Financement des PME - Les régions elles aussi veulent leur "fonds souverain"
Mi-septembre, la région Poitou-Charentes présente son projet de banque régionale d'investissement dans le cadre d'un plan plus global baptisé "Pacte PME" censé faciliter l'accès des entreprises au crédit. La région prévoit ainsi de créer un fonds de garantie et de mobiliser son fonds de co-investissement qui sera désormais orienté vers la filière nautique, jugée "prioritaire" par la région. Quatre millions d'euros doivent être levés pour soutenir la filière.
En juin dernier, c'est la région Rhône-Alpes qui annonce le lancement de son fonds régional d'investissement, destiné aux PME locales en déploiement ou en "redéploiement", c'est-à-dire en difficultés conjoncturelles. L'objectif : investir entre 100.000 et 600.000 euros dans 50 à 100 entreprises d'ici cinq ans. "Nous représentons le quart de la sous-traitance en France et nous avons l'ambition de participer au développement durable de notre socle industriel", déclare alors le président de la région, Jean-Jack Queyranne. Le fonds sera doté de 30 millions d'euros, 15,03 en provenance du secteur privée et 14,97 de fonds publics (région et CDC Entreprises pour le compte du fonds stratégique d'investissement / FSI). Il a été confié à la société Siparex et devrait être opérationnel début 2012.
L'Alsace voit encore plus grand avec Alsace Croissance, un "fonds souverain" doté de 50 millions d'euros : 25 millions d'euros du groupe Crédit Mutuel-CIC, 18 millions d'euros du FSI via CDC Entreprises et 7 millions de la région. "La période d'investissement est fixée à 5 ans pour des prises de participations dont le montant sera majoritairement compris entre 750.000 euros et 3 millions d'euros", indique la région. Avec ce fonds, un "effet de taille" est franchi. C'est la première fois que CDC Entreprises intervient dans une telle proportion. Pour les responsables du fonds, il s'agit d'un modèle qui a vocation à se décliner ailleurs.
Un premier fonds en Aquitaine
Mais le premier fonds souverain régional a été lancé en 2010 en Aquitaine avec "Aqui invest". Un dispositif négocié avec la Commission européenne dans le cadre de la stratégie régionale d'innovation d'Aquitaine. Ce qui en fait là aussi un modèle du genre. Son objectif est d'apporter des capitaux aux entreprises locales dans leurs phases d'amorçage et de développement innovant, en association avec des sociétés de capital risque et des Business Angels. Mais ici, la région est l'actionnaire unique du fonds. Elle a doté son capital de départ de 3 millions d'euros provenant pour moitié de son propre budget et d'une portion de ses fonds Feder. De quoi investir dans une vingtaine d'entreprises. Après six mois de fonctionnement, le fonds a déjà permis de financer trois PME locales : Satmos, Exoes et Cordouan. Mi-2012, le fonds sera abondé de nouveau. "Les investisseurs attendent une rentabilité sur les liquidités forte. Les fonds régionaux servent ainsi à combler cette faille du système en investissant dans le capital patient. Mais il faut faire attention à ne pas déstabiliser le marché, on est là pour le soutenir, combler son incomplétude", souligne Denis Balmont, ingénieur financier auprès de la région Aquitaine. "Le but est d'attirer les investisseurs privés en prenant 50% du risque au premier tour de table et en espérant qu'au second ils prennent le relais", poursuit-il.
C'est cette complémentarité qui est recherchée : les régions ciblent les projets qui ont besoin de temps pour se développer, pas de la rentabilité à court terme. Sans elles, de nombreux projets seraient orphelins.
Cette intervention publique pourrait s'avérer vitale dans l'avenir. Après le temps de l'assèchement du crédit observé pendant la crise (le "credit crunch"), les analystes financiers prédisent un "equity crunch", une pénurie de capitaux qui découlerait du durcissement des nouvelles règles prudentielles (directive Solvabilité II de mai 2009) qui entreront en vigueur en 2013. Celles-ci vont rendre plus cher le capital investissement pour les banques et les assurances qui se concentreront davantage encore sur les investissements les moins risqués.
Fonds Feder
Avec les contraintes budgétaires qu'elles rencontrent, les collectivités n'ont pourtant pas de grandes marges de manoeuvre. Certaines se tournent vers Bruxelles. Comme en Aquitaine, dans les Pays-de-la-Loire, le conseil régional a réussi à intégrer du Feder : 600.000 euros sur les 2 millions d'euros de son fonds de co-investissement (avec l'objectif de passer rapidement à 5 millions d'euros)... L'intervention croissante du Feder pourrait être l'un des enjeux de la future programmation européenne 2014-2020. "La Commission souhaite renforcer la participation du Feder, en contrepartie elle entend supprimer les aides à finalité régionale sur l'immobilier, le matériel", explique Denis Balmont. Il en sera sans doute question lors de la rencontre entre les représentants des régions et le commissaire à la politique régionale, Johannes Hahn, début octobre. Bruxelles pourra s'appuyer sur l'expérience de l'instrument Jeremie testé lors de l'actuelle programmation, notamment dans deux régions françaises, le Languedoc-Roussillon et l'Auvergne.
