Habitat - Logement : un semestre à toute Alur
Rarement un texte sur le logement aura occupé autant de place dans le débat public que la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur). Au sens propre tout d'abord, puisque Alur est un véritable monument juridique, avec ses 177 articles, ses 169 pages au Journal officiel (oui, 169 !) et ses 200 et quelques décrets d'application. La passion française de l'encadrement et de la norme trouve là, sans conteste, l'une de ses expressions les plus abouties... (pour le contenu de la loi Alur, et plus particulièrement les dispositions intéressant les acteurs locaux, voir nos deux articles ci-contre 27 mars 2014).
Au sens figuré ensuite, puisque la loi Alur a fait l'effet d'un éléphant dans un magasin de porcelaine. La polémique a commencé dès la présentation du projet de loi, a enflé avec le débat parlementaire et ne s'est pas calmée - bien au contraire - après la publication de la loi...
Alur, responsable de l'effondrement de la construction ?
La presque totalité des principales dispositions d'Alur ayant donné lieu à polémiques, on se gardera ici d'en égrener la liste, pour retenir plutôt les éléments transversaux. Ainsi, Alur est accusée d'être à l'origine de l'effondrement de la construction de logements (voir nos articles ci-contre du 12 mai et du 30 juillet 2014). Sur un plan juridique, le reproche est difficilement recevable, dans la mesure où pratiquement aucune disposition de la loi n'est encore entrée en vigueur, faute de décrets d'application. En revanche, il est très vraisemblable que les inquiétudes et les polémiques autour du texte ont inquiété les acteurs et pesé sur les anticipations. Des incertitudes d'autant plus grandes que certaines dispositions ont fortement évolué au cours de l'élaboration du texte. Faut-il, par exemple, évoquer le cas de l'encadrement des loyers ou celui de la GUL, la garantie universelle des loyers ? Pour être complet, il faut néanmoins rappeler que la chute de la production de logements a débuté dès 2011-2012 et qu'elle ne s'est pas particulièrement aggravée avec la perspective de la mise en œuvre d'Alur.
Autre reproche de portée générale : la grande complexité des dispositions prévues par la loi, voire, pour certaines d'entre elles, un côté "usine à gaz". Un simple coup d'œil sur le texte - avec ses articles qui font parfois plusieurs pages - suffit à donner corps à ce reproche.
A noter : on peut aussi faire le reproche inverse à certaines dispositions d'Alur. Celles sur l'encadrement des loyers, par exemple, pêchent par leur effet un peu simpliste et mécanique, qui cadre mal avec la complexité des marchés immobiliers et l'existence de micro-marchés.
S'appliquera, s'appliquera pas ?
A ces différentes polémiques qui ont fleuri tout au long de l'élaboration de la loi, s'en ajoute une autre, apparue après la publication du texte : finalement, la loi Alur sera-t-elle vraiment appliquée ? La question est née d'abord du changement de titulaire du portefeuille du Logement. Le passage de Cécile Duflot à Sylvia Pinel n'est pas seulement un changement de ministre. C'est un changement de méthode - notamment en termes de dialogue avec les acteurs -, mais aussi et surtout d'approche (voir notre article ci-contre du 24 avril 2014). C'est peu dire que Sylvia Pinel ne montre pas un enthousiasme débordant sur certaines dispositions d'Alur. Elle est relayée en cela - sinon précédée - par Manuel Valls. Le Premier ministre n'a en effet pas caché ses réserves et a même publiquement évoqué la remise en cause de certaines dispositions. Il est d'ailleurs passé de la parole aux actes, même si c'est, pour l'instant, sur un point assez secondaire. Un amendement à la loi sur la simplification de la vie des entreprises autorise en effet le gouvernement à "ajuster" par ordonnance les dispositions d'Alur sur les transactions immobilières. De là à imaginer qu'il s'agit du début d'un "détricotage" de plus grande ampleur portant sur d'autres dispositions du texte...
Des décrets qui tardent à venir
A ce premier "coup de canif" s'ajoute la lenteur dans la parution des décrets. Bien qu'annoncés, ceux concernant les dispositions les plus polémiques tardent non seulement à paraître, mais même à être mis en concertation. Le gouvernement procède d'ailleurs à une habile translation en mettant en avant la relance de la construction neuve et la simplification des règles dans le logement (voir nos articles ci-contre du 19 mai et du 25 juin 2014). Cela tombe d'autant mieux que la simplification des règles dans le logement pourrait justement conduire à revoir certaines dispositions... de la loi Alur.
Enfin, certaines dispositions de la loi pourraient voir effectivement le jour, mais à un format réduit. Ainsi, il est ainsi admis de façon quasi certaine que l'encadrement des loyers - s'il voit réellement le jour - se limitera finalement à la seule région parisienne.
Pourquoi tant de haine ?
Si le gouvernement se montre ainsi soucieux de détourner l'attention de la loi Alur, c'est qu'il sent bien que ce texte est devenu un véritable "cristallisateur" de mécontentement. Rien d'étonnant du côté des professionnels de la construction, qui n'ont pas attendu la publication de la loi pour faire connaître leurs griefs.
Mais le mécontentement gagne aujourd'hui d'autres publics, à commencer par les élus locaux. Un seul exemple, rapporté par le quotidien Ouest France : les élus du pays d'Auge (Calvados et Orne) découvrent ainsi que la loi Alur complexifie, voire interdit, toute nouvelle construction, mais aussi les extensions, dans certaines zones classées comme agricoles (A) ou naturelles (N) par les documents d'urbanisme. Ainsi, environ 3.500 habitations de la communauté de communes "Lintercom Lisieux Pays d'Auge Normandie (40.000 habitants) se trouveraient en zone A ou N. Pour Serge Tougard, vice-président de Lintercom, plusieurs permis de construire ont déjà été annulés ou refusés et des compromis de vente remis en cause : "Pour les artisans du bâtiment, les architectes, les notaires, on court à la paralysie." De son côté, le sénateur (UMP) Ambroise Dupont - président du Scot nord pays d'Auge - va adresser "une motion et des courriers" au gouvernement, tandis que le vice-président de Lintercom se dit prêt "à descendre manifester dans la rue avec d'autres maires pour faire bouger les choses". A quand les bonnets rouges de la loi Alur ?...