Désindustrialisation - A quoi ont servi les commissaires à la réindustrialisation ?
En mars 2009, au plus fort de la crise, Nicolas Sarkozy annonçait la création de commissaires à la réindustrialisation. Leur mission : concentrer et déployer les moyens de l'Etat dans les régions les plus touchées par les restructurations, délocalisations et fermetures d'usines. Le discours du président de la République semblait annoncer une action d'envergure. "Nous allons leur donner les pleins pouvoirs pour mobiliser tous les acteurs et pour agir, car il y a beaucoup de choses qui existent mais, comme dans la structure de l'Etat, tout le monde a le pouvoir de dire non et très peu ont le pouvoir de dire oui, c'est beaucoup de moyens pour une déperdition énorme. Je veux des commissaires à la réindustrialisation qui auront les moyens de rassembler tous les moyens de l'Etat au service de la réindustrialisation de vos bassins." A la suite de ce discours offensif étaient désignés des commissaires dans dix régions : Bretagne, Champagne-Ardenne, Franche-Comté, Haute-Normandie, Lorraine, Midi-Pyrénées, Nord-Pas-de-Calais, Picardie, Poitou-Charentes, Rhône-Alpes.
Deux ans plus tard, quel est le bilan ? Si l'on s'en tient aux chiffres de l'Insee, il apparaît que la désindustrialisation de la France s'est poursuivie, et même accélérée. Entre janvier 2009 et décembre 2010, les emplois industriels directs (hors intérim), en France, sont passés de 3,6 à 3,28 millions, soit une diminution de 9%. Presqu'autant que la baisse de 11,8% enregistrée de janvier 2000 à décembre 2008. Dans une note datée du 2 février 2011, Patrick Artus, directeur de la recherche chez Natixis, faisait cette prévision : "La désindustrialisation se prolonge et accélère et, en 2012, l'industrie française sera de petite taille, positionnée en milieu de gamme, peu exportatrice, menacée sur ses niches traditionnellement fortes, d'où une croissance potentielle faible, la déqualification des emplois, une perte de croissance, la sensibilité au taux de change de l'euro."
Disparu des radars gouvernementaux
Il est vrai que la tâche des commissaires à la réindustrialisation relevait de la mission impossible. Placés sous l'autorité du préfet, débarqués sans véritables moyens dans un paysage surencombré d'institutions et d'organismes compétents en matière de soutien à l'industrie, ils ne pouvaient compter que sur la bonne volonté des uns et des autres pour se faire une place au chevet du malade. Ainsi lors de la nomination du commissaire de Haute-Normandie, en mai 2009, le préfet de région précisait, à toutes fins utiles : "Le rôle du commissaire à la réindustrialisation n'est pas de se substituer aux autres services de l'Etat." Le promu, Pascal Clément, abondait dans le sens de son supérieur hiérarchique : "C'est une mission de veille sur le sujet des mutations économiques (…). C'est un complément qui ne se substitue pas à l'action des services économiques de l'Etat mais qui apporte un complément en bonne relation avec tous mes collègues chefs de service."
Bien loin, donc, des "pleins pouvoirs" et du "pouvoir de dire oui" décrétés par Nicolas Sarkozy. Du reste, le gouvernement s'est vite employé à tempérer les espérances qui auraient pu naître d'une conception trop ambitieuse des commissaires. Le 21 juillet 2009, à l'Assemblée nationale, la ministre de l'Economie, Christine Lagarde, prévenait : "L'expérience ne pourra être que positive à condition, je le répète, que les administrations se mettent vraiment au service des commissaires." Et le lendemain Michel Mercier, alors ministre de l'Espace rural et de l'Aménagement du territoire, restreignait nettement le champ des promesses présidentielles. "Les commissaires devront se concentrer sur deux chantiers prioritaires : la mise en oeuvre du Fonds national de revitalisation des territoires ; le pilotage et la coordination des conventions de redynamisation sur le territoire." Soit deux missions d'ores et déjà remplies par des comités regroupant plusieurs acteurs locaux et nationaux.