Ce panorama des initiatives les plus récentes est loin d'être exhaustif. On pourrait encore citer Midi-Pyrénées, l'Ile-de-France, Paca, la Champagne-Ardenne ou encore la Lorraine. Pour avoir un aperçu complet, il faudra attendre la cartographie des fonds régionaux que l'Association des régions de France (ARF) s'apprête à publier cet automne. "Les régions se sont dotées de ces outils pour compléter la palette de leurs moyens d'intervention afin que les entreprises ne se heurtent pas à des manque de fonds propres", explique Erwan Salmon, conseiller de l'ARF en charge du développement économique.
Pourtant, la création des premiers fonds ne date pas d'hier et l'initiative n'en revient pas aux régions. Elle remonte aux années 1980, avec la création des sociétés de capital-risque (SCR), des FCPR (fonds communs de placement à risque), premiers outils d'investissement dans des sociétés non cotées, suivis en 1997 des fonds communs de placement dans l'innovation (FCPI) puis des fonds d'investissement de proximité (FIP) en 2003. On compte ainsi aujourd'hui près de 80 fonds financés par CDC Entreprises - et de nombreux fonds interrégionaux - qui ont permis de soutenir 383 PME en 2009, soit autant que les fonds nationaux. Jusqu'ici, la participation des collectivités à ces fonds était relativement faible ; la crise a changé la donne. Ce sont elles qui, désormais, prennent l'initiative.
Clause de territorialité
Au-delà de l'affichage politique derrière la création de chacun de ces fonds souverains, il y a une véritable prise de conscience des besoins en fonds propres du monde économique. C'est pour les régions le meilleur moyen de combattre la désindustrialisation, d'aider les PME à croître, de les transformer en entreprise de taille intermédiaire (ETI), sur le modèle allemand et de son puissant Mittelstand. "Les régions ont la compétence du développement économique, ce qui suppose la croissance des entreprises de leur territoire. L'accès au financement est clairement du développement territorial, c'est un moyen de renforcer leur ancrage et de créer de l'emploi localement", explique encore Erwan Salmon.
L'ARF regarde avec attention ce qui se fait Outre-Rhin. Là, les PME se financent auprès des associations régionales des caisses d'épargne dans lesquelles les Lander ont des participations. Les Lander peuvent alors faire valoir une "clause d'action territoriale" imposant aux entreprises d'agir dans la région. En France, le contrat est avant tout moral. "S'il s'avère que l'entreprise est stratégique, on investit dans son développement territorial, cela ne veut pas dire qu'on ne va pas la soutenir dans son internationalisation, sa croissance externe, mais il faut favoriser le maintien des centres de décisions au niveau régional. Il faut reprendre le pouvoir sur le financier", explique Denis Balmont.
Régime "pari passu"
La Commission est très regardante sur la création de ces fonds qui doit être notifiée systématiquement. Les investissements ne doivent pas être des subventions déguisés. Le régime le plus sûr est celui dit de "pari passu". Le fonds comprend 49,9% d'investissements publics et 50,1% d'investissements privés. Une sécurité pour la comptabilité des entreprises au regard du régime des aides d'Etat. "Les entreprises ne sont absolument pas informées, or s'il y a le moindre problème, ce sont elles qui en font les frais. Il faut vraiment alerter les entreprises de ces risques car ce sont les seules à avoir la pleine connaissance des cumuls, par ailleurs les régions doivent impérativement s'entourer de juristes", explique-t-on à CDC Entreprises.
Les régions attendent aujourd'hui beaucoup du fonds national d'amorçage, destiné aux jeunes entreprises innovantes. Doté de 400 millions d'euros gérés par CDC Entreprises, dans le cadre des investissements d'avenir, il ne financera pas directement les entreprises mais investira dans une quinzaine de fonds, avec un volet consacré aux fonds régionaux. Le but est d'accompagner les entreprises à forte composante technologique sur de gros montants et pendant au moins une dizaine d'années, dans les secteurs de la santé, des biotechnologies, des TIC, des nanotechnologies ou encore des écotechnologies. D'ores et déjà, Midi-Pyrénées et Aquitaine ont présenté un projet commun. Le premier fonds devrait voir le jour avant la fin de l'année.