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Numérique - Des réseaux aux services... l'Arcep s'intéresse aux territoires intelligents

Avec le Graco - groupe d'échanges entre l'Arcep, les collectivités et les opérateurs - du 12 janvier dernier, le régulateur se plonge dans les territoires intelligents et poursuit sa réflexion autour des objets connectés. Alors que les "smart cities" sont aujourd'hui une source d'immenses promesses, le régulateur cherche à se positionner afin d'éviter les désillusions. Le ministre Patrick Kanner est intervenu pour donner sa vision de la ville intelligente.

L'émergence de territoires intelligents a été au cœur de la réflexion du Graco, le groupe d'échange entre l'Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes), les collectivités territoriales et les opérateurs, réuni le 12 janvier dernier. Avec ce Graco, l'Arcep poursuit sa réflexion autour des objets connectés en allant sur terrain des services et des usages - sans pour autant oublier les réseaux.
Les différentes interventions ont été l'occasion, grâce à des exemples notamment issus des domaines des transports ou de l'équipement, d'appréhender de manière concrète la notion de territoires intelligents et d'en tracer les limites actuelles. Face aux promesses des transformations en cours, le régulateur doit désormais se positionner et accompagner la dynamique à l'oeuvre sur les territoires.

Pourquoi des territoires intelligents ?

En ouverture de la matinée, Patrick Kanner, ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, a défini la ville intelligente comme un espace qui "concilie les piliers sociaux, culturels, environnementaux à travers une approche systémique qui allie gouvernance participative et gestion éclairée des ressources naturelles". Le citoyen, la durabilité et l'environnement participent pleinement de l'intelligence urbaine et face aux enjeux de l'urbanisation galopante, la "smart city" est devenue, a relevé le ministre, une "réponse au changement climatique". "Horizon à atteindre", la ville intelligente reste pour l'instant un immense chantier à ciel ouvert. Si le numérique a été "intégré à tous les services traditionnels de la ville" comme l'eau ou l'électricité, il doit désormais devenir, pour Patrick Kanner, une composante essentielle et structurée dans les territoires, au même titre que les services "historiques". Le ministre a par ailleurs annoncé que le numérique – comprendre la smart city – sera une priorité des opérations de rénovation urbaine prévues dans le cadre de l'Anru II (2016-2025).
Enfin, pour Patrick Kanner, l'émergence de territoires intelligents doit "s'inscrire dans une démarche éthique qui préserve nos valeurs" par un respect des normes, des libertés publiques et en limitant "les impacts sociaux, environnementaux et sur la santé publique". Malgré un discours plutôt orienté sur la ville, le ministre a longuement souligné l'importance des territoires ruraux, où il y a aussi "matière à développer des services efficaces et durables pour les citoyens, les visiteurs, les entreprises, et dans tous les domaines". Faisant alors des réseaux, et notamment de la fibre optique, un outil indispensable dans la lutte contre la relégation des campagnes et des (jeunes) ruraux.

Sans réseaux, pas d'intelligence

L'intelligence des villes et des territoires se concrétise par une infrastructure et des services, se fonde sur un ensemble d'équipements connectés qui permettent d'améliorer la vie collective. Les Autolib' et Velib' parisiens, la gestion des alertes liées aux crues à Montpellier, les horaires en temps réel des transports en commun, le déploiement de wifi public ou encore des plateformes de participation citoyenne sont autant de nouvelles applications à même de changer l'expérience d'un territoire pour ses habitants. Or toute cette alchimie repose en grande partie sur le déploiement de réseaux adaptés (bas débit, très haut débit...), capables de répondre à de nouveaux usages.
Selon Pierre-Jean Benghozi (membre du collège de l'Arcep), les territoires intelligents représentent "le terreau essentiel pour la numérisation de la société, car ils présentent des besoins diversifiés, nouveaux et complexes et réunissent aussi bien des acteurs traditionnels que de nouveaux entrants". Or, afin d'y répondre, les collectivités doivent penser leur déploiement sur le long terme, sans perdre de vue l'importance de "l'interopérabilité, de l'articulation ou encore de la neutralité" des réseaux publics. Un ensemble de contraintes technologiques liées aux réseaux (qualité des débits, fréquences utilisées...) mais également à l'équipement des citoyens (en smartphones par exemple) qui fait écho, dans le même temps, à une demande de services en forte croissance de la part des usagers.
Face à ce défi, le régulateur se doit de définir "un cadre de déploiement qui permette de stimuler les énergies". Invité à se prononcer sur un tel cadre, les intervenants ont fait de la sécurité des systèmes, de la protection des données ou encore de la régulation du spectre des enjeux importants. Si l'Arcep, par la voix de son président, Sébastien Soriano, a annoncé qu'elle "ouvrira le jeu de l'internet des objets à toutes les technologies, à tous les acteurs et à tous les modèles", plusieurs intervenants ont appelé à travailler sur l'interopérabilité et la standardisation. Comme l'a précisé Yves Tyrode (SNCF), le régulateur devra apporter "son soutien aux acteurs sur le long terme" en matière d'internet industriel, afin de les aider dans leurs choix. L'Arcep devrait notamment publier cet été un rapport, sorte de "livre blanc", sur l'internet des objets. Enfin, Gilles Quinquenel (président de Saint-Lô Agglomération) a appelé à "légiférer de manière ambitieuse tout en laissant de l'air, de la capacité d'innovation aux acteurs" sur ces sujets nouveaux. Et a rappelé l'importance d'une "bonne" articulation entre le local et le national.
L'élu normand a par ailleurs appelé ses collègues à être "plus présents sur le numérique, à s'emparer de ces sujets" tout en mettant en avant les vertus des "démonstrations par l'exemple". Celles-ci sont pour lui plus à même de convaincre les élus sur les potentiels du numérique (optimisation, renouvellement de la participation…) et d'informer sur les transformations à l'œuvre dans les organisations (décloisonnement…).
Autre enjeu, celui de la notion d'"intelligence". Posant un débat de fond, Marc Taieb (Bolloré Télécom) a distingué la "connectivité" de "l'intelligence". Pour lui, objets et services connectés sont avant tout gourmands de connectivité, connectivité nécessaire à la transmission des données qui seront traitées par la suite. En ce sens, il concluait que le premier chantier d'une ville était la connectivité, et non l'intelligence, laquelle viendra "naturellement" dans le sillon des startups et des entreprises – et, pourrait-on ajouter, de tout autre acteur de la société civile.

