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Economie - Entreprises intermédiaires : ce que font les régions

Avec seulement 4.500 entreprises de taille intermédiaire, la France fait pâle figure face aux 12.000 grosses PME allemandes. Longtemps rivée sur ses "champions nationaux", elle a pris du retard. Un retard que les régions veulent aujourd'hui combler en aidant ces entreprises qui ont une forte capacité à innover et à exporter : avances remboursables, appels à projets, idée de cotraitance plus que de sous-traitance... Tour d'horizon.

Faire grandir les PME pour en faire des entreprises de taille intermédiaire (ETI). Contrairement à l'Allemagne, la France a du mal à mettre en œuvre ce processus. En Allemagne, ces entreprises sont quelque 12.000 et servent de véritables locomotives pour l'économie nationale. En France, d'après les statistiques du ministère de l'Economie, on en compte seulement 4.576, soit trois fois moins, et d'une taille bien inférieure à celles d'Allemagne... Même en Grande-Bretagne, ces entreprises tête de proue de l'économie, sont au nombre de 10.000. Il faut dire que le concept même d'ETI date de peu en France. Il a été mis en évidence par la loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008. D'après la définition donnée, il s'agit d'entreprises qui occupent moins de 5.000 personnes et qui ont un chiffre d'affaires annuel n'excédant pas 1.500 millions d'euros ou un total de bilan n'excédant pas 2.000 millions d'euros. Et ces entreprises ont des caractéristiques bien particulières : elles ont tendance à innover davantage que les autres, et également à exporter. Ainsi une étude récente d'Oséo signale que les ETI de la filière automobile, qui sont particulièrement nombreuses, exportent 46,1% de leur chiffre d'affaires, contre 29,6% pour les PME et 4,9% seulement pour les très petites entreprises (TPE). Ce sont également des entreprises relativement robustes. Sur les trois dernières années, 87% d'entre elles ont eu un chiffre d'affaires stable, indique une étude du cabinet KPMG publiée en mai 2011. Les clés de leur succès d'après leurs propres dirigeants, outre leur taille : leur capacité financière (63% d'entre elles se sont autofinancées) et leur capacité à innover. 17% de leurs dirigeants attribuent ainsi leur développement au lancement de nouveau produit ou service. De réels atouts pour ces entreprises que la France peine à développer. Pour Vincent Frigant, chercheur au Groupe de recherche en économie théorique appliquée (GREThA), la différence de représentation de ces ETI entre la France et l'Allemagne s'explique par deux phénomènes principaux. D'un côté, en Allemagne, "les grandes entreprises donneurs d'ordre ont connu, notamment dans le secteur automobile, une forte croissance ces dernières années et ont entraîné avec elles beaucoup d'entreprises dont des PME qui ont crû en taille, explique ainsi le chercheur, en France, depuis 2004, la production de voitures a diminué, et même si 70% du chiffre d'affaires des grandes entreprises du secteur est destiné localement à d'autres petites entreprises, cela diminue et ne permet pas cette émergence d'ETI". Or, les PME qui ont été entraînées par les grandes entreprises en Allemagne ont pu se transformer au fur et à mesure en ETI. Un manque de croissance économique pourrait donc expliquer notre déficience d'ETI. Mais pas seulement.
Pour Vincent Frigant, la politique française destinée à faire émerger des champions nationaux contribue également à limiter le nombre d'ETI. "La tradition en France est de toujours favoriser l'émergence de quelques entreprises et non d'irriguer un réseau de petites ou moyennes entreprises de taille intermédiaire", précise le chercheur. Et les collectivités territoriales sont elles aussi tombées dans le piège. "Les collectivités se sont laissé piéger dans cette logique de champions nationaux qu'elles ont tendance à reproduire. Elles aident aussi beaucoup les PME mais se focalisent surtout sur les start-up, sur les plus jeunes. On oublie les entreprises de 100-150 salariés qui ont atteint un palier pour devenir des ETI. On préfère soutenir ce qui émerge…"

