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Investissements - Redressement de l'industrie : attention prudence

L'emploi industriel se redresse avec 7.900 créations nettes au premier semestre, selon les chiffres de l'Insee. Une première depuis une dizaine d'années. Dans le même temps, les industriels prévoient d'augmenter leurs investissements de 14% cette année. Mais cette embellie est-elle le signe d'une réelle reprise économique ou d'un simple rattrapage d'après-crise ? Pour l'économiste Olivier Bouba-Olga, le véritable défi industriel tient en deux mots : innovation et formation. Des domaines pour lesquels les élus, "piégés par les effets de mode", manquent d'audace.

C'est une première depuis une dizaine d'années : l'emploi industriel est en légère hausse au premier semestre 2011, alors que le secteur perd des emplois chaque trimestre depuis le deuxième trimestre 2001. C'est l'Insee qui a annoncé la bonne nouvelle dans une synthèse publiée le 12 août 2011. La reprise est modeste : une hausse totale de 7.900 emplois pour le premier semestre, dont 1.300 pour le premier trimestre 2011 et 6.600 pour le deuxième. Mais elle intervient après des années où l'industrie a vu plus de destructions d'emploi, autour de 500.000 à 700.000 au cours des dix dernières années, soit une moyenne de 70.000 par an, que de créations d'emploi. "On est sur la bonne voie, depuis un an on recrée des emplois", se satisfait Pierre Gattaz, président du Groupe des fédérations industrielles (GFI), qui avait déjà fait part, il y a quelques mois, d'un retour au positif en matière d'emploi industriel en 2011. Mais il reste toutefois prudent, ajoutant qu'il ne "faut jamais crier victoire et être extrêmement prudent car l'industrie est fragile et on a des nuages à l'horizon, comme les chocs boursiers…" La crise économique et financière de 2008 a eu de fortes répercussions sur l'industrie et la réplique de 2011 que l'on vient de percevoir risque d'avoir encore des effets destructeurs. Et la dernière enquête de l'Insee date de juillet. Elle ne tient pas compte de la nouvelle donne. "Les gens sont encore sereins mais on a des niveaux de carnets de commande qui s'effritent à cause de l'environnement économique et financier, davantage qu'au premier trimestre", tempère Pierre Gattaz. On peut ainsi s'attendre à ce que cette fragile embellie du premier semestre 2011 soit très atténuée, voire réduite à néant au deuxième semestre avec une baisse des embauches et des commandes…

Un rattrapage plutôt qu'une reprise économique

Même prudence du côté des économistes (voir ci-dessous l'interview d'Olivier Bouga-Olga). Pour Nicolas Bouzou, directeur du cabinet Asterès, il faut nuancer la légère embellie de début 2011. Premièrement, "on a perdu énormément d'emplois et on n'a pas encore regagné ce qu'on a perdu, on reste 5 à 10% en dessous du niveau d'avant la crise", explique-t-il. Autre problème : les taux de croissance de l'industrie sont encore très irréguliers. Au premier trimestre 2011, une augmentation de 0,9% est annoncée, contre une progression nulle pour le deuxième trimestre... "Cela traduit un certain attentisme", assure Nicolas Bouzou. Rien de bon pour la dynamique industrielle. Enfin, l'économiste signale que la population active augmente et que "ces chiffres de l'emploi ne sont pas suffisants pour compenser cette augmentation". Bref pour Nicolas Bouzou, l'embellie correspond davantage à un rattrapage qu'à une reprise économique et l'avenir ne sera pas plus rose. "Une grosse partie de notre capacité de production a été délocalisée, on part donc sur une base industrielle beaucoup plus faible. On ne retrouvera pas le même niveau qu'avant la crise", insiste-t-il. Pour relancer le secteur industriel, l'Etat a pourtant mis les bouchées doubles. Des états généraux de l'industrie ont eu lieu cette année, favorisant la mise en place de 23 mesures, dont la création d'une conférence nationale de l'industrie, la constitution de comités stratégiques filières (automobile, aéronautique, éco-industries...), la valorisation du "made in France" et l'aide à la réindustrialisation (ARI). Des mesures qui commencent à montrer leur efficacité. L'ARI, lancée en juillet 2010, a ainsi permis de soutenir douze entreprises pour un montant de 53,7 millions d'euros sous formes d'avances remboursables et de créer 1.000 emplois. Le gouvernement prévoit d'en créer 2.000 en trois ans à travers ce nouveau dispositif.

