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Internet des objets - Réseaux intelligents : et si l'avenir, c'était aussi le très bas débit ?

A l'heure de la fibre optique, des "smart cities" et du "big data", célébrer les vertus du très bas débit hertzien peut paraître anachronique. Pourtant, l'essor de l'internet des objets tend à réhabiliter ce mode de communication et les technologies qui lui sont associées. En France, les collectivités comptent parmi les premiers clients de ces réseaux à bas coût et immédiatement opérationnels, aidées en cela par la présence d'entreprises comme l'opérateur toulousain Sigfox.

Systèmes électroniques d'alerte pollution, de suivi des flottes de véhicules, de gestion prédictive du trafic automobile, de télérelève... le développement de l'internet des objets - auquel France Stratégie consacre une note d'analyse publiée à la mi-janvier (voir encadré ci-dessous) – a commencé, notamment dans les collectivités locales. On connaît les "tags" NFC que les villes disséminent le long d'un parcours touristique pour valoriser des "objets patrimoniaux", statues, monuments historiques : les puces s'activent au passage d'un smartphone pour transmettre une information ou adresser une page sur le web. Sur le plan professionnel, certaines canalisations sont aussi équipées de ces étiquettes électroniques qui permettent de situer leur parcours avec précision dans le sous-sol, au moyen d'un terminal.
Seul inconvénient, la détection suppose une proximité avec l'objet. Certains systèmes hertziens permettent de s'affranchir de tout déplacement. Ils facilitent le déploiement d'un grand nombre d'objets activés, autorisent une supervision centralisée et réduisent sensiblement les coûts de fonctionnement et de maintenance. Et sont de ce fait appelés à croître rapidement. Toutefois, ces systèmes électroniques sont complexes à opérer, surtout lorsque plusieurs milliers de capteurs sont déployés dans l'espace public. Pour fonctionner, ils doivent disposer d'une alimentation électrique et d'un module de communication et s'appuyer sur un réseau capable de transmettre les informations produites par chaque objet. La difficulté étant toujours de trouver le meilleur compromis entre la performance technologique, le volume d'informations à traiter, les modes de transmission et la consommation d'énergie.

Internet des objets : réseaux classiques ou spécifiques ?

Plusieurs familles de réseaux sont capables d'acheminer les données transmises mais avec des niveaux de performance très différenciés. Les réseaux Wifi, comme les réseaux GSM (2,3,4 G) sont des supports dont les performances en émission-réception ont largement été éprouvées. Mais ils ne fonctionnent qu'en maintenant une communication plus ou moins constante entre le réseau et les terminaux et sont de ce fait peu économes sur le volet énergie. Ils semblent plutôt adaptés aux objets alimentés à une source d'énergie permanente : automobile, raccordement au réseau électrique ou téléphonique classiques. En outre, la portée du Wifi reste faible, ce qui limite le champs d'utilisation aux objets fixes. Les réseaux GSM savent intégrer la mobilité mais induisent aussi une consommation de cartes électroniques plutôt coûteuse dans certains contextes.
C'est pourquoi l'utilisation de bandes de fréquence de plus longue portée, mais de plus faible capacité de transmission, semble également prometteuse. C'est en tout cas le modèle retenu par la société Sigfox. Créée en 2009, elle a développé une technologie à bas coûts, désormais brevetée, s'appuyant sur l'ultra narrow band (UNB), une fréquence aujourd'hui non soumise à licence, autrefois utilisée pour la transmission des signaux en morse. Elle déploie son réseau en Europe avec une couverture nationale déjà effective en France, en Espagne, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas et des projets de couverture sur le reste de l'Europe, en Amérique du Nord, en Asie/Océanie et en Afrique. A ce jour, Sigfox dispose du plus important réseau cellulaire mondial dédié à l'internet des objets. Ce qui explique sa croissance rapide. Avec cette technologie, en effet, quelques milliers d'antennes suffisent pour couvrir la France là où un réseau GSM doit en compter cinquante ou cent fois plus, si bien que la portée de chaque station peut atteindre en moyenne 30 à 40 km, et jusqu'à 400 km, ce qui permet aussi d'adresser un satellite.

