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Crise - Industrie : sénateurs et élus enfoncent le clou

Conseil national de l'industrie, prime à la relocalisation, prêts verts bonifiés... huit des vingt-trois mesures des Etats généraux de l'industrie sont opérationnelles, mais sénateurs et associations d'élus locaux s'inquiètent de l'ampleur du phénomène de "désindustrialisation invisible".

"La désindustrialisation, en France, est encore plus avancée que ce qu'on imagine. L'industrie a perdu 500.000 emplois en 10 ans, et ne représente plus que 13% de la population active. Elle ne produit plus que 16% de la valeur ajoutée du pays, contre 20% en Italie, 30% en Allemagne, et 22,4% dans la zone euro. Nous sommes aujourd'hui au niveau de la Grande-Bretagne, que l'on présente souvent comme un pays ayant abandonné son industrie." Alarmé par l'ampleur du phénomène, le sénateur PS du Doubs Martial Bourquin a réclamé une mission d'information, acceptée par la Haute Assemblée, et qui a démarré son travail le 4 mai dernier. Baptisée "Mission commune d'information sur la désindustrialisation des territoires", elle est composée de 26 sénateurs, dont la moitié de gauche et l'autre de droite. Le rapporteur général est Alain Chatillon, sénateur UMP de Haute-Garonne. Les auditions se succèdent depuis deux mois avec, de l'avis de plusieurs membres, quelques surprises. "Nous avons été frappés, notamment, de ce qu'on appelle la désindustrialisation invisible : des sous-traitants, des filières, des métiers entiers qui disparaissent, en silence, quand un grand groupe délocalise, ferme ou change de fournisseur pour trouver moins cher à l'étranger", indique Martial Bourquin. Un phénomène vécu de près par Claude Gewerc, président de la région Picardie et trésorier de l'Association des régions de France (ARF), récemment auditionné par la commission sénatoriale. "Lorsque l'usine de Clairoix (du groupe Continental, ndlr) a fermé, ce ne sont pas 1.400 emplois qui ont été supprimés, mais près de 4.000", observe-t-il.

 

Aides peu performantes

Tous touchés, en leur qualité d'élus locaux, par la désindustrialisation, les sénateurs promettent de n'éluder aucun sujet qui fâche. "Nous allons notamment nous pencher sur le captage abusif du crédit d'impôt recherché par quelques grandes entreprises ; sur le cas de ces PME rachetées pour être entièrement vidées de leur savoir-faire ; et plus généralement sur les compagnies qui délocalisent ou transfèrent un site après avoir perçu des aides publiques", indique un sénateur UMP. Sur ce dernier sujet, les représentants des collectivités locales, de tous bords, semblent se concevoir, de plus en plus, comme de véritables investisseurs, attentifs au "rendement" de la mise publique. C'est ce qui se dégageait d'une table ronde organisée, le 7 juillet dernier, avec les associations d'élus locaux (Association des maires de France (AMF), Association des maires des grandes villes de France (AMGVF), Assemblée des départements de France (AdCF) et ARF, dans le cadre de la mission sur la désindustrialisation. "Les collectivités territoriales, quel que soit leur niveau, participent aux dépenses de recherche et développement. Quels sont les retours que nous pouvons espérer ? Je considère qu'il serait normal d'avoir au moins un retour à "caractère social" lorsque nous avons aidé des entreprises à se développer sur nos territoires", souligne Claude Gewerc. De son côté, Philippe Maitreau, président de la commission "emploi" de l'AMGVF, insiste sur la responsabilité en amont des collectivités locales. "Si l'on fait le bilan, vous observerez qu'il existe beaucoup d'aides, mais qu'elles ne nous permettent pas pour autant d'être les plus performants. Parfois même, les aides financières accordées à certaines entreprises en difficulté peuvent achever de les détruire. En revanche, si les aides sont bien orientées, elles peuvent aider les entreprises à passer un cap difficile", explique-t-il.

 

Ré-ancrer l'industrie dans un territoire

La commission devrait rendre son rapport entre janvier et février 2011. Et, dans la foulée, élaborer des propositions de loi. "L'une des idées maîtresses, déjà préfigurée dans les pôles de compétitivité, est de ré-ancrer l'industrie dans un territoire, avec autour de la recherche, des universités, des partenaires, des concurrents, des investisseurs, bref un environnement stimulant. C'est ce que font très bien les länder allemands, depuis des années ; qu'ils soient gouvernés par la gauche ou la droite", souligne Martial Bourquin. De son côté, le gouvernement - prochainement auditionné par la mission sénatoriale - a lancé, le 8 juillet, une Conférence nationale de l'industrie, pour tirer un premier bilan des mesures engagées après les Etats généraux de l'industrie, le 4 mars 2010. A cette occasion, le ministre de l'Industrie Christian Estrosi a annoncé que 8 des 23 mesures sont déjà opérationnelles, 13 sont engagées et les 2 sont "en préparation" en vue du projet de loi de finances pour 2011. Parmi les dispositifs entrés en vigueur : la prime à la réindustrialisation (200 millions d'euros) et de prêts verts bonifiés (500 millions d'euros) gérés par Oséo, dont les textes ont été publiés au Journal officiel le 8 juillet. Pour bénéficier de la prime à la réindustrialisatin (précédemment appelée prime à la "relocalisation"), les entreprises doivent présenter "un réel potentiel de développement de l’activité et de l’emploi sur le territoire" et concourir à "structurer l’environnement économique local". Le dispositif sera ouvert jusqu'au 30 juin 2013 et fonctionnera par le biais d’avances remboursables représentant jusqu'à 60% des investissements programmés. Les dossiers seront examinés, comme dans le cadre de la prime à l’aménagement du territoire (PAT), par la Commission interministérielle d’aide à la localisation d’activités (Ciala). Le formulaire est à télécharger sur le site du ministère de l'Industrie (voir ci-contre). La définition des onze filières stratégiques est, elle aussi, arrêtée. 231 millions d'euros sont mobilisés, sous la conduite d'Oséo, afin de soutenir chaque année 5.000 entreprises au sein de ces onze filières.

 

Paul Arguin
 

 

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