"On ne veut pas crier au loup"

Des discussions ont aussi eu lieu au Sénat concernant les remèdes à apporter à la désindustrialisation des territoires. Mais de ce côté, le consensus a du mal à émerger. La mission commune d'information du Sénat sur la désindustrialisation a mis du temps à accoucher d'un rapport sur le sujet, et a conclu en avril 2011 à des désaccords de fond sur les moyens d'aller vers une réindustrialisation. La poursuite de la décentralisation, la réforme de la taxe professionnelle, le rôle des banques et du crédit et le coût du travail font partie des points de désaccord. "Il y a eu toute une polémique autour du coût du travail français, en comparaison de celui des Allemands, et on n'a pas pu avancer sur le sujet, mais on continue à travailler, il va bientôt y avoir un rapport de la conférence nationale de l'industrie sur la compétitivité, explique Pierre Gattaz. Cela dit, le sujet risque de ne pas être traité avant les élections présidentielles." Et d'ici là, quelle sera la tendance de l'industrie ? "On ne veut pas crier au loup, détaille Pierre Gattaz. On ne parle pas de récession mais d'un fléchissement de l'activité à venir." Et les chiffres de l'Insee publiés le 26 août 2011 concernant l'investissement industriel donnent des espoirs. Les industriels français prévoient toujours un net rebond de 14% de leurs investissements en 2011, très légèrement moins que ce qu'ils estimaient trois mois plus tôt (+15%). Mais comme le précise l'Insee, l'enquête a été réalisée avant la nouvelle étape de la crise financière et avant que les chiffres de la croissance française au deuxième trimestre, soit une croissance nulle, ne soient dévoilés... Sans compter le nouveau plan d'austérité annoncé par le gouvernement le 24 août qui pourrait, lui aussi, avoir des incidences négatives sur l'activité industrielle. 

Emilie Zapalski

Olivier Bouba-Olga : "Les élus se font piéger par les effets de mode"

Olivier Bouba-Olga est maître de conférences l'université de Poitiers et co-auteur avec Liliane Bonnal d'une étude récente intitulée "Délocalisations et désinvestissements, une analyse empirique des régions à risque".

Localtis : Que vous inspirent ces données de l'Insee qui laissent entrevoir une embellie dans le ciel de l'industrie ?

Olivier Bouba-Olga : Ce qu'il faut surtout voir, ce sont les mouvements structurels de long terme. Il faut regarder les forces et les faiblesses. Il est clair qu'en matière industrielle, la France a de vraies compétences et des savoir-faire, avec des secteurs bien positionnés qui constituent autant de sources d'optimisme pour l'avenir. Ces secteurs d'activités vont continuer de donner à la France de l'emploi, de la richesse. Mais à côté, est-ce que certains secteurs ont les bonnes compétences, est-ce que les entreprises sont suffisamment investies en matière d'innovation et de formation ?

Après des années de fatalisme, il semble qu'il y ait une volonté de rompre la spirale de la désindustrialisation. Les mesures annoncées suite aux états généraux de l'industrie vous semblent-elles efficaces ?

La préoccupation de l'industrie est ancienne en France. On peut même dire qu'il y a une obsession de l'industrie. Ce qui peut être critiqué à certains égards dans le sens où la frontière industrie-services est très floue. Une des raisons essentielles de la baisse de l'emploi industriel ces dernières années est que les entreprises ont externalisé vers le tertiaire toute une série d'activités telles que le nettoyage, la comptabilité, le transport...
Or la plupart des discours tapent aujourd'hui à côté du véritable problème, en voulant lutter contre la concurrence des pays à bas coûts, limiter les délocalisations, favoriser les relocalisations... Tout ce volet est assez contestable.

