Commerce extérieur - Un partenariat Etat-régions pour développer l'export
Si le niveau des exportations françaises s'améliore, le déficit commercial reste important. En 2010, les exportations ont ainsi progressé de 13,5%, ce qui correspond à environ 47 milliards d'euros d'exportations en plus sur un total de près de 392,5 milliards, l'équivalent de 120.000 emplois créés ou sauvegardés en 2011. Une progression plutôt bonne après des années de crise, qui permet à la France de se situer encore au cinquième rang des puissances exportatrices mondiales. Mais le montant des exportations reste encore inférieur à leur niveau d'avant la crise et le déficit commercial reste très élevé. En 2010, il s'établit à 20 milliards d'euros hors énergie, au même niveau qu'en 2009. La France cumule des handicaps dans ce domaine : seuls trois secteurs (aéronautique, agroalimentaire et pharmacie) tirent les exportations, lesquelles sont peu développées dans les pays émergents, et peu de PME exportent. Ainsi 90.000 PME seulement sont exportatrices, soit quatre fois moins qu'en Allemagne. Et parmi ces entreprises, un peu plus de la moitié seulement (54.000) exportent de manière régulière...
Face à ces résultats médiocres, le gouvernement a lancé un plan d'action export pour 2011. Au menu : l'établissement de normes équitables pour le commerce international en cohérence avec les objectifs de la présidence française du G20, un effort de signature de "grands contrats", qui en 2010 ont augmenté de 38%, et le renforcement de la base industrielle des PME et ETI (entreprises de taille intermédiaire). Dans le cadre de ce troisième axe, le gouvernement entend notamment mettre en place un plan d'action engageant l'Etat et les régions. Objectif : renforcer les initiatives d'export afin de donner un nouveau souffle à la croissance et à l'emploi. Le secrétaire d'Etat au Commerce extérieur, Pierre Lellouche, est venu présenter ce plan à l'Association des régions de France (ARF) le 16 mars dernier. Un plan modifié à la dernière minute, sur demande des régions. "Il y a eu un petit retournement un jour avant la présentation du plan à l'association, explique-t-on à l'ARF. Le gouvernement nous proposait initialement un schéma où il se chargeait, avec les acteurs industriels, de développer les exportations et animait un réseau de partenaires dont les régions. Finalement le scénario retenu, que nous avons proposé et que Pierre Lellouche a accepté, met en oeuvre une action publique conjointe Etat/régions."
"Seize guichets d'entrée qui se concurrencent"
Le secrétaire d'Etat au Commerce extérieur a en effet proposé la mise en place d'une charte nationale ralliant tous les acteurs du soutien à l'export et a confié aux régions la coordination des actions de développement économique sur leurs territoires. La charte permettra ainsi de structurer d'ici fin juin l'action de l'équipe "France à l'export"*. Il faut dire que sur ce champ les acteurs sont nombreux : Ubifrance, les chambres de commerce et d'industrie (CCI), les conseillers du commerce extérieur, Oséo, la Coface, les conseils régionaux… "Il n'y a pas moins de seize guichets d'entrée qui se concurrencent, assure ainsi Jean Rauscher, directeur général d'Yseop et auteur de l'ouvrage PME : réussir à l'international. On les accumule et aujourd'hui on peut parler du parcours du combattant." A l'international, même combat : les structures publiques de soutien à l'export qui ouvrent leur bureau à l'étranger se multiplient, sans toujours se soucier des doublons ou des synergies envisageables… "C'est une aberration française, tous les jours vous voyez des collectivités ou l'Etat qui investissent dans des capacités d'assistance opérationnelle là où l'offre privée en la matière est déjà structurée et très bonne, explique Thierry Lepercq, président de Galaxis export. A Moscou par exemple, il y a beaucoup d'organismes privés qui proposent un hébergement aux entreprises." Depuis quelques temps, les collectivités territoriales sont en effet sur les rangs, ouvrant des représentations permanentes dans les grandes mégapoles mondiales, à l'image du Languedoc-Roussillon à New York, Milan, Londres et Shangai, ou de la région Rhône-Alpes qui a ouvert des bureaux de représentation pour les entreprises dans 24 pays du monde. Un investissement flatteur pour les élus mais qui s'avère parfois onéreux…
Vers un guichet local unique pour l'export ?
