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Crise - Ces régions qui auront du mal à se relever

La crise est-elle terminée ? Sans doute pas, estime l'économiste Laurent Davezies, pour qui les bassins industriels risquent de ne pas se remettre du choc. Ce qui pose un "problème majeur d'aménagement du territoire pour les années à venir".

"L'impression de sortie de crise que l'on pouvait voir à l'automne 2009 doit être tempérée." C'est ce qu'estime l'économiste Laurent Davezies dans un rapport provisoire réalisé pour l'Institut Caisse des Dépôts pour la recherche et l'ADCF (Assemblée des communautés de France) sur "la crise et nos territoires". Alors que le chômage a repris de plus belle au quatrième semestre 2009, le chercheur s'inquiète de l'augmentation du prix des matières premières, de la concurrence exacerbée avec les pays émergents et, surtout, de l'épuisement de la "capacité de relance par les budgets publics exsangues". Le contexte de "menace spéculative sur les pays les plus endettés", les fameux "Pigs", pourrait être "le préambule à une crise financière publique inédite". Certes, la prime à la casse et l'activité partielle ont permis d'amortir le choc, mais attention à l'effet de "sevrage", prévient-il. Attention également aux réponses de l'Etat et des collectivités qui, à travers les plans de relance, s'inscrivent dans "le registre des investissements de confort à effet de court terme" et non dans celui "des investissements d'adaptation aux conditions de plus en plus sévères de la compétition mondiale".
Laurent Davezies décrypte les mécanismes de cette crise nouvelle et met en avant les grandes différences par rapport aux précédentes (crise immobilière de 1991, récession de 1993) : alors qu'en 1993, le coup avait été plus violent dans les grandes métropoles (Paris, Londres, New York, Tokyo), cette fois-ci, elles tirent leur épingle du jeu. En France, ce sont les territoires productifs les plus modernes dotés des secteurs à plus haute valeur ajoutée, comme l'Ile-de-France, qui semblent le mieux tenir. A l'inverse, les régions industrielles traditionnelles marquent le pas.

 

"Double peine"

"La violence avec laquelle nos fameux SPL [systèmes productifs locaux, ndlr] industriels ont vu leurs activités attaquées, pour l'essentiel dans la partie nord du pays, suggère qu'il y a là un problème majeur d'aménagement du territoire pour les années à venir." Pour Laurent Davezies, il ne peut y avoir de retour en arrière, ce qui est perdu le sera définitivement. C'est là que "le choc conjoncturel joue le plus puissamment son rôle d'accélérateur structurel". En clair, la crise n'a fait qu'accélérer un déclin en marche depuis plusieurs décennies. Le président de la République l'avait d'ailleurs rappelé récemment, en conclusion des Etats généraux de l'industrie : la France a perdu 500.000 emplois industriels entre 2000 et 2007. Une étude de Bercy va plus loin et montre que depuis le début des années 1980, 2 millions de ces emplois ont été supprimés.
Le travail encore provisoire de Laurent Davezies repose sur les données statistiques en matière d'emploi des trois derniers semestres de 2008-2009 (Unedic, Dares, Insee, Banque de France). Une version définitive sera prochainement publiée avec l'ensemble des chiffres disponibles pour 2009. Mais d'ores et déjà, il apparaît que sur le front des destructions d'emplois, ce sont les vieilles régions industrielles du Nord-Est, déjà déclassées par la désindustrialisation, qui souffrent le plus : Lorraine, Picardie, Franche-Comté… Ces bassins d'emploi enregistrent en moyenne une variation de 43% de leur taux de chômage ! Pour l'ADCF, ces territoires risquent en outre de subir une "double peine" avec "les conséquences financières qu'aura le remplacement de la taxe professionnelle dans les budgets des collectivités".

 

Régions mieux protégées de la mondialisation

Entre les territoires productifs modernes et bassins manufacturiers anciens, une troisième catégorie de régions mieux protégées de la mondialisation, celles qui bénéficient d'une puissante économie résidentielle, tirent leur épingle du jeu. C'est le cas de la Corse où l'emploi parvient même à progresser, de Midi-Pyrénées, du Languedoc-Roussillon, de Paca… Certes, elles ont été affectées par le ralentissement du tourisme, de l'immobilier, de la construction, mais une grande partie du sud et de l'ouest du pays, spécialisé dans la réponse à la demande des ménages, a relativement moins souffert. La région Nord-Pas-de-Calais semble faire exception (l'emploi ne recule pas plus que dans la moyenne nationale) car la désindustrialisation est déjà passée par là. L'exemple de l'Ile-de-France est lui aussi assez significatif. C'est la région qui a le plus détruit d'emplois industriels ces quinze dernières années. Elle se concentre aujourd'hui sur des activités à haute valeur ajoutée épargnées jusqu'à présent par la crise. En témoigne la situation dans le secteur automobile : seule la zone de Poissy, dernier lieu de production francilien avec notamment le site de PSA Peugeot Citroën, a été touché alors que les zones de recherche automobile, comme le techno-centre de Renault à Saclay n'ont pas trop souffert. De quoi alimenter en tout cas les débats sur la nécessité d'une véritable politique industrielle.

 

Michel Tendil