Vous montrez dans votre étude le faible poids des délocalisations dans les destructions d'emplois industriels. Mais aussi le faible poids des relocalisations par rapport aux délocalisations (un rapport de une pour six)…

Je ne dis pas que les délocalisations ne posent pas de problèmes localement bien sûr. Mais elles sont médiatisées à outrance alors que macro-économiquement, c'est très loin d'être le problème majeur. Les délocalisations répondent à l'accès à la demande, c'est-à-dire au fait d'aller produire près de la demande et, d'autre part, à l'accès à des compétences spécifiques. On assiste à un approfondissement de la division du travail à l'échelle mondiale. C'est pour cela que la majorité des délocalisations ont lieu dans des pays développés et non dans les pays à bas coûts. On est donc plus dans une logique de compétences que de coûts. Or la France est très pointue dans certains secteurs. Nous travaillons par exemple sur un territoire, le Cognassais, qui est très pointu dans le packaging et la distillation. Ce territoire attire de nombreuses entreprises au-delà du secteur du Cognac. C'est le cas du deuxième producteur de vodka, Grey Goose, qui fait tout fabriquer sur Cognac.

Quels sont alors les véritables enjeux pour les territoires ?

A trop se focaliser sur les délocalisations, on occulte d'autres problématiques plus importantes : tout ce qui est innovation, formation et transmission des compétences. Ces questions ne sont pas suffisamment prises en compte par les pouvoirs publics. Dans les territoires où l'on travaille, beaucoup de PME ont un vrai savoir-faire mais n'ont pas suffisamment conscience de la transmission de ce savoir-faire. Par ailleurs, de nombreuses entreprises industrielles se demandent comment faire pour trouver la main-d'oeuvre. Il ne s'agit donc pas d'un problème externe (la concurrence avec la Chine), mais bel et bien interne : trouver les personnes dont on a besoin.
L'autre enjeu est l'innovation. Mais là encore, les pouvoirs publics sont trop tournés vers l'innovation technologique et négligent d'autres formes d'innovation comme l'innovation organisationnelle et marketing, c'est-à-dire la capacité de bien répondre à la demande, de bien communiquer…... Il y a là des leviers importants pour les collectivités. A ce titre, ces dernières restent trop tournées vers la technologie, la mise en œuvre de modèles dominants comme les clusters, les grappes d'entreprises, alors qu'elles ont parfois une connaissance insuffisante des territoires et de leurs problématiques. Elles se laissent piéger par les effets de mode. Ce qui manque souvent c'est une analyse pointue des problématiques territoriales, un préalable pourtant nécessaire à l'action publique.


Votre étude pointe cinq régions à risque. Avez-vous constaté chez elles une prise de conscience ?

Nous avons utilisé les statistiques de l'Observatoire de l'investissement en recensant les investissements et désinvestissements enregistrés depuis deux ou trois ans. A partir de ces données, nous avons mené un travail économétrique. On a alors observé des effets sectoriels, des effets annuels, mais ce qui apparaît surtout ce sont les effets régionaux. C'est-à-dire la probabilité dans certaines régions que les désinvestissements l'emportent sur les investissements. Cinq régions apparaissent ainsi dans une dynamique défavorable : Poitou-Charentes, Champagne-Ardenne, Centre, Picardie et Ile-de-France. On constate aussi qu'elles constituent un espace contigu : Poitou-Charentes et Centre d'une part, Picardie et Champagne-Ardenne de l'autre. Cela ne veut pas dire qu'elles constituent forcément un espace pertinent d'action publique. Elles ont chacune leurs caractéristiques, mais il y a manifestement des territoires d'intervention qui dépassent les frontières administratives. Il y aurait sans doute quelque chose à faire en ce sens.
Quant à savoir si on assiste à une prise de conscience, il est trop tôt pour le dire, notre étude date du mois de mai. De manière générale, nous sommes dans des problématiques de long terme. Or les élus sont souvent piégés par leur agenda. Ils ne sont pas suffisamment à l'écoute des économistes.

Propos recueillis par Michel Tendil
 

 

 

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