Villes intelligentes - Les "villes intelligentes" françaises, pour passer des promesses au concret
Mieux vivre la ville, la rendre plus agréable et attractive, optimiser la gestion urbaine… sont autant de promesses véhiculées derrière le concept de "ville intelligente". Enjeu d'avenir et d'image pour les villes françaises, les démarches "smart city" semblent avant tout répondre à des logiques économiques et servicielles. Elles apparaissent comme porteuses d'un nouveau modèle urbain, dont l'organisation serait marquée par plus de transversalité - un modèle plus ouvert sur les citoyens et aux acteurs privés. C'est en tout cas ce que montre l'étude "Villes intelligentes, "smart", agiles : enjeux et stratégies de collectivités françaises" dirigée par le Commissariat général au développement durable (CGDD). Ce travail de définition et de description des "villes intelligentes" françaises offre un retour concret et une vision globale sur un concept bien trop souvent ancré dans le discours. En creux, ses auteurs posent la question d'un (potentiel) modèle de "smart cities" à la française.
La ville intelligente, définie par ce qu'elle recouvre
Mouvante, la notion de "ville intelligente" ne répond pas à une définition univoque mais renvoie plus largement à "l'utilisation stratégique des infrastructures et des services de l'information et de la communication dans la gestion et la planification urbaines" pour "favoriser le développement de villes durables". Si dans la pratique, les villes et les métropoles se sont saisies du sujet de différentes manières, trois principes semblent animer leurs démarches.
Tout d'abord le "renforcement d'un partenariat local entre l'autorité locale et les acteurs du territoire", vu comme un catalyseur de "toutes les intelligences du territoire" : celle du secteur privé, celle du monde académique, et celle des citoyens.
Ensuite, la "ville intelligente" se positionne comme un "territoire d'expérimentation" où les infrastructures et les données produites sont mises à disposition des entreprises pour l'innovation et l'emploi local. En plus de renforcer l'attractivité du territoire, cette collaboration peut permettre aux entreprises de tester leurs produits ou, plus simplement, aboutir à des solutions qui répondent aux besoins de la collectivité. Enfin, le "smart" transcende la "gestion urbaine" et "inclut des actions plus globales en matière économique, sociale, éducative ou culturelle". Le numérique devient un élément structurant des politiques locales, appliqué aux différents secteurs.
De l'"intelligence", pour quoi faire ?
Les objectifs recherchés par les exécutifs locaux - la finalité de leur démarche "smart" - sont un autre point d'entrée possible pour saisir la ville intelligente. On notera que si "les retombées visées dépendent des contextes locaux", une démarche "smart" "contribu[e] à un nouveau modèle de développement".
Pour le "développement économique", une "ville intelligente" permet de renforcer l'attractivité du territoire (notamment pour les startups), de "diversifier l'économie par la création de nouvelles filières dans les champs du numérique" (Nice) ou encore apparaît comme une "opportunité de relance économique" (Roubaix). Dernier atout, notamment pour les villes au fort potentiel dans la recherche comme Brest, une dynamique "smart city" peut accélérer le développement à l'international et "l'intégration locale d'une main d'œuvre qualifiée".
Grâce au numérique, la ville intelligente améliore "la qualité des services urbains et la qualité de la vie en ville", permettant à tous (habitants, travailleurs, touristes) de "mieux vivre" sur le territoire. A cet effet, le Grand Lyon et Rennes se sont par exemple dotées d'un "bureau des temps", en charge "de prospecter et proposer de nouveaux services pour une meilleure cohérence des temps de travail et de mobilité".
Egalement en tête des priorités, l'optimisation de la gestion urbaine, notamment pour rationaliser la dépense publique. Et, dans une moindre mesure, "parvenir à une gestion plus durable des ressources naturelles". Par ailleurs, pour pleinement rendre compte de cette intelligence collective, les "smart cities" cherchent à renouveler la relation entre la collectivité et ses administrés, soit en développant la participation citoyenne, soit par un accès simplifié à l'information ou aux données produites par la ville. L'objectif : que tous puissent se réapproprier la ville.
