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Enseignement supérieur et recherche - Le projet de loi Fioraso adopté au Sénat : zoom sur les débats avant le passage en CMP

Le Sénat a adopté le projet de loi sur l'enseignement supérieur dans la nuit de vendredi à samedi. Le texte sera tout prochainement étudié en commission mixte paritaire d'où sortira une version commune aux deux chambres. Plusieurs amendements, adoptés ou non, concernaient les collectivités, donnant lieu à des débats plus ou moins houleux. Les sénateurs ont naturellement parlé implication des collectivités dans la gouvernance et le financement, mais aussi aménagement du territoire et déserts médicaux...

Coup de théâtre (article 38) – L'article 38, qui institue notamment les contrats pluriannuels liant les établissements d'enseignement supérieur à l'Etat, a dans un premier temps été purement et simplement rayé du projet de loi, via l'adoption dans un hémicycle déserté de deux amendements proposant sa suppression. L'un, défendu par la CRC Brigitte Gonthier-Maurin, voulait sortir de la logique du PRES (pôles de recherche et d'enseignement supérieur de la LRU), considérant de manière générale que "l'échelon territorial ne doit pas se substituer à une stratégie nationale, a fortiori dans des domaines comme l'éducation et la recherche, dans la mesure où seul l'Etat est à même de garantir l'égalité de ces services publics fondamentaux sur tout le territoire". L'autre amendement de suppression, de l'UMP Sophie Primas, voulait améliorer le dispositif PRES et voit dans l'organisation territoriale des universités "non pas de la compétition, mais de l'émulation".
Mais quand, vendredi vers minuit, la discussion de tous les articles a été achevée et avant que les sénateurs ne votent l'ensemble du projet de loi, Geneviève Fioraso a demandé une seconde délibération sur l'article 38, comme le permet le règlement du Sénat. Les sénateurs se sont alors prononcés sur un texte rédigé par le gouvernement qui, au passage, a tenté de revenir sur le caractère obligatoire de l'association des collectivités territoriales aux contrats pluriannuels liant les établissements d'enseignement supérieur à l'Etat. Peine perdue, la commission a prévenu qu'elle ne voterait l'article 38 que si le texte revenait à la rédaction suivante "ces contrats pluriannuels associent la ou les régions et les autres collectivités territoriales (…)" (et non pas "peuvent associer", comme le souhaitait le gouvernement). Ce que la ministre a accepté. Et le projet de loi a pu être adopté dans son ensemble (172 voix pour et 157 contre).

Mieux que "consultées" : "associées" (article 12) - "Les collectivités territoriales et les EPCI qui accueillent des sites universitaires ou des établissements de recherche sont associés à l'élaboration du schéma régional", dit désormais l'article 12 du projet de loi, après une large adoption de l'amendement présenté par l'UMP Sophie Primas puis sous-amendé par le PS David Assouline. La première ne voulait plus seulement que les collectivités soient "consultées" mais qu'elles "participent à (l'élaboration du schéma régional)". Le second suggérait même qu'elles y soient "associées", comme l'avait d'ailleurs imaginé la commission des affaires économiques.

Zones rurales (article 1) – La sénatrice RDSE Françoise Laborde demandait qu' "un pourcentage fixé par décret détermine les créations d'établissements d'enseignement supérieur réservées aux zones rurales", rappelant que "les jeunes résidant en zone rurale subissent une orientation par défaut, en poursuivant une formation professionnelle, ou quittent tout simplement le système scolaire. L'implantation d'antennes universitaires, d'IUT, ou des futures écoles supérieures du professorat et de l'éducation fait vivre les territoires ruraux. Ne l'oublions pas, l'implantation des services publics participe pleinement à l'aménagement et à l'attractivité de nos territoires". "Nous nous préoccupons de l'irrigation de l'ensemble du territoire par les établissements d'enseignement supérieur comme de recherche, parce qu'il peut y avoir des niches d'excellence dans certains pôles, considérés comme petits – je ne dis pas 'secondaires', car ce serait péjoratif", a rassuré Geneviève Fioraso. Si bien que la sénatrice RDSE a retiré son amendement.

Antennes universitaires (article 4) – Un amendement du sénateur UMP Jacques Legendre proposant d'inscrire dans la loi que "les universités ont le devoir de maintenir les antennes universitaires dans un souci de proximité géographique, qui favorise la démocratisation de l'enseignement supérieur" n'a pas été adopté. Le sénateur avait tenté de démontrer que grâce à ces antennes (qui forment un "maillage constitué d'environ 140 sites"), "de nombreux jeunes qui n'auraient pas fait d'études supérieures longues ont ainsi pu entrer dans l'enseignement supérieur, passant un ou deux ans dans leur ville d'origine avant d'aller à l'université mère poursuivre leur cursus, éventuellement dans le second cycle".
La commission a estimé que "la loi n'a pas à fixer comme devoir absolu le maintien des antennes universitaires" et que "le maintien de ces sites dépend de l'évolution des conditions financières et démographiques des zones concernées". Geneviève Fioraso est revenue sur le fait qu' "il peut y avoir des niches d'excellence, y compris en matière de recherche, dans des pôles situés en dehors des métropoles" (ce qui n'était pas le sujet).