L'idée du gouvernement : créer une coordination nationale avec un comité de suivi qui puisse identifier les opportunités à l'étranger pour les entreprises, et décliner ensuite l'organisation sur le plan régional, avec des accords régionaux impliquant tous les acteurs de l'export, destinés à mieux définir le rôle de chacun "dans un souci de complémentarité", déterminer des objectifs précis, et surtout mettre en place un guichet unique pour l'export localement pour centraliser et faciliter les démarches. Pierre Lellouche veut s'inspirer de l'Espace international mis en place par la région Nord-Pas-de-Calais pour créer dans chaque région des maisons de l'export réunissant les acteurs de l'export. Un guichet de la sorte devrait être testé dans un premier temps dans au moins trois régions-pilotes, dont l'Auvergne, où le secrétaire d'Etat s'est rendu le 1er avril pour officialiser la démarche. Une démarche qui implique les différentes structures concernées par l'export : l'Etat (via la Direccte), la Coface, Oséo, Ubifrance, le conseil régional et son agence régionale de développement économique, la CCI de la région, Auvergne international et le comité Auvergne des conseillers du commerce extérieur de la France. En région Nord-Pas-de-Calais, le processus est engagé depuis une dizaine d'années et se concrétise par un bâtiment qui rassemble ces acteurs de manière cohérente. "Nous avons créé un hub à l'international, explique Pierre de Saintignon, vice-président du conseil régional de Nord-Pas-de-Calais chargé du développement économique. Il ne s'agit pas d'organiser la permanence de l'accueil mais de créer une sorte d'aiguilleur pour indiquer les structures les mieux à même de répondre aux besoins des entreprises souhaitant exporter." Le bâtiment regroupe ainsi l'ensemble des acteurs publics et les décideurs ayant vocation à agir pour le développement international. Aucune gouvernance juridique officielle n'a été mise en place, le système privilégiant des réunions mensuelles et préservant l'autonomie de chacun.
"Allemands, Italiens, Anglais, tous chassent en meute"
"Chaque organisme garde son autorité, nous ne sommes pas favorable à la constitution d'un guichet unique si cela signifie que les différentes institutions se fondent dans une même organisation. Depuis des années, on a la preuve qu'en France ce type de guichet ne marche pas", précise Pierre de Saintignon. En tout cas, les résultats en Nord-Pas-de-Calais sont au rendez-vous. "Les chiffres de la région à l'international sont en grande progression, détaille le vice-président. Mais la balance commerciale est principalement tirée par de très grands tracteurs comme Auchan. Cela cache l'immense majorité de PME qui ne sont pas assez développées pour affronter les enjeux internationaux." L'Espace international est là pour rectifier la donne. "Cet outil nous fait faire des pas de géant pour les petites entreprises…" Des guichets uniques qui semblent donc indispensables pour organiser les missions menées ici et là par les différentes institutions en charge de l'export et pour avancer "groupés". "Il faut que les acteurs aient le souhait de coopérer car sinon cela crée un goulot qui complique encore plus le travail des entreprises, assure Thierry Lepercq. Et l'export, c'est aussi la capacité d'un pays à grouper les forces pour aller à l'international, trouver des marchés. Les Allemands, les Italiens, les Portugais, les Anglais, tous avancent en ordre groupé et chassent en meute." Le guichet pourrait aussi peut-être éviter les doublons. "En France, le système est encore très désarticulé et il y a une concurrence entre les organismes de l'Etat et les collectivités pour capter des entreprises, ce qui crée beaucoup de déperdition", précise le chef d'entreprise. Mais ces guichets suffiront-ils pour favoriser l'exportation de ces PME qui ont tant de mal à s'y mettre ? "Le fait qu'il y ait une maison de l'export qui puisse favoriser les échanges va dans le bon sens, mais ce n'est pas la révolution", estime-t-on à l'ARF. Même avis du côté de Jimmy Benaudis, associé chez Ernst & Young en charge du "french business network" : "Ces guichets uniques produiront des effets mais ce ne sera pas la panacée, ce n'est pas grâce à eux qu'on va multiplier l'export, explique le consultant. Une PME qui n'est déjà pas très à l'aise sur le marché national, malgré la volonté de l'Etat et des collectivités, ne pourra pas être structurée pour être une championne de l'exportation. Il faut d'abord aider les entreprises à se renforcer de manière structurelle pour qu'elles puissent être performantes à l'international." Jean Rauscher va même plus loin dans l'analyse, estimant qu'il faut miser sur les "pépites" qui ont une véritable innovation de rupture et les aider à exporter. "Au lieu de faire de l'essaimage avec un parcours du combattant, mieux vaut se concentrer sur les entreprises qui ont le potentiel à exporter." Et dans ce domaine, l'innovation, c'est vrai, fait souvent la différence. D'après une étude de la CGPME publiée en 2010, 95% des entreprises exportatrices étaient des entreprises innovantes.
*L'équipe "France de l'export" résulte d'un partenariat signé le 23 avril 2008 entre les principaux acteurs et prescripteurs du commerce extérieur : Ubifrance, les missions économiques, les CCI, l'Union des chambres de commerce et d'industrie en France et à l'étranger, les conseillers du commerce extérieur (CCE), Oséo, la Coface et Pacte PME international.