Accès aux soins - Maisons de santé : un dispositif "à bout de souffle"
Jean-Marc Juilhard, sénateur du Puy-de-Dôme, Guy Vallancien, professeur de médecine, Bérengère Crochemore, ancienne présidente de l'Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (Isnar-MG), et Annick Touba, présidente du Syndicat national des infirmiers et infirmières libérales (Sniil), ont remis ce 19 janvier leur rapport sur "Le bilan des maisons et des pôles de santé et les propositions pour leur développement". Commandité par trois ministres (Santé, Aménagement du territoire et Politique de la ville), ce travail, coordonné par l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), dresse un constat sans appel des maisons de santé : "Le dispositif de premier recours est à bout de souffle. Il ne répond plus ni aux attentes des professionnels, ni aux préoccupations des autorités publiques et n'est plus apte à répondre aux évolutions démographiques et épidémiologiques de la population".
En signant ce rapport, le sénateur du Puy-de-Dôme n'hésite pas à contredire ses collègues de la commission des affaires sociales qui, dans un rapport d'information sur la démographie médicale publié en octobre 2007, plébiscitaient "l'expérience convaincante des maisons de santé", tout en suggérant un certain nombre d'aménagements. A l'époque, le rapporteur n'était autre que... Jean-Marc Juilhard (voir notre article ci-contre du 11 octobre 2007). Plus récemment, une "évaluation exploratoire" de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes), réalisée à la demande de la Caisse nationale d'assurance maladie, se montrait également favorable à la formule, tout en soulignant les progrès à réaliser.
Des blocages administratifs et juridiques
Il est vrai que la contradiction entre ces différents documents est plus apparente que réelle. En dépit de ses jugements définitifs sur un dispositif "à bout de souffle", le rapport remis à Roselyne Bachelot-Narquin ne condamne pas les maisons et les pôles de santé comme outil de lutte contre les déserts médicaux. Il en souligne au contraire les effets bénéfiques potentiels, mais il met en cause les modalités de leur mise en oeuvre.
Côté positif : l'intérêt évident et le dynamisme du dispositif, qui connaît un "foisonnement d'initiatives", en particulier grâce à l'intervention des collectivités territoriales. Se fondant sur les financements du Fonds d'intervention pour la qualité et la coordination des soins (FIQCS), le rapport estime ainsi à 160 maisons de santé et 25 pôles de santé le nombre de structures en fonctionnement à la fin de 2009. Les auteurs relèvent aussi une montée en charge des nouvelles structures "en voie d'accélération rapide". Leur répartition territoriale est toutefois très inégale, avec des pôles de santé qui se développent principalement dans le nord-ouest et des maisons de santé qui se développent plutôt à l'est. Par ailleurs, l'implantation dans les zones périurbaines se révèle un "échec relatif", mais il est vrai que celles-ci sont mieux couvertes par les centres de santé traditionnels. Toujours au crédit du système : le développement d'un socle commun partagé par l'ensemble des parties, autour de l'élaboration d'un projet de santé.
Côté négatif, les griefs ne manquent pas. La principale difficulté tient à la fragilité juridique et financière de ces structures, qui "oblige les promoteurs-professionnels de santé à des montages complexes [et] introduit des risques sociaux, fiscaux et de responsabilité professionnelle". Autre obstacle : les modalités de rémunération classiques "ne permettent ni de valoriser les nouvelles missions, ni d'adopter un cadre souple de répartition entre professionnels des ressources financières". Le mode de rémunération est particulièrement peu incitatif pour les infirmiers libéraux. Enfin, l'impossibilité légale de disposer d'un dossier du patient unique et partagé constitue une entrave au quotidien. Faute d'une aide à l'ingénierie de projet, ces difficultés contraignent les professionnels des maisons et pôles de santé à s'engager dans des démarches "chronophages".
Vers un statut de "société maison de santé" ?
Pour "faciliter l'émergence du dispositif de premiers recours de demain", le rapport formule sept séries de mesures. La première consiste à créer une marque collective "maisons de santé", avec un cahier des charges précis. La seconde passe par l'adoption d'un cadre juridique spécifique, qui pourrait utilement s'inspirer du groupe de coopération sanitaire (GCS) ou passer par la création d'une "société maison de santé". Ce cadre juridique devrait également permettre un partage du dossier du patient (tout en respectant les droits de ce dernier). Troisième axe : la mise en place de nouveaux modes de rémunération, combinant approche forfaitaire et à l'activité. Cette réforme du financement doit également concerner la création des maisons et pôles de santé, avec la mise en place d'un fonds national pérenne. Sur ce point, le rapport considère que "l'aide à l'investissement relève d'abord des professionnels et des collectivités territoriales qui le souhaitent, l'aide de l'Etat ne devant intervenir que dans une logique de subsidiarité et de répartition territoriale équitable". L'accompagnement des professionnels est une autre priorité, en particulier sous la forme d'une mission d'appui nationale, de guichets uniques régionaux et du déploiement de système d'information partagés. Dans le même esprit, le cinquième axe prône une logique d'engagements réciproques entre autorités publiques et professionnels de santé (contractualisation et évaluation). Plus obscur, le sixième axe préconise de "répondre aux attentes" par des incitations spécifiques dans le cadre des dispositifs "espoir banlieue" et de développement rural. Dans ce cadre, les collectivités doivent être étroitement associées aux choix régionaux qui seront effectués par les agences régionales de santé (ARS). Enfin, le dernier axe consiste à faire des maisons et pôles de santé des lieux de formation et des terrains de stages privilégiés pour les étudiants.
La ministre de la Santé ne s'est pas encore prononcée sur les propositions qui lui ont été soumises. Mais, lors de ses voeux au monde de la Santé, le 12 janvier, le chef de l'Etat a tenu à souligner la place indispensable du médecin de proximité - et plus particulièrement du généraliste - pour assurer à la population un accès aux soins sur tout le territoire. Nicolas Sarkozy a notamment indiqué que "nous devons offrir aux praticiens qui le souhaitent la possibilité d'exercer dans des maisons de santé, des centres de soins ambulatoires" et proposé d'"inventer un nouveau modèle de soins de premier recours qui fasse toute sa place à la médecine libérale". Un modèle dans lequel les maisons de santé devraient, elles aussi, trouver toute leur place.
Jean-Noël Escudié / PCA