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Désindustrialisation - Les villes moyennes appellent à un "rebond industriel"

Concentrant à elles seules 60% de l'activité industrielle, les villes moyennes veulent encore croire qu'elles peuvent gagner la bataille de la mondialisation, malgré le constat accablant de la désindustrialisation. Dans un manifeste présenté le 15 novembre, elles appellent à un "rebond industriel", n'hésitant pas à piocher quelques idées en Allemagne.

Avec 14.000 salariés directs, Disneyland Paris est devenu le premier employeur mono-site de France, détrônant ainsi le site de PSA à Sochaux. Symbole d'une société du tourisme et du divertissement qui depuis vingt ans a tourné le dos à son industrie. Ce parallèle, c'est le directeur général adjoint du pays de Montbéliard Agglomération, Jérôme Thévenot, qui l'a dressé, le 15 novembre, lors du premier "Rendez-vous de l'intelligence locale" organisé par la FMVM (Fédération des maires de villes moyennes), dans les locaux de la Caisse des Dépôts. Une première consacrée à la désindustrialisation, nouveau cheval de bataille des maires des villes moyennes qui concentrent à elles seules 60% de l'activité industrielle hexagonale.
A cette occasion, les élus ont adopté un manifeste appelant à un "rebond industriel français". "C'est une obligation morale, partagée par l'ensemble des forces politiques : il faut stopper la désindustrialisation", a clamé Christian Pierret, le président de la FMVM, mais aussi ancien secrétaire d'Etat à l'Industrie.
Une tâche qui s'avère ardue pourtant : 700.000 emplois ont été supprimés depuis 2000. Dans le même temps, le poids de l'industrie dans l'économie française est ainsi passé de 17,8% à 12,6% du PIB… C'est moins que le Royaume-Uni, pourtant toujours présenté comme le pays des services. A ce rythme, l'industrie française aura complètement disparu en 2035, a alerté le directeur général de la Caisse des Dépôts, Augustin de Romanet, citant l'économiste Patrick Artus (co-auteur avec Marie-Paule Virard du livre "La France sans ses usines", chez Fayard)  : "Nos enfants n'auront plus d'industrie si l'on continue comme cela."

Politique industrielle européenne

Après des années de laisser-faire, le ton a pourtant changé. D'un bout à l'autre de l'échiquier politique, on vante les bienfaits de l'industrie pour l'économie des territoires. "Si nous ne voulons pas devenir un grand musée, il va falloir se retrousser les manches", a averti l'ancien Premier ministre Edith Cresson, pour qui la situation est une "véritable tragédie". Et de tancer l'aveuglement de la Commission européenne qui pendant des années a refusé toute politique industrielle avant d'opérer "une véritable révolution culturelle". Ce revirement s'est traduit dans une communication intitulée "Une politique industrielle intégrée à l'ère de la mondialisation", adoptée le 28 octobre 2010. Mais elle reste bien timide au regard de la concurrence mondiale. Louis Gallois, président exécutif d'EADS et du think tank "La Fabrique de l'industrie", a ainsi plaidé pour une politique commerciale de "réciprocité", notamment en matière environnementale : "On est en train de faire passer cette idée au niveau européen", a-t-il déclaré. Il a également mis en cause la politique monétaire de l'Union européenne rappelant que "quand l'euro augmente face au dollar, la compétitivité baisse". Il évalue ainsi à 3 milliards d'euros le surcoût sur les résultats de son groupe depuis 2006.

