Industrie - Désindustrialisation : consensus sur le diagnostic, désaccords sur les remèdes
Le Sénat consacrait ce mardi 26 avril un débat en séance publique à la désindustrialisation des territoires. Un débat organisé dans le cadre de la mission commune d'information qui, créée en avril 2010 au Sénat à l'initiative du groupe socialiste, rendait les conclusions de ses travaux le 6 avril dernier (voir ci-contre notre article du 7 avril 2011). Pendant près d'un an, cette mission a auditionné un certain nombre de personnalités et a effectué des déplacements en France, en Belgique et en Allemagne. Son rapport n'a pas fait l'unanimité, voté par quatorze sénateurs sur les vingt-trois membres de la mission. Néanmoins, tous, à droite comme à gauche, s'accordent sur le constat : l'industrie en France est dans une situation grave. Elle ne représente plus que 14% du PIB du pays. Elle a perdu 36% de ses effectifs entre 1980 et 2007 - soit 1,9 million d'emplois ou 71.000 par an. Sur les dix dernières années, la baisse des effectifs est de l'ordre de 500.000 à 700.000 emplois en moins... "Je crois que nous partageons tous globalement le même sentiment : un phénomène de désindustrialisation est en cours depuis plusieurs années en France. La question est de savoir comment lutter contre ce phénomène", a ainsi résumé mardi Eric Besson, ministre de l'Industrie, venu représenter le gouvernement au palais du Luxembourg.
Effectivement, le débat de mardi l'a confirmé, les uns et les autres ont du mal à s'accorder sur les moyens d'aller vers une réindustrialisation. "A l'issue de leurs travaux, les membres de cette mission ont un accord profond sur le diagnostic, mais un désaccord tout aussi majeur sur les remèdes", a reconnu le sénateur socialiste Martial Bourquin, président de la mission commune d'information, qui a lui-même voté contre le rapport. "Il s'agit à notre sens d'un acte manqué car la majorité a choisi en quelque sorte de travailler sous la tutelle du gouvernement dans la continuité des conclusions affichées à l'occasion des Etats généraux de l'industrie", a de même affirmé Jean-Jacques Mirassou, sénateur PS de Haute-Garonne, qui souhaite notamment que la puissance publique, Etat et collectivités territoriales, intervienne davantage dans ce secteur "pour anticiper, coordonner et impulser." Une puissance publique "trop souvent reléguée au second plan et cantonnée dans le rôle de bailleur de fonds, d'aménageur ou de simple prestataire de services".
Martial Bourquin a de son côté insisté mardi sur la nécessité de procéder à une nouvelle étape de la décentralisation : "Nous devons donner aux régions pleine compétence dans ce domaine. Les collectivités territoriales ont été, aux côtés de l'Etat, des remparts essentiels, y compris financiers, pour empêcher les fermetures d'usines. Elles ont également permis la reprise d'entreprises dans les meilleures conditions possibles et favoriser l'implantation d'autres. Il s'agit aujourd'hui d'en faire les têtes de pont de la réindustrialisation, qui se concentreraient sur le soutien à l'innovation dans les territoires."
Un petit décollage ?
Au-delà du rôle des collectivités, trois autres points de désaccord perdurent : la réforme de la taxe professionnelle, le coût du travail et le rôle des banques et du crédit. "Nous ne pourrons pas ne pas revenir sur ces questions, mais ce n'était pas l'objet de la mission", a noté Raymond Vall, sénateur RDSE du Gers.
De son côté, Eric Besson a estimé que "le gouvernement a d'ores et déjà mis en place une grande partie des propositions formulées" et que "ces actions menées pour lutter contre la désindustrialisation commencent d'ailleurs à porter leurs fruits". Crédit impôt-recherche avec la réforme de 2008 qui a permis de le tripler, Semaine de l'industrie organisée du 4 au 10 avril 2011 pour promouvoir la culture industrielle, ou encore soutien aux pôles de compétitivité, font ainsi partie du lot. Le gouvernement n'est en revanche pas toujours prêt à aller aussi loin que le souhaiterait la mission sénatoriale. Ainsi par exemple, sur le crédit impôt-recherche, l'extension préconisée par les sénateurs représenterait un coût jugé trop important par le gouvernement, autour de plusieurs centaines de millions d'euros.
Concernant le coût du travail, le ministre a précisé avoir demandé à la Conférence nationale de l'industrie de se pencher sur la question, à partir des douze facteurs identifiés dans le rapport de Michel Didier remis le 25 janvier 2011 expliquant l'écart de compétitivité entre la France et l'Allemagne.
Eric Besson s'est aussi félicité du petit décollage du secteur industriel, en se basant sur les derniers indicateurs en date. D'après l'Insee, le moral des industriels français s'est ainsi stabilisé en avril à 110 points, soit un niveau supérieur de dix points à sa moyenne de longue période. Autres indicateurs positifs : la production industrielle a augmenté de plus de 6% en 2010, "ce qui n'était pas arrivé depuis près de quinze ans", a précisé le ministre, et l'emploi industriel a lui aussi augmenté, "modestement", avec 8.300 emplois en plus, "un phénomène qui n'était pas arrivé depuis 2000."
Eric Besson a ensuite détaillé les mesures qu'il compte lancer dans les mois à venir pour renforcer la compétitivité et le dynamisme de l'industrie française, sans toutefois s'attarder sur les sujets qui fâchent. Mais le groupe socialiste à l'initiative de la mission ne compte pas s'arrêter là, a souligné Martial Bourquin : "Cette mission se termine, mais ce n'est en rien la fin de notre engagement pour l'industrie. Sur la base de la contribution que nous avons souhaité adjoindre au rapport, nous interviendrons dans le débat sur différents points - la réforme fiscale, la clause de revoyure de la taxe professionnelle et les compétences des collectivités territoriales. Nous déposerons certainement une ou plusieurs propositions de loi rassemblant nos propositions."