Développement des territoires - Ce qu'il restera de l'industrie en 2040 : les quatre scénarios de la Datar
Dans son quatrième numéro de Territoires 2040, la Datar présente les conclusions de son travail de prospective mené depuis octobre 2009, dans le cadre de la démarche "Territoires 2040". 28 scénarios différents sont mis en avant par les groupes de travail, rassemblant plus de 200 chercheurs, experts, universitaires et acteurs territoriaux. Des scénarios qui s'appliquent sur les sept "systèmes spatiaux" identifiés auparavant. Objectif : montrer ce que pourrait être l'avenir des espaces français appréhendés et analyser les enjeux et défis auxquels ces territoires auront à faire face. Les scénarios doivent aussi faciliter l'adaptation et la création des futurs politiques d'aménagement du territoire. "Ce que l'on tente de saisir, c'est le déroulement en accéléré des films possibles, a expliqué Philippe Estèbe, professeur à l'Institut d'étude politiques (IEP) de Paris et à l'Ecole des ponts et chaussées et directeur de l'Idehate (Institut des hautes études de développement et d'aménagement des territoires en Europe), à l'occasion de la présentation des conclusions le 30 septembre 2011. Ce sont des scénarios stratégiques car il n'y a pas de scénario idéal." Les chercheurs et experts se sont notamment penchés sur le cas des territoires industriels. Leur devenir est en suspens. Le secteur a perdu entre 500.000 et 700.000 emplois depuis ces dix dernières années et les régions françaises les plus industrielles sont celles qui ont connu au cours de la décennie 2000 la croissance économique la plus faible. Les régions Franche-Comté, Champagne-Ardenne, Picardie, Auvergne, Alsace, Haute-Normandie, Lorraine, Pays-de-la-Loire, Bourgogne, Basse-Normandie et Centre ont ainsi perdu 340.000 emplois industriels depuis 2002, dont un tiers durant la période 2008-2009. La Datar tente de projeter ces régions dans les années qui viennent. Un travail qui aboutit à quatre scénarios principaux, élaborés par Gilles Le Blanc, économiste et professeur à Mines-Paris Tech. Première piste : celle de la "reconstruction industrielle verte", où les industries se réorientent vers des offres de biens et de services innovantes sur le plan environnemental et social.
Une nouvelle industrie verte et durable
"Cette reconstruction industrielle a entraîné un renouvellement complet du tissu d'entreprises, des métiers, de la main d'œuvre, de la nature des actifs et des formes d'innovation, de l'organisation des flux matériels comme de la commercialisation et de la R&D, scénarise le rapport de la Datar. La logique économique de la nouvelle industrie verte et durable repose sur la grande variété et différenciation des situations locales et des besoins spécifiques associés en matière de santé, logement, énergie, transport, loisirs…" Et dans ce schéma, les territoires jouent un rôle nouveau dans l'expérimentation de solutions adaptées à ces besoins locaux particuliers : politiques locales d'encouragement des nouveaux secteurs, incitations monétaires et fiscales auprès des consommateurs finaux, investissement direct dans de nouveaux services publics, nouveaux chantiers d'urbanisme, infrastructures…
Autre piste explorée : celle de "l'effervescence". Dans ce scénario, la majorité de la valeur ajoutée se situe dans le contenu informationnel du bien et du service (conception, marketing, service associé, etc.) et non plus dans les innovations technologiques. "Les grandes structures se sont révélées au cours du temps de moins en moins efficaces, précise la Datar. De nouvelles formes d'organisation du travail ont émergé plus souples, plus flexibles, permettant de travailler à la fois avec plusieurs employeurs et projets, et tirant parti du refus croissant des jeunes générations du modèle de la grande entreprise et du contrat salarial exclusif de très longue durée." Une effervescence que les territoires sont censés animer localement.
Les citadelles ou l'alter-industrialisation
Enfin deux autres scénarios pour les territoires industriels sont avancés : les "citadelles" et "l'alter-industrialisation". Dans le scénario des citadelles, l'ère industrielle est totalement terminée. Reste seulement un petit nombre de grandes entreprises spécialisées et innovantes, insérées dans les réseaux mondiaux mais ayant gardé volontairement une attache en France pour certaines compétences en recherche et développement et la proximité avec le marché européen. Seuls les territoires sont amenés ici à gérer les politiques industrielles, l'Etat ayant "choisi de mettre un terme à une politique industrielle explicite et volontariste".
Dans l'alter-industrialisation, les solutions proposées par le développement durable ont déçu et ont prouvé leur inefficacité. Une remise en cause des logiques de croissance et de consommation a lieu et les logiques de production se réorientent vers le local. Une "reterritorialisation de la production" qui repose sur une relocalisation d'activités productives traditionnelles et d'entreprises situées auparavant ailleurs en France, en Europe et dans le monde, et sur un développement du domaine de l'économie sociale, coopératives, mutuelles ou fondations.
Si ces quatre scénarios ne donnent pas de réponses concrètes sur le devenir de ces territoires, ils ont l'intérêt de donner des pistes de réflexion et de permettre d'imaginer les politiques nationales et locales qu'il faudrait mettre en œuvre pour redynamiser les territoires industriels. "Ce sont surtout des outils d'aide à la décision", a précisé Philippe Estèbe.