Les services à l'origine de la valeur

Cette distinction entre intelligence et connectivité, bien que remise en question au cours des débats, à l'intérêt d'interroger "l'après". Comme l'a rappelé Martine Lombard (membre du collège de l'Arcep) "la légitimité du régulateur est sur les réseaux et les infrastructures mais il est nécessaire, pour avoir une réflexion approfondie, de s'intéresser aux usages". De quoi faire écho à Philippe Rozès (Orange) pour qui "ce sont les services et les usages qui créent la valeur et qui doivent être à la base de la réflexion".
Henri Verdier (directeur interministériel du numérique et des systèmes d'information et de communication, Dinsic) a prolongé la réflexion en réinterrogeant la "notion même de services", avec peut-être un "renversement des logiques" où "l'on devra apprendre à ne pas toujours régler les problèmes à la place des gens en diffusant de la capacité, de la puissance d'agir et les ressources nécessaires". Notamment grâce aux territoires intelligents. Par ailleurs, pour lui, "l'imagination est la seule limite" pour définir "ce que seront les nouveaux services dans les territoires, les villes ou de l'Etat ". Une profusion et une diversité qui est déjà visible puisque tous les secteurs – transports, énergie, eau, aménagement urbain, sécurité… – font aujourd'hui l'objet de transformations profondes sous les effets du numérique.
Comme cela été plusieurs fois salué, les synergies actuelles entre acteurs locaux et nationaux, privés et publics, favorisent l'innovation. Ainsi, pour Pierre-Emmanuel Struyven (Numericable-SFR), la "collaboration est le mot important" car elle facilite "l'expérimentation ensemble, par le croisement des données, des approches, des connaissances et des besoins des entreprises, des collectivités et des usagers". Collectivités, Etat, universités, startups et grands groupes… ont alors intérêt à collaborer pour produire, grâce aux données, des services à forte valeur ajoutée pour l'usager.

Faire émerger une intelligence collective

Enfin, la ville intelligente se reconstruit et travail autour des besoins de ses habitants. Ainsi, l'adjoint à la mairie de Paris Emmanuel Grégoire a fait état de trois conceptions de la ville : "ville ingénieuse" (services), "ville connectée" (infrastructure) et "ville ouverte" (participation et inclusion), dans lesquelles le "citoyen à une place centrale". Selon la formule de Patrick Kanner, avec le numérique, "les citoyens ne doivent plus être des consommateurs de services mais des acteurs [de leurs territoires]". Un renouveau qui est presque "consubstantiel du développement du numérique", selon Henri Verdier. Aujourd'hui, a-t-il souligné, de plus en plus d'individus "aspirent à une gouvernance et à une résolution collective des problèmes collectifs" face auxquels l'administration peut parfois être pensée comme impuissante. Et c'est peut-être cette intelligence collective, permise par les réseaux, facilitant l'innovation et le développement de services, qui est constitutive des territoires intelligents.
En rappelant cette dimension collective dans son discours de clôture, le président de l'Arcep a tenu à faire du Graco "un lieu de dialogue, d'incubation du débat sur les territoires intelligents", où "le régulateur est là pour montrer en exemple, pour débattre". Cette "phase de discussion et d'incubation", qui devrait se prolonger au cours des prochains mois, a suscité un grand nombre de questions que Sébastien Soriano a tenté de lister : sentiment de relégation des territoires, service public de la donnée décentralisé, qualité de services, changements de paradigmes techniques, nouvelles formes de citoyennetés, nouveaux rôles des institutions et des acteurs économiques, nouvelles formes de financements... Comme autant d'enjeux qui, sans pour autant inhiber l'action, devront nécessairement irriguer la réflexion.