Aujourd'hui, les commissaires semblent avoir disparu de la communication gouvernementale. La dernière "preuve de vie" remonte au 10 février 2010, avec un audit et un premier bilan brièvement résumé dans un communiqué du Conseil des ministres : "Les commissaires à la réindustrialisation sont intervenus sur près de 400 entreprises, représentant 60.000 emplois, qui connaissaient toutes des situations difficiles susceptibles de remettre en cause leur pérennité." Avant d'esquisser une nouvelle interprétation de leur rôle : "Sur la recommandation des auditeurs, il est envisagé de centrer l'intervention des commissaires sur les actions de traitement des difficultés des entreprises, plutôt que sur l'anticipation à moyen ou long terme des mutations économiques."
Sentiment d'impuissance
Faute de positionnement clair et de moyens, l'impact des commissaires a fortement varié selon le contexte et les contraintes locales. En Champagne-Ardenne, par exemple, les Verreries mécaniques champenoises (VMC), une entreprise centenaire installée à Reims, représentaient un cas d'école. En mai 2009 son propriétaire, Owens-Illinois, n°1 mondial des emballages verre et plastique, a annoncé la fermeture du site, comptant 150 salariés, malgré une rentabilité de 17%. Mais le groupe américain, à la santé florissante, en voulait 21%. Et refusait que le site soit repris par un autre verrier, ni par les salariés eux-mêmes, afin de s'éviter une concurrence en France. "Or qui pourrait être intéressé par un four de verrier, sinon un verrier ? Une décision d'autant plus choquante que la demande pour nos produits est très forte. Owens-Illinois n'a supprimé nos emplois que pour organiser la rareté et faire monter les prix de ses articles", remarque Eddy Lefebvre, ancien délégué CGT de VMC, qui n'a pas entendu parler de commissaire à la réindustrialisation. "Les seuls qui ne nous ont pas lâchés, et continuent de se battre pour la reconversion du site, c'est la mairie", indique-t-il. De son côté, Simone Mielle, la commissaire de la région, déclarait en décembre 2009, après avoir rencontré la direction d'Owens-Illinois : "La priorité, dans ce dossier, va vers la mise en place d'une nouvelle activité industrielle sur le site des VMC en utilisant, si possible, l'outil industriel, tout en sachant que s'il concerne le verre, il ne faudra pas qu'il soit en concurrence directe avec les produits du verrier américain."
Même sentiment d'impuissance à Aÿ, dans la Marne, où le groupe Trèves, après avoir perçu 55 millions d'euros du Fonds de modernisation des équipementiers automobiles, en février 2009, a annoncé en avril la suppression de sa filiale PTPM et le licenciement de ses 133 salariés, pour délocaliser la production en Roumanie. "Les seuls qui se sont démenés, c'est la communauté de communes et le sous-préfet. Commissaire à la réindustrialisation ? C'est quoi ?", soupire un ex-cadre de l'entreprise. Pour sa part, Bernard Beaulieu, le président de la communauté de communes de la grande vallée de la Marne, déplore un énorme gâchis. "C'est incompréhensible. Trèves, c'est le cas typique du patron-voyou, qui délocalise après avoir empoché les subventions publiques... La commissaire à la réindustrialisation est quelqu'un de bonne volonté, mais sans moyens, et avec un laisser-faire au plus haut niveau de l'Etat, que voulez-vous qu'elle fasse ? Il y a une terrible maladie qui se répand dans la classe politique : c'est de ne s'intéresser à un dossier que pour sa com' personnelle, et de se désintéresser complètement de la suite", s'indigne l'élu.
Bien sûr, tous les avis ne sont pas aussi tranchés. En Franche-Comté, par exemple, plusieurs entreprises en difficulté, des papeteries de Novillars au groupe de transport Buffa, en passant par l'entreprise fromagère Entremont-Alliance, se félicitent du rôle d'accélérateur et de facilitateur joué par le commissaire à la réindustrialisation, Gilles Cassotti.
Mais, même dans les cas les plus favorables, la réalité des commissaires semble loin des pouvoirs de "super-préfet industriel" que leur avait assigné le discours présidentiel. "Le commissaire à la réindustrialisation est une fonction qui ne s'improvise pas", conclut-on au Cride (Centre régional pour l'implantation des entreprises), inventeur en 1992 du concept.