Intercommunalité - Les communautés, futures "autorités organisatrices des services publics locaux" ?
Reçu le 20 juillet à Matignon, Daniel Delaveau, le président de l'Assemblée des communautés de France (ADCF), remettait au Premier ministre un volumineux document faisant état des propositions de l'association en ce début de législature. Ces propositions, toutes étayées par des constats précis (chiffrés, cartographiés...), concernent évidemment les institutions intercommunales, leur périmètre, leur rôle, leur fonctionnement et leur financement... mais aussi les principales compétences intercommunales. Il y est ainsi question de politique de la ville, d'économie et d'emploi, d'urbanisme, d'habitat, de transports, de TIC, d'environnement, de santé et d'action sociale... Amendé et validé fin juin lors de l'université d'été des instances nationales de l'ADCF, ce document de plus de 70 pages viendra notamment nourrir les débats de la 23e convention nationale de l'intercommunalité organisée à Biarritz du 3 au 5 octobre.
Alors que l'on est aujourd'hui à cheval entre la mise en oeuvre de la loi du 16 décembre 2010 - en tout cas de son volet intercommunal – et l'annonce d'une nouvelle réforme territoriale dont on ne sait pour l'heure que peu de choses…, l'ADCF donne sa vision des principes devant dicter toute nouvelle étape de la décentralisation. Et de la place que devra y occuper l'intercommunalité.
Plus question aujourd'hui d'une "refondation intégrale de notre carte administrative", estime l'association, qui préfère parler de "rénovation", de "possibilités de rationalisation". Une rénovation qui se ferait clairement au profit de deux échelles : la région et l'intercommunalité, qui seraient "les deux niveaux d'avenir" et doivent à ce titre être privilégiés en tant que chefs de file. Pour l'intercommunalité, les formules choisies sont intéressantes : les communautés, par leurs "compétences de planification", "sont aujourd'hui les pivots des politiques territoriales" et doivent devenir "des autorités organisatrices des services publics locaux".
Quant au département… "son mode opératoire sera amené à changer", tranche l'ADCF : outre le fait de devoir se concentrer sur ses compétences sociales, il resterait "une échelle utile d'organisation pour mutualiser des compétences d'ingénierie ou des fonctions support" et pourrait "devenir le siège d'une conférence des intercommunalités".
S'agissant des relations Etat-collectivités, l'ADCF s'intéresse notamment au futur Haut Conseil des territoires, considérant que "de nombreuses instances pourraient y être rattachées" (CFL, CCEN, CCEC…) et que les conférences régionales d'exécutifs devraient constituer sa déclinaison territoriale.
Pour une certaine "plasticité territoriale"
Le document revient naturellement sur la refonte de la carte intercommunale, rappelant qu'à ce jour, 69 schémas départementaux de coopération intercommunale (SDCI) ont été approuvés. Et attire notamment l'attention sur la question des périmètres, qui "doivent être conçus pour permettre la prise en charge directe de véritables compétences opérationnelles dans les domaines majeurs nécessitant une forte mutualisation". L'ADCF propose d'ailleurs que les prochaines lois de finances prévoient des ajustements pour "toiletter les incohérences juridiques et fiscales qui persistent en cas de fusion ou de modification de périmètre". Autre proposition : la constitution d'une "mission nationale d'appui technique pour accompagner les élus dans la conduite des projets de fusion complexes".
Revenant sur les modalités d'élection des conseillers communautaires - dont le principe a été acté par la loi du 16 décembre 2010 mais qui doivent encore être précisées par un nouveau texte -, l'ADCF estime que "l'option la plus consensuelle à ce jour demeure la transposition à l'intercommunalité du mode de scrutin pratiqué à Paris, Lyon et Marseille" (PLM). Ce mode de scrutin serait à appliquer dès 2014, quitte à ce que l'on réfléchisse, pour les échéances électorales suivantes, à des modes de scrutin "plus intégrateurs". Face au problème technique d'application d'un tel scrutin PLM pour les communes de moins de 500 habitants, l'ADCF propose tout simplement la généralisation du scrutin de liste (autrement dit, la suppression du panachage). Elle estime en outre que l'élection de 2014 devra s'accompagner d'une présentation explicite sur les listes municipales et d'une campagne d'information en direction du grand public.
Au chapitre des compétences, l'ADCF plaide, comme elle le fait depuis longtemps, pour une logique de subsidiarité. Et pour une certaine "plasticité territoriale" : dans un paysage très disparate, des règles complètement uniformes de répartition des compétences entre communes et EPCI, que l'on soit en milieu rural ou urbain, n'auraient guère de sens. Même chose, d'ailleurs, pour d'éventuels transferts de compétences de l'Etat, de la région ou du département vers l'EPCI : mieux vaut privilégier la délégation de compétence, "progressive et sur le fondement du volontariat". Cela n'empêche toutefois pas l'ADCF de songer à la généralisation de quelques grandes compétences "dans les domaines de la planification de l'urbanisme, des mobilités durables et du logement", ni de souhaiter que l'intercommunalité exerce des pouvoirs de police en matière, notamment, de voirie et d'équipements collectifs.