Une typologie des "smart cities" françaises
Au-delà du travail de définition, cette étude s'attache à mettre en lumière une typologie des villes intelligentes, en fonction de leur stratégie. Ainsi les villes "pionnières" ont impulsé il y a plusieurs années (5 ans) une démarche "smart" par le biais d'une feuille de route, comme Montpellier ou Nice, et bénéficient aujourd'hui des premiers retours d'expérience pour affiner leur stratégie.
On retrouve ensuite des villes "déjà smart", à l'instar de Grenoble ou Rennes, qui ont procédé à un "travail de recensement des projets […] a posteriori" avant de les intégrer à une démarche globale, notamment en terme de communication.
Enfin, certaines collectivités comme Mulhouse ou Chartres sont "aux prémices de la démarche" mais se montrent "volontaires pour déboucher sur une stratégie concrète".
Si certaines villes font le choix d'un document stratégique définissant de grandes orientations pour cadrer leur action, d'autres privilégient une approche plus "opérationnelle", définissant plusieurs axes prioritaires avec "des objectifs précis et quantifiés". Par ailleurs, les acteurs du territoire peuvent être plus ou moins impliqués dans le travail de définition, par le biais de consultations comme celles menées par l'intercommunalité de Plaine Commune. Selon les villes, des structures favorisant la rencontre entre les différentes parties prenantes ou la participation citoyenne ont pu se construire et être développées.
Le politique et la transversalité au coeur de la démarche
Que la démarche repose sur une approche "top-down" ou "bottom-up", la gouvernance des villes intelligentes nécessite "un portage politique fort". Autrement dit, pour aboutir, une démarche "smart city" doit être le fruit d'une volonté politique – parfois impulsée par un maire "moteur" – qui se concrétise bien souvent par la nomination d'un élu référent ou la constitution d'un comité de pilotage.
En matière d'organigramme, les services peuvent s'organiser par projets, ce qui permet de "transcender les organisations classiques en termes de hiérarchie et de validation de projets". Les agents issus des différents services se constituent alors en réseau autour de projets. Cependant, les villes ont plus souvent fait le choix de créer une nouvelle structure, qu'il s'agisse d'une direction déléguée à la ville intelligente ou d'une structure "dédiée, indépendante et transversale". L'objectif étant de s'assurer de la "transversalité des démarches". Une direction dédiée agit comme un "noyau dur", "travaillant avec d'autres directions selon les projets". Quant aux structures ad hoc, elles peuvent être "internes" comme des "missions" ou incarnées par un "expert" (data chief officer) mais également "externes", sous la forme d'une société d'économie mixte par exemple. Dans tous les cas, elles visent à "définir et porter la stratégie", "à assurer le lien transversal entre les différents services" et "à animer les réseaux de partenaires".
Malgré les réalisations et les ambitions affichées en matière de transversalité, l'"évolution des modes de travail et de projets semble à ce jour peu abouti[e]". En cause, une "tradition de travail en silos" qui reste forte, tout comme la propension à fonctionner par secteur.
Agilité, coopération, financements ... on peut mieux faire
Les villes françaises sont bien engagées dans des démarches "smart city" mais restent "confrontées à des difficultés liées au caractère innovant des projets".
L'étude pointe tout d'abord un cadre juridique et administratif parfois peu lisible qui précise mal "les compétences des uns et des autres" ou reste flou en matière de gestion de données (valorisation, commercialisation, propriété, open data, …). Par ailleurs, les dispositifs juridiques et règlementaires sont "jugés inadéquats", car ils restreignent le champ d'action des métropoles en matière d'expérimentation, de "déploiement des innovations" ou encore pour créer de "nouvelles formes de collaboration". Enfin, les villes regrettent le "manque de fluidité et les difficultés d'accès" des TPE-PME et des startups aux marchés publics, vu comme un "obstacle majeur à l'innovation".
L'enjeu financier, ensuite, reste problématique dans le contexte de contrainte budgétaire que connaissent actuellement les collectivités. Bien qu'elles cherchent à construire des modèles économiques pérennes, les villes dépendent des appels à projets nationaux et européens dont la complexité semble nuire à la qualité des projets. Enfin, c'est un changement culturel qui est nécessaire, aussi bien en interne au niveau des services et des élus, que du côté des entreprises, parfois peu enclines à "jouer le jeu" de la coopération.