LysBox, un réseau intelligent pour le maintien à domicile dans le Loiret

Le réseau Sigfox, qui couvre donc l'ensemble du territoire national, intéresse les collectivités locales pour sa simplicité de mise en œuvre, son faible coût et sa flexibilité. Les deux premiers projets industriels intégrant cette technologie ont été récemment remportés par des consortiums dans le cadre de marchés publics.
Le premier, porté par le département du Loiret, consiste à déployer un petit terminal multiservice à destination des 10.000 bénéficiaires de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) du département. La Lysbox, c'est son nom de baptême, simplifie la gestion des intervenants à domicile qui, munis de leur carte professionnelle NFC, pointent à leur arrivée et à leur départ du domicile, ce qui donne une visibilité sur le temps passé, sur la nature de la prestation et sur l'organisme prestataire. Ultérieurement, des capteurs pourront fournir des indications de température (risque canicule), alerter sur les chutes et intégrer bien d'autres outils d'informations communicants. Cette technologie ne nécessite aucun branchement électrique ni connexion internet, mais un simple paramétrage pour rendre la box opérationnelle. Les batteries standard utilisées disposent de deux années d'autonomie et pourront être facilement remplacées par une aide soignante. Côté réseau, Sigfox a profité de l'occasion pour densifier son réseau en installant, avec l'accord des acteurs publics locaux, de nouvelles antennes dans les mairies et les casernes de pompiers. Quant au déploiement, il a été effectué en trois mois par les facteurs, à la suite d'un accord passé entre le conseil général et la Poste.

Télérelève et télédétection de fuites au pays de Gex

Le second projet emporté par un autre consortium consiste à installer un système de télérelève des compteurs et de télédétection des fuites sur le réseau de distribution d'eau de la communauté de communes du Pays de Gex (27 communes et 80.000 habitants). Au total, 30.000 nouveaux compteurs seront déployés dans tous les foyers d'ici 2017. Le futur système produira des données quotidiennes de consommation (une fois par jour) et renseignera sur l'état du réseau à partir de capteurs de flux (flow meters) permettant de détecter rapidement les anomalies sur le réseau de distribution, grâce à un logiciel de supervision. La facturation s'appuiera sur les consommations réelles et non plus sur des estimations et le rendement du réseau sera progressivement amélioré avec la résorption des fuites.
Là, l'intérêt de la technologie Sigfox est principalement d'ordre économique : elle va permettre de mieux lutter contre le gaspillage des ressources ; quant à la maintenance sur les capteurs et sur les compteurs, elle sera réduite au minimum avec une durée de vie des batteries garantie pour 16 années. Le système pourra fonctionner indépendamment des fournisseurs et laissera la collectivité libre de changer une partie des éléments du réseau si elle le souhaite.

Un nouveau concept : le bas débit "low cost"

"Le principe de Sigfox est de pousser les prix vers le bas", explique Thomas Nicholls, le directeur marketing et communication de Sigfox. De fait, l'entreprise mise aujourd'hui sur des choix technologiques qui permettent d'opérer, si nécessaire, un réseau à très grande portée, faiblement consommateur d'énergie et capable de gérer des milliards d'objets sans risque de saturation.
"Ici, le réseau est au service des objets et non l'inverse. D'ailleurs, l'objet ne connaît pas le réseau, il est simplement programmé pour envoyer un message et se rendormir aussitôt", complète Thomas Nicholls. Un principe d'économie qui explique la durée de vie des batteries, en moyenne supérieure à dix années. Par ailleurs, l'usage de capteurs capables de communiquer directement avec la centrale permet de réaliser des économies sur l'infrastructure elle-même. Le concept a convaincu la ville de Moscou de choisir Sigfox associé à l'espagnol Worldsensing pour déployer 15.000 places de stationnement intelligent. "Nous sommes à l'aise sur les coûts, car à Moscou, il suffit de poser les capteurs pour disposer d'un outil opérationnel quasi immédiatement", confirme encore Thomas Nicholls.

Des limites notamment sur la gestion du temps réel

Cette technologie a aussi ses contraintes. La législation limite en effet les émissions quotidiennes par objet à 140 messages de 12 octets et à 4 messages de 8 octets. Conséquence, le réseau n'est pas adapté à toutes les formes de gestion : les smart grid qui nécessitent un pilotage en temps réel ou encore les services fondés sur des commandes à distance comme la gestion technique centralisée ne semblent pas adaptés à cette configuration de service. Certes, le réseau Sigfox est en mesure d'activer une fonction à distance. Mais celle-ci reste simple et suppose que le capteur soit programmé pour se mettre lui-même "à l'écoute" pendant quelques secondes pour recevoir une commande. C'est ce qui permet par exemple à l'afficheur Clear Channel, l'un des premiers clients de Sigfox pour la détection des pannes sur son mobilier urbain, d'allonger la durée de passage d'une publicité sur l'eau minérale en affichage dynamique lorsque la température extérieure dépasse les 30 degrés...
Dans le cas du stationnement intelligent, la gestion en léger temps différé ne dégrade pas la performance du service. Quant aux réseaux de distribution d'eau potable, la production de données au-delà du suivi quotidien de la consommation ne semble pas se justifier. De telles limites n'empêchent pas une ouverture sur la plupart des secteurs d'activité. L'opérateur étudie avec des partenaires agréés des solutions de gestion de déchets (capteurs de niveaux dans les poubelles), des systèmes d'alarme et de détection d'incendie ou d'intrusion, des applications de localisation et de tracking.

