Développement économique - Des ambassades régionales pour doper les exportations ?
Au pied des somptueux gratte-ciel de Manhattan et à deux pas des boutiques de luxe de la 5e avenue, le visiteur peut découvrir un coin de France inattendu : "The region Languedoc-Roussillon in New-York". Derrière la vitrine, sobrement agrémentée d'un olivier en pot, des produits locaux s'alignent élégamment le long de murs illuminés : huiles d'olive du Gard, sels du Midi, muscats, Fitou, Corbières… "Aucun produit n'est à vendre", prévient cependant la jeune Française assurant l'accueil. Malgré les apparences, la Maison de la région Languedoc-Roussillon n'est pas une épicerie fine : elle se voue à favoriser les exportations des entrepreneurs locaux vers les Etats-Unis.
"Folie des grandeurs" ?
"Jusqu'ici, notre fer de lance est plutôt le vin", y explique la responsable Marianne Fabre-Lanvin. "On organise notamment des tastings (1), avec des importateurs, des distributeurs, et des acheteurs tels que des sommeliers ou des cavistes. Et on invite la presse à nos événements pour répandre la bonne nouvelle !" Ouverte voilà près d'un an, la maison se félicite d'avoir mené 117 opérations en 2009 – de dîners en événements au Musée d'art moderne tout proche… Et la Maison languedoco-américaine compte bientôt étendre ses actions de promotion au profit d'autres productions régionales, de l'agro-alimentaire aux poteries en passant par les jeux vidéo. Elle propose encore d'autres appuis gracieux aux entrepreneurs languedociens : ses 200 m2 sur deux étages peuvent être mis à la disposition des sociétés désireuses de s'implanter aux Etats-Unis, et ses trois salariés y partagent volontiers conseils et contacts locaux.
Trois autres maisons de la région Languedoc-Roussillon s'efforcent de la même manière de conquérir le monde – à Milan et à Shanghai dès 2007, et à Londres depuis 2008, en attendant peut-être, prochainement, le Maroc. Avec quel bénéfice ? Si Jean-Claude Gayssot, le vice-président de la région chargé des relations internationales, n'a pas répondu à localtis.info, le coordinateur de ces maisons, Laurent Panayoty, juge le bilan encourageant. "Nous avons peu de retours des entreprises que nous aidons. Mais nous savons par exemple que sur les 19,2 millions de bouteilles de vin exportées de la région vers la Chine en 2009, 10 millions sont le fruit de notre travail. Et ce que nous essayons de faire est de construire des réseaux en dur ; c'est un travail de longue haleine, qui nécessite d'être sur place en permanence." Quant au coût annuel de ces maisons, il est selon lui de 3 millions d'euros - locaux, opérations, salaires et fonctionnement inclus. La société d'économie mixte Sud de France Export, qui les gère, est financée à 80% par le conseil régional.
A l'Hôtel de région, à Montpellier, l'opposition ne partage pas cet enthousiasme. "Nous chiffrons le coût de ces maisons à 25.000 euros par jour (2)", commente le président du groupe UMP Stéphan Rossignol. "Et il ne passe pourtant presque personne dans ces bureaux ! Louer occasionnellement une salle dans un grand hôtel coûterait beaucoup moins cher…" Selon lui, ces Maisons ne servent au fond que le "prestige personnel de Georges Frêche" : "Pour l'inauguration à Shanghai, comme à New York, ont été conviés de 50 à 70 élus et amis venus de la région…" Ancien conseiller régional des Verts, Sylvain Pastor partage ces critiques : "Les contribuables paient la folie des grandeurs !" Il trouverait, en outre, plus judicieux "de conquérir des marchés européens, surtout pour des produits aussi pondéreux que le vin", dont les exportations sont coûteuses en gaz à effet de serre.
Consultants
Pour autant, le Languedoc-Roussillon n'est pas la seule région à ouvrir des bureaux outre-mer pour maximiser ses exportations. Entreprises Rhône-Alpes international (Erai) a ainsi été créée dès 1987 à l'initiative du conseil régional, dont elle tire aussi près de 80% de son budget (3). Avec 29 bureaux ouverts dans 24 pays, du Japon au Burkina Faso, l'association affirme avoir déjà accompagné "plus de 4.000 entreprises rhônalpines". Mais si elle peut travailler à leur promotion, et à les assister dans leurs exportations, elle se voue également à attirer les investisseurs étrangers en Rhône-Alpes, et à aider les clusters et pôles de compétitivité régionaux à s'internationaliser. Autre différence notable, une partie de ses services sont payants. Et ses bureaux ne servent pas de lieux d'exposition pour l'économie régionale. Enfin, l'opposition rhônalpine de l'Union de la droite et du centre ne conteste pas leur utilité…
Quant à l'Alsace, elle dispose elle-même d'un bureau permanent au Japon, à travers Alsace international, que financent la région et les deux départements rhénans. Mais dans neuf autres pays, l'association a préféré déléguer ce travail d'appui aux exportations à des consultants privés. "L'intérêt est de s'en tenir à un petit budget, et de pouvoir faire évoluer le dispositif en fonction des besoins", souligne Jean-Sébastien Desjonquères, responsable du développement international de l'association.
De leur côté, Pays-de-la-Loire et Aquitaine ont à leur tour choisi d'ouvrir leurs propres implantations en Chine, respectivement dans le Shandong en 2006, et dans le Hubei en 2009. Les régions en semblent donc de plus en plus convaincues : l'essor de leurs exportations passe par l'ouverture de têtes de pont à travers la planète. Ambassades, bureaux ou simples consultants, ces établissements permanents n'en adoptent pas moins des formes et des budgets variés.
Olivier Bonnin
(1) En français : "dégustations"
(2) Soit plus de 9 millions par an
(3) En 2006, la région avait apporté à Erai un soutien financier de 4.327.000 euros
Les régions s'exposent aussi à Shanghai
Léon le Chaton et Alain Delon ne sont pas les seuls représentants de la France à l'Exposition universelle de Shanghai ! Aux côtés du pavillon national, de sa mascotte et de son parrain, les régions Alsace, Ile-de-France et Rhône-Alpes ont leurs propres implantations, juste de l'autre côté du fleuve Huangpu. Le pavillon rhônalpin, par exemple, se veut "une vitrine mondiale pour les savoir-faire et l'innovation des entreprises de Rhône-Alpes, en matière d'écoconstruction et d'éclairage urbain". Avec la ville de Lyon et le cluster Lumière, la région et Erai ont également pris en charge l'éclairage d'une partie de la "zone des meilleures pratiques urbaines" où ils sont implantés. Sans obtenir de tels pavillons, d'autres collectivités sont parvenues à se faire une place à Shanghai. La métropole lilloise a ainsi investi un ancien temple taoïste en pleine ville, pour faire connaître, notamment, "le meilleur des technologies textiles".