Financer et décider (article 4) - "Si l'aménagement du territoire concernant les universités et leurs antennes rencontre quelques problèmes, c'est peut-être aussi parce que les collectivités locales - notamment les régions et les départements - ne sont pas assez présentes dans les réflexions menées par les universités", a suggéré Eric Doligé, lors de la discussion sur les antennes universitaires. Et le sénateur UMP de menacer : "Si l'on veut que les départements et les communautés d'agglomération, entre autres, continuent à participer à ces projets, il faudra les impliquer davantage dans la réflexion. À défaut, ces collectivités retireront leurs financements." Geneviève Fioraso semble en avoir conscience : "Si j'ai remis les collectivités dans la boucle pour faire démarrer les plans Campus, c'est parce que je suis convaincue que leur engagement est important et qu'il doit être pris en compte. Les collectivités ont apporté un milliard d'euros en plus des cinq milliards dégagés par le gouvernement, et c'est ce milliard qui a permis de faire démarrer les plans Campus, alors que les cinq milliards du gouvernement n'étaient pas engagés. Nous sommes donc entièrement d'accord sur la nécessité d'un engagement des collectivités locales."

Culture scientifique, technique et industrielle (article 12 ter) – Un amendement gouvernemental, adopté après une longue discussion, pose désormais le principe que "la région coordonne (…) les initiatives territoriales visant à développer et diffuser la culture scientifique, technique et industrielle, notamment auprès des jeunes publics et participe à leur financement" et surtout que "l'Etat transfère aux régions les crédits qu'il accordait à ces initiatives". Cela permettrait de "transférer aux régions les 3,6 millions d'euros actuellement dévolus à la culture scientifique et technique sur les territoires. Le transfert de compétence s'accompagne bien d'un transfert financier, à l'euro près", a commenté Geneviève Fioraso. "Cette mesure a été décidée en bonne intelligence avec ma collègue Marylise Lebranchu, qui me l'a proposée", a précisé Geneviève Fioraso, admettant que cette mesure était initialement prévue dans le projet de loi de décentralisation.

Déserts médicaux (article 22 bis) – Le sénateur PS David Assouline a tenté d'introduire un nouvel article qui aurait permis aux "candidats, justifiant d'une expérience professionnelle validée dans les métiers de la santé, notamment en tant qu'infirmiers, (de pouvoir) être admis en deuxième année d'études médicales, odontologiques, pharmaceutiques ou de sage-femme". Il s'agissait, via la validation des acquis de l'expérience (VAE), d' "offrir des évolutions professionnelles" à ces personnels mais aussi de répondre aux problèmes des "déserts médicaux". La commission était favorable, mais le gouvernement a demandé (et obtenu) le retrait, estimant qu'un dispositif était déjà prévu (arrêté du 26 juillet 2010 relatif au nombre d'étudiants admis à la fin de la première année commune aux études de santé à poursuivre des études médicales, odontologiques, pharmaceutiques ou de sage-femme). "Nous connaissons ce dispositif, mais nous voulions aller plus loin", a répondu le sénateur PS, avertissant qu'il entendait bien reposer le débat "dans le cadre d'un texte de loi sur la santé".

Déserts médicaux bis : régionalisation d'épreuves de médecine (article 22 ter) – Le nouvel article 22 ter est issu d'un amendement que Valérie Létard avait défendu avec trois autres (retirés) qui visaient "un objectif commun : améliorer la sélection et la formation des médecins pour leur meilleure adaptation aux besoins de santé dans les territoires", reprenant des propositions du rapport Maurey intitulé "Déserts médicaux, agir vraiment rendu en février dernier" (voir notre article ci-contre du 8 février 2013). Le seul retenu (265 rectifié bis) "tend à régionaliser les épreuves classantes en ouvrant dans chaque région un quota de postes qui soit en adéquation, tant dans son effectif global que dans sa répartition entre les différentes spécialités, avec les particularités de la région en termes de démographie médicale", a expliqué Valérie Létard. "La répartition des étudiants en médecine entre les différentes spécialités repose sur des épreuves classantes nationales, qui se sont substituées au concours de l'internat. Or on observe une propension des médecins à s'installer dans la région où ils ont fait leurs études dans une proportion de 80%. La régionalisation des épreuves classantes contribuerait ainsi à mieux s'adapter aux besoins de la répartition régionale", explique-t-elle encore.

