkozy lance une concertation
Le docteur Michel Legmann, président du Conseil national de l'ordre des médecins, a remis au chef de l'Etat son rapport sur la "Définition d'un nouveau modèle de la médecine libérale". Cette remise intervient quelques jours après la publication, par ce même Conseil de l'ordre, des atlas régionaux de la démographie médicale, qui montrent la croissance des inégalités entre régions (voir notre article ci-contre du 13 avril 2010).
Fruit des réflexions d'un groupe de travail associant élus, médecins libéraux, personnalités et experts qualifiés, le rapport Legmann souligne d'emblée un paradoxe : le nombre de médecins n'a jamais été aussi élevé en France (216.017 médecins en activité inscrits au tableau de l'ordre au 1er janvier 2009, dont 94.909 généralistes et 101.199 spécialistes), mais jamais non plus les inégalités régionales et les difficultés d'accès aux soins dans certains territoires n'ont été aussi présentes. Différents facteurs expliquent cette apparente contradiction : les inégalités dans la densité médicale (238 médecins pour 100.000 habitants en Picardie, 375 en région Paca), le vieillissement des médecins en exercice qui va se traduire par des cessations massives d'activité (42% des médecins sont âgés de 55 ans et plus), la poursuite de la féminisation (les médecins femmes produisant environ 30% de soins en moins que les hommes en raison des contraintes familiales), l'attrait croissant pour l'exercice non libéral (sur 5.176 nouveaux médecins inscrits à l'ordre en 2008, 9% avaient choisi un mode d'exercice libéral exclusif, 66% le statut de salarié et 25% celui de remplaçant) et, enfin, les conséquences inévitables du numerus clausus sur les dix prochaines années. A ces phénomènes sociodémographiques s'ajoute la concentration de l'activité médicale dans les pôles urbains dotés d'un CHU. Le rapport n'hésite donc pas à évoquer une "crise de l'attractivité de la médecine libérale" qui, compte tenu du rôle essentiel de cette dernière dans les zones rurales, risque de peser lourdement sur l'accès aux soins.
Pour sortir de cette impasse, le rapport appelle à des "réformes audacieuses" et en suggère lui-même plusieurs. Il préconise notamment de mettre en place, dans chaque région, un "guichet unique" pour les candidats à l'installation, de permettre une plus grande association des médecins généralistes au dépistage et à la prévention, ainsi que de supprimer des mesures "vexatoires" comme l'obligation pour les médecins libéraux de déclarer leurs congés dans le cadre de la continuité des soins. Plus délicat : le rapport propose la suppression - avant même qu'il soit mis en oeuvre - du "contrat solidarité santé" prévu par la loi HPST du 21 juillet 2009, jugé "peu opérationnel" (obligation pour les médecins des zones surdotées d'apporter une assistance à leurs collèges des zones défavorisées, sous peine de sanctions financières). En matière de conditions d'exercice, le rapport préconise de développer les dispositifs d'aide au regroupement et de créer des "plateformes de services" permettant de mutualiser des moyens et des ressources humaines. Plus original : la création de nouvelles fonctions avec les "assistants de santé" (chargés de la gestion d'un cabinet médical regroupé) et les "coordonnateurs d'appui" (chargés de faire vivre les réseaux). D'autres préconisations concernent la modernisation des systèmes d'information, le développement de la télémédecine, l'amélioration de la protection sociale (avec la question du congé maternité, amélioré en 2006 et 2008, mais qui reste moins favorable que pour les salariés), la diversification des rémunérations de l'activité libérale (avec notamment un paiement au forfait pour certaines activités ou pathologies) et celle des activités (avec le développement de l'activité mixte libérale/hospitalière, à l'encontre de la tendance à l'oeuvre depuis la réforme Debré de 1958).
Après avoir pris connaissance de ce rapport, Nicolas Sarkozy s'est rendu, le 16 avril, à Livry-Gargan (Seine-Saint-Denis), où il a visité un cabinet médical et participé à un déjeuner de travail avec des professionnels de santé. A cette occasion, le chef de l'Etat a annoncé que c'est Elisabeth Hubert qui sera chargée de conduire la "grande concertation" devant permettre d'"apporter des réponses structurelles au malaise de la médecine de proximité". Cette mission "va s'étaler entre le mois de mai et le mois de septembre", a-t-il précisé. Elisabeth Hubert sera chargée de "nous proposer des mesures structurelles de façon à ce qu'il y ait des nouveaux jeunes qui souhaitent épouser la carrière de généraliste, de nouveaux médecins qui souhaitent épouser l'itinéraire de la médecine de proximité", a-t-il ajouté devant la presse.
Elisabeth Hubert a été députée de Loire-Atlantique et fut quelques mois ministre de la Santé et de l'Assurance maladie du premier gouvernement Juppé en 1995. Elle est aujourd'hui la présidente de la Fédération nationale des établissements d'hospitalisation à domicile (Fnehad).
Répondant à l'une des grandes revendications des médecins libéraux, Nicolas Sarkozy a par ailleurs confirmé que le prix de la consultation chez un médecin généraliste passera de 22 à 23 euros "à la fin de l'année". "La décision est prise", a-t-il tranché. Dans un communiqué, l'Elysée a précisé que cette hausse entrerait effectivement en vigueur à compter du 1er janvier 2011.
Jean-Noël Escudié / PCA