Des clubs d'ETI

Mais signe peut-être d'une évolution en profondeur, les collectivités territoriales commencent à se placer sur ce champ des ETI et à miser sur ces entreprises. "En Aquitaine, nous avons été les premiers à nous intéresser de près à ces ETI", détaille Alain Rousset, le président du conseil régional d'Aquitaine et président de l'Association des régions de France (ARF). La région a ainsi créé un club des ETI d'Aquitaine pour favoriser le développement de celles-ci. Elle tente aussi de faire en sorte que les donneurs d'ordre, particulièrement de la filière aéronautique qui pèse 35.000 emplois et génère 24 milliards d'euros d'activité dans la région, passe de la notion de sous-traitance à celle de cotraitance avec leurs PME. "Quand on se compare à l'Allemagne, on a trois fois moins d'ETI, c'est notre mission d'agir, même si on a moins de moyens financiers que nos voisins européens", souligne Alain Rousset. Autre initiative locale : celle de la région Midi-Pyrénées. Pour répondre aux attentes des grandes entreprises de la filière aéronautique, qui représente en Midi-Pyrénées 83% du chiffre d'affaires, la région aide les petites entreprises du secteur à se développer et à grossir. "Notre souci est de préparer les entreprises potentiellement capables de devenir des ETI dans la durée en mettant autour de la table les moyens financiers", explique Bernard Raynaud, vice-président de la région Midi-Pyrénées, en charge de l'économie. Un fonds d'amorçage régional, spécialisé dans l'apport en fonds propres des jeunes entreprises innovantes, a ainsi été mis en place dans le cadre du grand emprunt. Il est doté de 30 millions d'euros. La région aide aussi directement ces entreprises avec, côté recherche et développement, la signature de nouveaux contrats conclus entre des laboratoires et des entreprises, des appels à projets régionaux, et de nouveaux modes de financement directs autour d'avances remboursables. "Ces aides permettent d'accompagner l'entreprise à un moment bien spécifique, pour passer ce cap de développement, explique Bernard Raynaud, ce sont des avances remboursables à taux zéro donc on peut aller plus loin au niveau du montant." La région compte aussi mettre en place un réseau autour de ces entreprises en passe de devenir des ETI et les faire ainsi travailler ensemble sur des thématiques plus générales, comme les marchés à l'international ou la propriété industrielle. Objectif de la région : disposer d'ici deux ans d'une cinquantaine d'ETI et d'ici cinq ans d'une centaine.

Cibler les aides sur les grosses PME susceptibles de devenir des ETI

L'Ile-de-France s'intéresse elle aussi de près à ces entreprises en devenir. Le conseil économique, social et environnemental régional (Ceser) vient ainsi de produire une étude sur les ETI et leur poids, préconisant des actions pour favoriser leur développement. Dans la région, elles sont au nombre de 1.029, soit 32% des ETI en France, mais "celles-ci sont de taille très inférieure à la moyenne de leurs concurrentes européennes et leurs performances sur la période 2005-2007 sont plutôt moins bonnes", signale le Ceser. Parmi ses préconisations : créer un tableau de bord des ETI pour suivre leur développement et "avoir une photographie", comme l'explique Dominique Dauxerre, conseiller du Ceser Ile-de-France, et cibler les aides financières accordées par la région "de manière plus organisée sur les grosses PME à potentiel, susceptibles de devenir des ETI". Le conseil estime aussi qu'il faut rechercher des partenaires financiers capables de s'engager sur une longue période en termes de participation au capital de ces entreprises, autour de 10 à 15 ans au lieu des 5 à 7 ans classiques. Ces préconisations devraient être analysées par l'exécutif régional à la rentrée, et le conseil espère que certaines d'entre elles seront retenues.
Mais avec ou sans le soutien des régions, les ETI semblent très confiantes dans l'avenir. D'après l'enquête annuelle d'Oséo sur la conjoncture des ETI, leurs projets de développement à l'international sont nombreux. 16% des ETI prévoient ainsi de créer au moins une nouvelle filiale ou coentreprise à l'étranger en 2011, d'abord en Europe, puis en Asie. 56% d'entre elles anticipent une hausse de leur activité contre 7% seulement une diminution, ce qui donne un solde prévisionnel de l'activité à +4,9%. Une tendance confirmée par le premier baromètre des ETI de PricewaterhouseCoopers publié le 20 juillet : 84% des patrons sont optimistes pour l'avenir de leur entreprise. Mais ils sont également 79% à considérer que les efforts des pouvoirs publics sont insuffisants.