Quelles économies à la clé ?

Pour se rémunérer, l'opérateur a choisi une formule d'abonnement comprenant deux variables : un tarif dégressif en fonction du nombre d'objets gérés, complété par une variable qui tient compte de la quantité de données transmises. Au final, le coût annuel par objet varie entre 17 euros pour quelques centaines de capteurs qui émettraient quotidiennement le maximum de données autorisées, à 1 euro pour quelques centaines de milliers d'objets.
Selon les informations livrées par le conseil général du Loiret, le déploiement de la Lysbox aurait représenté un investissement de 1,6 million d'euros pour une charge d'exploitation annuelle estimée à 6 euros par bénéficiaire de l'APA. L'allègement des tâches administratives serait conséquent puisqu'il est évalué à une économie de 3 millions d'euros en année pleine, ce qui raccourcit sensiblement les temps d'amortissement. L'autre intérêt souligné par les utilisateurs est la disponibilité immédiate du réseau qui rend possible des déploiements complexes en quelques mois, compte tenu de sa relative simplicité de mise en œuvre.

Bien connaître le potentiel et les limites des technologies disponibles

Les réseaux très bas débit conviennent donc à une grande variété d'applications liées à l'internet des objets. L'important est de bien évaluer, au moment des études de définition du projet, les besoins effectifs de traitement de données. Quelques collectivités pionnières ont d'ailleurs été conduites à rebrousser chemin après avoir constaté l'inadéquation des solutions technologiques envisagées au départ. Ces dernières étant insuffisamment optimisées par rapport aux besoins réels de la collectivité.
Le bas débit apparaît bien comme une nouvelle technologie de rupture, mais qui vient compléter la panoplie des outils de communication existants. Dans une logique de ville intelligente, les réseaux haut débit et bas débit semblent de plus en plus complémentaires, tant leur usage répond à des contraintes très variables. Il convient de maîtriser le potentiel de chaque solution et de ses apports pour l'exploiter au mieux dans l'intérêt des usagers.

Philippe Parmantier / EVS

France Stratégie revient sur l'internet des objets

Internet "devrait permettre l'interaction d'un nombre croissant d'objets entre eux ou avec nous-mêmes" et se transformera ainsi progressivement en un "réseau étendu, appelé internet des objets, reliant plusieurs milliards d'êtres humains mais aussi des dizaines de milliards d'objets", explique en introduction France Stratégie (le Commissariat général à la stratégie et à la prospective) dans sa note d'analyse intitulée "Demain, l'internet des objets" publiée le 12 janvier. Cette note cite en exemple des domaines comme la santé, l'habitat ou la mobilité qui vont être "bouleversés par cette mutation du réseau". S'agissant des usages dans l'espace public, elle cite quelques villes d'Asie dans lesquelles aujourd'hui déjà, "l'éclairage, le trafic, la collecte des déchets, la qualité de l'air, la distribution des fluides sont analysés et optimisés en permanence". "La gestion des services publics se conçoit de manière plus prédictive et automatisée, grâce aux informations collectées par les capteurs introduits dans l'espace public, puis transmises aux systèmes d'information de la ville. Les services urbains gagnent ainsi en efficacité", écrit France Stratégie. Parmi ses préconisations : "créer une plateforme ouverte dédiée aux services publics pour l'internet des objets". La note détaille en quoi consisterait ce "magasin" : "Les services publics devraient être de grands utilisateurs de l'internet des objets. La production d'applications, la collecte de données seront vraisemblablement décentralisées, autour des villes ou des services concernés. Pour bénéficier de ces efforts d'innovation, tout en prévenant la redondance des initiatives et les incompatibilités de mutualisation, il faudra rassembler, autour de plateformes ouvertes, les applications qui auront été développées, voire les données, et en donner l'accès aux autres collectivités. Cette mutualisation se ferait par exemple en labellisant les applications qui respecteraient des standards de protection des données personnelles ou de sécurité". S'agissant du recours au bas débit, la note explique que "l'échange de données de taille et de format très hétérogènes peut conduire à l'apparition de créneaux de marché spécifiques" et qu'effectivement, "des opérateurs télécoms très bas débits, tels que Sigfox et M2oCity, se sont positionnés dans le transport de données de très petites tailles." France Stratégie avait organisé un forum sur le sujet en avril dernier, dont le compte-rendu complet peut être consulté en ligne, avec les interventions des représentants de ces deux entreprises, la seconde étant une filiale d'Orange et de Veolia.

C.M.
 

 

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