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Formation professionnelle - Malgré des ajustements, le CPF inquiète toujours les organismes de formation

Après deux ans de mise en œuvre du compte personnel de formation (CPF), les acteurs du secteur de la formation font le point. L'hécatombe annoncée par le mouvement des Hiboux l'an dernier n'a pas eu lieu, mais les défaillances ont doublé dans le secteur et le chiffre d'affaires a baissé en moyenne de 15 à 25% chez les organismes de langue. En cause : des listes de formations trop restrictives et une évolution moins rapide que prévue... A ce jour, on compte 3,3 millions de comptes ouverts sur un total de 40 millions d'actifs éligibles à terme (aujourd'hui seuls le sont les salariés et les demandeurs d'emploi).

Plus de deux ans après la loi relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale du 5 mars 2014, la mise en oeuvre du compte personnel de formation (CPF) suscite pas mal de déception chez les organismes de formation. "Il y a une lourdeur du système", juge Jean Wemaëre, président de la Fédération de la formation professionnelle (FFP), qui regroupe 550 organismes de formation. Le CPF est le dispositif phare de cette loi. Depuis janvier 2015, il remplace le droit individuel de formation (DIF). Censé permettre d'acquérir des compétences reconnues par une qualification, une certification ou un diplôme, en lien avec les besoins de l'économie, il se voulait très opérationnel. Il suffit en effet d'ouvrir un compte sur le site www.moncompteformation.gouv.fr conçu et développé par la Caisse des Dépôts. Mais à ce jour, un peu plus de 3,3 millions de comptes ont été ouverts (au 28 août 2016), sur les quelque 40 millions d'actifs, même si pour l'heure seuls les salariés et les demandeurs d'emplois y ont accès, soit environ 20 millions de personnes. L'ouverture aux fonctionnaires est prévue au 1er janvier 2017 (voir ci-contre notre article du jour "Compte personnel de formation : de nouveaux droits pour les agents ?"). Pour les professions libérales et les travailleurs indépendants, il faudra attendre le 1er janvier 2018.
120.000 nouveaux comptes sont ouverts chaque mois et 500.114 formations ont été validées à ce jour. Environ 37.400 dossiers sont validés chaque mois. Les formations les plus demandées sont le Cléa (socle de connaissances et compétences), les tests d'anglais (TOEIC et Bulats), les stages de préparation à l'installation (SPI), l'accompagnement à la validation des acquis de l'expérience (VAE) et le diplôme d'aide-soignant.
"Il y a une différence importante entre le nombre de personnes qui créent leur CPF et le nombre de personnes qui demandent une formation, il faut réduire ce fossé", explique à Localtis Arnaud Portanelli, porte-parole des Hiboux, mouvement créé en 2015 afin de suivre la mise en oeuvre du CPF. Pour lui, "l'augmentation du nombre de CPF est insuffisante", le dispositif "ne décolle pas comme prévu".

Un chiffre d'affaires en baisse de 15 et 25% pour les organismes de de langue

D'après les acteurs du secteur, l'une des explications de ce démarrage en lenteur réside dans le caractère trop restrictif des formations éligibles au CPF, gérées par le Comité paritaire interprofessionnel national pour l'emploi et la formation (Copanef). Outre le socle de compétences et la VAE, les salariés peuvent mobiliser leur CPF uniquement pour les formations inscrites sur les listes élaborées par les partenaires sociaux : la liste élaborée au niveau national par le Copanef, au niveau régional par les Coparef, et les listes des branches professionnelles.
A l'heure actuelle, 11.000 formations sont éligibles mais la liste (actualisée chaque mois) "n'est pas assez ouverte", considère Arnaud Portanelli. "L'anglais fait maintenant partie de la liste (elle n'y était pas initialement, ndlr) mais certaines langues, comme le chinois ou l'arabe n'y sont pas, il y a beaucoup de trous dans la raquette. Il faudrait doubler le nombre des formations éligibles." Dans son livre blanc publié en juin 2016, la FFP a demandé au gouvernement d'ouvrir davantage le dispositif. Quant aux listes proposées par les régions, elles sont encore balbutiantes. "Elles s'en occupent, mais elles ont eu beaucoup de mal à créer les Crefop (consultés sur les listes interprofessionnelles régionales, ndlr) et ont perdu beaucoup de temps là-dessus", précise Arnaud Portanelli.
Dans ce contexte hésitant, le secteur de la formation professionnelle est à la peine. D'après Andrew Wickham, consultant en formation de la société Linguaid, dans le marché de la formation linguistique, le chiffre d'affaires est en baisse de 15 à 25% en moyenne en 2015 et la marge passe sous la barre de 1%. "La loi a changé la donne assez fondamentalement avec un plan de formation devenu facultatif", déplore-t-il. Il y a un an, les Hiboux estimaient que 25.000 organismes de formation risquaient de fermer. Certes, l'hécatombe annoncée n'a pas eu lieu, mais le taux de défaillances a toutefois doublé : 183 défaillances d'organismes généralistes entre le 1er janvier et le 5 juillet 2016, après 142 en 2015 et 68 en 2014. Côté formation linguistique, le nombre de défaillances s'élève à 15 au 5 juillet 2016, dont 13 ayant un chiffre d'affaires de plus de 100.000 euros.

Un appel d'air après 2017 ?

Autre problème : la formation peut être réalisée pendant le temps de travail avec l'accord de l'employeur ou hors du temps de travail. "Cela reste complexe avec des formations qu'il faut suivre hors du temps de travail alors que le DIF se faisait majoritairement pendant son temps de travail", explique Jean Wemaëre.
Malgré ce lent démarrage, plusieurs éléments permettent d'espérer une accélération. "Cela va monter en puissance même si ce n'est pas de manière exponentielle", veut croire Jean Wemaëre, dont le livre blanc a été bien accueilli par le gouvernement. Confiant sur le moyen terme, le président de la FFP explique que les besoins en formation sont indispensables, "les deux tiers des métiers actuels étant amenés à évoluer d'ici cinq à dix ans". Arnaud Portanelli, qui estime qu'il y aurait dû y avoir un an de transition, espère quant à lui que les chiffres du CPF vont exploser et se montre assez enthousiaste sur le futur compte personnel d'activité (CPA). Créé dans le cadre de la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, le CPA, doit absorber le CPF mais aussi le compte personnel de prévention de la pénibilité et, à terme, le nouveau compte d'engagement citoyen (CEC). Il sera ouvert pour chaque personne qui débute sa vie professionnelle et qui pourra ainsi accumuler des droits et décider de leur utilisation (formation, accompagnement dans un projet de création d'entreprise, bilan de compétences, passage à temps partiel ou départ anticipé à la retraite pour ceux qui ont occupé des emplois pénibles). Le CPA doit permettre de couvrir tous les actifs : les salariés du secteur privé et les demandeurs d'emploi (à partir du 1er janvier 2017) et les travailleurs indépendants (à partir du 1er janvier 2018). Pour les fonctionnaires, une concertation avec les organisations syndicales doit définir précisément leurs droits. "Cela va dans le bon sens", assure Arnaud Portanelli, qui se méfie toutefois des changements, voire des nouvelles réformes à venir, après 2017…

 

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