Fiscalité : attention aux mesures qui "déstabilisent les anciens équilibres"
Enfin, sur le volet ressources humaines, après avoir expliqué les divers chiffres ayant circulé ces derniers mois quant à l'évolution des effectifs du bloc local, l'ADCF s'intéresse surtout à l'enjeu de la mutualisation, souhaitant à ce titre que les schémas de mutualisation que la loi a prévus pour 2015 soient préparés dès 2012, qu'une "mission nationale d'appui à la mutualisation" soit créée et qu'une incitation financière à la création de services communs soit prévue. Surtout, elle souligne que les services communs "ne pourront devenir réellement opérationnels qu'à la condition d'autoriser juridiquement le plein transfert des agents (et non une simple mise à disposition)".
Une partie importante du document est évidemment consacrée aux questions financières et fiscales. Sur le constat, on retiendra notamment les critiques de l'ADCF sur le transfert au bloc communal de la part départementale de la taxe d'habitation opéré dans le cadre de la réforme de la taxe professionnelle. Un transfert qui aurait "profondément déstabilisé les anciens équilibres entre fiscalité économique et fiscalité [des] ménages au sein des blocs intercommunaux". L'association entend donc aujourd'hui veiller à ce que "ne soit pas davantage dégradé le lien fiscal entre entreprises et territoires". Et à ce que la répartition territoriale de la CVAE soit améliorée, ce qui suppose principalement de considérer les groupes comme une seule entreprise au titre de cette cotisation (et, plus précisément, d'"agréger l'ensemble des cotisations d'un groupe avant d'en répartir les produits entre ses différentes entités et établissements").
Autre priorité fiscale de l'ADCF : la révision des valeurs locatives, sur laquelle elle propose un calendrier, à la fois pour les locaux commerciaux et pour les locaux résidentiels. Les amendements que vient d'adopter le Sénat dans le cadre du PLFR 2012 devraient à ce titre lui donner en partie satisfaction.
En termes de péréquation, les représentants des élus intercommunaux, certes satisfaits de la création du fonds de péréquation intercommunale et communale (Fpic), formulent plusieurs pistes pour améliorer le dispositif, dont une révision de la clef de répartition pour les flux (prélèvements ou reversements) entre l'EPCI et les communes. Plus globalement, ils espèrent que l'on pourra un jour faire converger les critères et les objectifs des dispositifs de péréquation verticale (dotations) et horizontale.
Claire Mallet
Les propositions thématiques de l'ADCF
L'ADCF explique et détaille ses constats et ses préconisations dans chacun des champs sur lesquels les intercommunalités interviennent aujourd'hui. Autant dire que la liste est longue… Quelques éléments à retenir concernant une partie de ces champs de compétences (en sachant que d'autres thématiques sont également abordées dans le document : enseignement supérieur, TIC, eau et assainissement, déchets, santé et action sociale, culture et sport…).
Aménagement du territoire
Profiter de la prochaine génération de contrats de projets Etat-région (CPER), des futures programmations européennes, des suites à donner au PNRU et aux Cucs et de la révision des divers zonages urbains et ruraux pour "repenser en profondeur" les outils d'aménagement du territoire. Aujourd'hui, la stratégie nationale en la matière est "brouillée". Le Haut Conseil des territoires pourrait permettre de lui redonner forme. La Datar et le secrétariat du CIV devraient se rapprocher. A l'échelle de la région, les stratégies seraient définies au sein des conférences régionales d'exécutifs (CRE).
Politique de la ville
Les "nouveaux leviers" des politiques de cohésion sociale urbaine "doivent être actionnés à l'échelle des agglomérations". C'est donc à cette échelle que la contractualisation (Cucs, conventions Anru, etc.) doit se faire. Et ce sont les agglomérations qui doivent prendre en charge les "fonctions support" ainsi que les politiques liées au "grands marchés urbains" (foncier, transports, revitalisation économique…) en faveur des quartiers. Le PNRU devra être moins discriminant, l'Anru et l'Acsé doivent être rapprochées.
Développement économique
Une bonne partie des propositions de l'ADCF dans ce domaine concernent le schéma régional de développement économique (SRDE), qui doit selon elle devenir "l'outil de planification de droit commun", avoir un rôle prescriptif sur les aides importantes aux entreprises et être élargi aux questions d'emploi et de qualification. Parmi les autres propositions : consolider les maisons de l'emploi à l'échelle intercommunale, "organiser une gouvernance intégrée" des outils territoriaux de l'emploi et des réseaux d'aide à la création d'entreprise…
Urbanisme
Dans la droite ligne des travaux sur l'urbanisme de projet, l'ADCF continue notamment de prôner la généralisation des PLU intercommunaux et des Scot, le renforcement des schémas régionaux d'aménagement durable du territoire (Sradt) et des mécanismes fiscaux pour lutter contre la rétention foncière, la poursuite de l'examen de la proposition de loi sur l'urbanisme commercial…
Habitat
Une réforme de la politique du logement doit être synonyme de territorialisation. D'où l'idée d'instituer des conférences régionales du logement associant tous les acteurs et procédant à la répartition des crédits et des agréments dans le cadre des aides à la pierre. Mais aussi de préparer une révision des zonages et une nouvelle contractualisation sur le fondement des PLH. Le renforcement des dispositions de la loi SRU est également évoqué. Les communautés deviendraient "de véritables autorités organisatrices locales de l'habitat".
Transports
Il s'agit notamment, selon l'ADCF, d'assurer "une meilleure coordination des différents niveaux d'autorités organisatrices de transport (AOT) à l'échelle interurbaine", d'organiser "une nouvelle gouvernance des gares", de clarifier les responsabilités en matière de stationnement et de renforcer les compétences des grandes agglomérations pour la gestion des voiries urbaines les plus importantes.