Désindustrialisation - Quand la sous-traitance part à vau-l'eau
A ce niveau, ce n'est plus de la sous-traitance, c'est du mauvais traitement... Depuis sa prise de fonction au printemps 2010, à l'issue des états généraux de l'industrie, le médiateur des relations inter-entreprises industrielles et de la sous-traitance va de découverte en découverte. En un an et demi, Jean-Claude Volot et ses collaborateurs relayés par 60 médiateurs régionaux, tous bénévoles, ont traité 320 dossiers. Des actions isolées pour la plupart, mais, dans de nombreux cas, les PME ont décidé de se regrouper pour être plus fortes face aux donneurs d'ordre. Au total, des milliers d'entreprises employant quelque 844.000 emplois ont cherché un soutien. Quelques jours après la publication de son rapport, Jean-Claude Volot a lancé un véritable coup de gueule devant la commission des affaires économiques de l'Assemblée, le 26 octobre, pour dénoncer le "cynisme hallucinant" des grands groupes, la "dictature des directeurs financiers", allant jusqu'à se demander "s'il exsite un autre pays industriel au monde où les grandes entreprises sont aussi apatrides". "Même dans les pays très libéraux, comme l'Angleterre, l'attachement au drapeau anglais est bien plus grand que chez nous", a-t-il tancé.
Dernière affaire arrivée sur le bureau du médiateur, il y a deux jours : EDF, qui, relate Jean-Claude Volot, "avec 25% de capitaux du FSI, se permet de dire à un sous-traitant français : Monsieur, puisque vous ne pouvez pas faire les 2 millions d'appareils par an, vous ne pouvez en faire que 600.000, on confie tout à une entreprise chinoise... Ce matériel chinois sera placé devant toutes vos télévisions à tous."
Global Sourcing
La France est devenue le champion toutes catégories de la sous-traitance. On y pratique sans retenue le "Global Sourcing" : les donneurs d'ordre mettent en concurrence les fournisseurs du monde entier pour réduire les coûts et gagner en compétitivité. Récemment, cette pratique a été dénoncée par le sénateur Alain Chatillon dans son rapport d'avril 2011, "Réindustrialisons nos territoires". "Les déplacements dans les territoires ont mis en avant des pratiques de donneurs d'ordre demandant à leur fournisseur des conditions tarifaires ne pouvant s'obtenir que par la délocalisation de certaines productions, voire de la totalité des sites de production. Ces pratiques ont accentué la fragilisation des PME/TPE", dénonçait-il. Un procédé qui s'oppose à la constitution d'une filière solide, ce que les Etats généraux de l'industrie ont tenté de corriger en créant 11 filières stratégiques. Mais cela prendra du temps, tant les cultures, imprégnées de la loi du plus fort, pèsent dans les relations inter-entreprises. Résultat, de plus en plus de branches saisissent le médiateur : les vitriers opposés aux grands fournisseurs de verre, les plasturgistes contre les grands groupes mondiaux de la chimie... On est bien loin de l'Allemagne, encore et toujours citée en exemple. Outre-Rhin, "le comportement d'écosystème intelligent est bien plus développé : évidemment, les grands donneurs d'ordre allemands portent leurs fournisseurs aux quatre coins de la terre ; évidemment, un donneur d'ordre allemand priorise toujours un fournisseur allemand", a indiqué Jean-Claude Volot.
Autofacturation
Pas moins de 37 mauvaises pratiques ont été identifiées, qui vont du non respect des cadences aux contrats léonins, en passant par le "Quick Saving" (sorte de remise que le fournisseur doit accorder pour espérer conserver son contrat), etc.
Ce qui revient toujours, c'est le non respect des délais de paiement. La loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008 devait les ramener à 60 jours, quand l'idéal serait de trente jours, estime Jean-Claude Volot. Mais les entorses sont nombreuses, notamment dans l'aéronautique où l'on pratique le "transfert des fonds de roulement" sur les PME. "On éponge le peu de capacité qu'elles ont en autofinancement", a déploré le médiateur, en comparaison des 140 millions d'euros de trésorerie inutilisés des entreprises du CAC 40.
Dernière pratique découverte : l'autofacturation. Le donneur d'ordre profite de la dématérialisation pour facturer à la place du fournisseur, déclenchant ainsi les paiements vingt à trente jours après la livraison. Un grand groupe de 10 milliards d'euros de chiffre d'affaires verrait ainsi 300 à 350 millions d'euros de trésorerie déportés par autofacturation.
Les collectivités devront balayer devant leur porte
Jean-Claude Volot a conscience de l'ampleur de sa tâche, qu'il compare à un "travail de Romain". Selon lui, il faudra de cinq à sept ans avant que les mentalités changent vraiment. Mais il se réjouit des premières évolutions. Déjà, 169 entreprises ont signé une "charte des bonnes pratiques" et "mettent en œuvre sur le terrain des dispositifs concrets afin de créer ou d’optimiser une relation de confiance et collaborative avec leurs fournisseurs". Dans le même temps, le processus de délocalisation pourrait arriver à son terme. Les grands groupes "sont quasiment au bout du parcours". "Il faut que l'Etat exerce sans crainte son pouvoir", a-t-il insisté. Mais l'Etat et l'administration au sens large devront commencer par balayer devant leur porte. Car la médiation entre entreprises privées, l'Etat, ses filiales et les collectivités atteint un taux d'échec de 85%! "Pour éviter les abus, les prises illégales d'intérêts, vous avez considérablement durci le système, a lancé le médiateur aux parlementaires. Aujourd'hui, il est très difficile aux maires, présidents de conseils généraux, conseils municipaux, aux directeurs des filiales de l'Etat, aux filiales de régions, de pouvoir sans peur négocier des conflits." "Un maire qui viendrait à dire 'je suis d'accord pour redonner 50.000 euros à ce fournisseur, parce que évidemment on se rend bien compte qu'il a été lésé', ce maire là, a peur que son opposition l'emmène devant le juge", a-t-il encore illustré. Le ministre de l'Economie, François Baroin, devrait prochainement installer une mission sur le sujet.