Etat stratège

En France, les états généraux de l'industrie ont au moins marqué une prise de conscience. Des sénateurs aussi se sont penchés sur la question avec la publication en avril dernier d'un rapport ("Réindustrialisons nos territoires"), formulant 17 propositions. Or selon Alain Châtillon, sénateur de la Haute-Garonne et co-auteur du rapport, ces mesures tardent à voir le jour. "Je n'ai pas vu l'ombre d'un soupçon de ce que nous avons proposé", a-t-il lancé à l'adresse du gouvernement. Le ministre de l'Industrie Eric Besson a eu l'occasion de lui répondre quelques heures plus tard lors d'une séance de questions cribles au Sénat indiquant que plusieurs d'entre elles avaient été mises en œuvre, comme la confidentialité des données stratégiques, les indications géographiques protégées, sans parler des 35 milliards d'euros d'investissements d'avenir. Et d'inviter le sénateur à venir présenter ses propositions devant la Conférence nationale de l'industrie pour leur "donner l'impulsion nécessaire".
Pendant ce temps pourtant, l'hémorragie continue. Témoin, l'annonce du plan de réduction d'emploi de PSA qui devrait se traduire par la suppression de 5.300 postes rien qu'en France, dont la moitié de salariés extérieurs...
Dans ce contexte d' "urgence", Christian Pierret a souligné "le besoin d'un Etat stratège qui ouvre le chemin". De plus en plus, les regards se tournent Outre-Rhin où la part de l'industrie est de 24% de la valeur ajoutée. Entre les deux pays, depuis dix ans, toutes les courbes se croisent. De 1995 à 2008, l'effort de recherche en Allemagne est passé de 2,2 à 2,7% du PIB. En France, il a pris la pente inverse, passant de 2,3 à 2,1%, alors que les objectifs de Lisbonne fixaient le cap des 3%. Le coût du travail, qui faisait la compétitivité de la France par rapport à son voisin, a augmenté chez nous quand il a diminué en Allemagne, à la faveur de réformes qui, comme l'a rappelé Edith Cresson, ont valu son poste de chancelier à Gerhard Shröder. Ce train de mesures douloureuses baptisé "Agenda 2010" a été adopté en 2003 au moment où l'économie allemande était au plus mal : mise à plat des prestations chômage (la loi "Hartz IV"), formation, baisses des rémunérations… Quelques années plus tard, les résultats sont là, le chômage a été ramené à 7%.

Ecosystème

Au-delà du coût du travail et du niveau de charges sur les entreprises, il y a aussi la dimension culturelle. "En Allemagne, le cadre général est beaucoup plus favorable aux prises de décision, l'organisation locale est plus simple, la répartition des compétences est plus claire : dans un land, mener une politique industrielle est beaucoup plus facile qu'en France", a témoigné Bernard de Montferrand, ancien ambassadeur de France en Allemagne. Quelques collectivités ont pourtant réussi à contrer le fatalisme, à l'instar du Creusot pourtant condamné au déclin après la fermeture des usines de Creusot-Loire (ex-Schneider) et une conversion ratée dans les services.
Ce dialogue entre les entreprises et les territoires est capital, selon Louis Gallois : "C'est cela qui crée un écosystème favorable à l'industrie", a-t-il expliqué. En retour, il demande que toute décision prise au niveau local veille à ne pas handicaper la compétitivité. "C'est la grande force de l'Allemagne, on ne prend jamais une décision publique sans prendre en compte l'impact sur les territoires." Mais la France a aussi un problème avec ses usines : les métiers industriels n'attirent pas, alors que, selon Maurice Pinkus, directeur délégué de l'UIMM, les salaires y sont souvent supérieurs à la moyenne. Dans leur manifeste, les maires de villes moyennes invitent à changer l'image de l'industrie, "à promouvoir la nouvelle culture industrielle en direction des jeunes". Là encore, le modèle allemand de l'apprentissage fait écho. 
Les maires demandent aussi "d'accompagner vigoureusement la création de valeur dans l'industrie", notamment en favorisant l'accès des TPE et PME dans les marchés publics avec la mise en oeuvre immédiate du Small Business Act européen, et en renforçant la capacité de financement des PME. A ce titre, Augustin de Romanet a indiqué vouloir "développer la marque FSI dans chaque région". "Nous régionalisons le groupe Caisse des Dépôts", s'est-il félicité.
Les maires ont encore demandé de ramener de 2020 à 2015 le délai de mise en place du très haut débit dans les villes moyennes. A travers l'ensemble de ces efforts, Christian Pierret veut encore croire que "la mondialisation est gagnable".

 

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