Déserts médicaux ter : les kiné aussi ? (article 22) – L'article 22 prévoit que "A titre expérimental, pour une durée de six ans, (…) des modalités particulières d'admission dans les études médicales, odontologiques, pharmaceutiques et de maïeutique peuvent être fixées par décret". Sophie Primas a défendu l'idée d'y ajouter les études de "masso-kinésithérapie", considérant que "comme les déserts médicaux évoqués par Monsieur Assouline, il existe des déserts en masso-kinésithérapie". La sénatrice a finalement retiré l'amendement après avoir entendu la rapporteure Dominique Gillot rappeler que "le processus de réingénierie de la formation de masso-kinésithérapie est en cours" et qu'il était préférable de "laisser aux ministères chargés de l'enseignement supérieur et de la santé et aux professionnels le temps de finaliser la réingénierie de cette formation pour que la réforme puisse être mise en œuvre à la rentrée de septembre 2013".

Stages en formation sanitaire (article 15) – Un amendement défendu par Geneviève Fioraso reprenait les arguments de l'Association nationale des assistants de services sociaux (voir notre article ci-contre du 20 juin 2013) en suggérant que les étudiants de formations sanitaires (médicales et paramédicales) puissent échapper aux dispositions de l'article 15 du projet de loi qui prévoit d'étendre "aux administrations publiques ou association ou de tout autre organisme d'accueil" l'obligation de rémunération des stages de plus de deux mois aujourd'hui imposée aux seules entreprises. L'amendement gouvernemental, adopté sans difficulté, permettra que ces étudiants bénéficient d'une gratification lorsqu'ils effectuent un stage d'une durée supérieure à deux mois consécutifs au sein des administrations publiques, les associations ou tout autre organisme d'accueil.

Quotas de bacheliers techno et pro (article 18) – Un amendement gouvernemental a tenté de revenir au texte des députés : "les quotas ne doivent pas être fixés de manière dogmatique : ils ne sont pas nécessaires dans les territoires où les choses se passent naturellement bien. Les recteurs ne doivent intervenir, en lien avec les responsables d'établissement, que lorsque le nombre de bacheliers technologiques et de bacheliers professionnels admis, respectivement, dans les IUT et les STS est insuffisant", a essayé de faire valoir la ministre. La rapporteure Dominique Gillot est restée sur ses positions, tandis que l'UMP Jacques Legendre a pris un malin plaisir à soutenir Geneviève Fioraso : "Madame la ministre, votre majorité vous cause parfois quelques tourments. Il faut donc bien que l'opposition vous aide un peu : je voterai très volontiers l'amendement n° 334. J'ai dit tout le mal que je pensais des quotas, système qui me semble beaucoup trop rigoureux. Introduire un peu de souplesse est tout à fait nécessaire". A l'issue du vote, "J'ai fait ce que j'ai pu !", a-t-il ironisé.

Publication des statistiques d'intégration professionnelle des étudiants (article 14 A) – Un article a été ajouté au projet de loi : "Les établissements d'enseignement scolaire disposant d'une formation d'enseignement supérieur rendent publiques des statistiques comportant des indicateurs de réussite de leurs élèves ou apprentis aux examens, concours et diplômes qu'ils préparent. Ces établissements diffusent également une information générale sur les taux de poursuite d'études et d'insertion professionnelle dans chacun des domaines qui les concernent. Chaque élève ou apprenti est obligatoirement informé de ces données statistiques avant son orientation dans un nouveau cycle ou une formation supérieure."

Cordées de la réussite – Malgré une "surenchère d'amour et de preuves d'amour pour les Cordées de la réussite" dans le débat parlementaire, ainsi que l'a observé Geneviève Fioraso, l'amendement défendu par Sophie Primas qui visait à pérenniser ce "dispositif souple, très peu coûteux et qui fait ses preuves sur le terrain", lancé en 2008, n'a pas été retenu. "Il n'y a pas de problème : nous y attachons autant d'importance que vous", a assuré la ministre, tout en estimant que cela ne relevait pas de la loi.

Election du président d'université – Deux amendements, l'un défendu par le CRC Michel Le Scouarnec, l'autre par l'écologiste André Gattolin, visant à changer le mode de désignation du président d'université pour "renforcer sa légitimité" a permis à Geneviève Fioraso de se poser en défenseure des collectivités : "les membres non élus du conseil d'administration peuvent légitimement participer (à l'élection du président). (…) Ainsi, les représentants des collectivités territoriales, dont l'apport financier peut parfois être supérieur à celui de l'État lorsque l'on cumule leurs contributions au développement universitaire et aux projets de recherche, peuvent légitimement siéger au conseil d'administration. Cette disposition est d'autant plus juste que les collectivités territoriales participent aussi à l'amélioration des conditions de vie des étudiants et à l'insertion des pôles universitaires et de recherche dans la ville ou dans la métropole, grâce à la desserte par les transports en commun, à la construction d'équipements sportifs et à la création d'une offre culturelle. Je le répète, il est normal que les collectivités territoriales, qui contribuent ainsi à la réussite des étudiants, soient représentées au sein du conseil d'administration et que leurs représentants soient traités comme des administrateurs à part entière". Les amendements, eux, n'ont pas été adoptés.

 

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