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Accès aux soins - Installation des médecins et mesures coercitives : le Sénat se trompe-t-il de combat ?

Après la Fédération hospitalière de France (voir notre article ci-contre du 13 janvier 2012) et le conseil national de l'Ordre des médecins - qui a rapidement fait volte-face (voir nos articles du 30 mai et des 12 et 29 juin 2012) -, le Sénat est la troisième grande institution à se prononcer clairement en faveur de mesures coercitives pour encadrer l'installation des médecins libéraux et lutter contre les déserts médicaux.

Des mesures incitatives inefficaces

La commission du développement durable du Sénat a en effet adopté à l'unanimité, le 5 février, le rapport d'information du groupe de travail consacré à "la présence médicale sur tout le territoire", mis en place en mai dernier. Intitulé "Déserts médicaux : agir vraiment" et rédigé par le rapporteur du groupe Hervé Maurey - sénateur (Union centriste) de l'Eure -, ce document ne prend pas de gants pour affirmer qu'"à la lumière de l'expérience, force est de constater que les mesures mises en place par les gouvernements successifs sont insuffisantes, pour ne pas dire inefficaces". Il s'en prend aussi aux revirements des plus hautes autorités de l'Etat, évoquant par exemple "Nicolas Sarkozy et Jean-Marc Ayrault [qui] ont tour à tour renoncé aux mesures audacieuses qu'ils avaient eux-mêmes proposées". Conclusion : "Aujourd'hui, la gravité de la situation et des perspectives d'évolution exige la prise en compte du seul intérêt général" et le rapport estime que "des mesures plus volontaristes sont indispensables".
Sur le constat, le rapport n'apporte rien qui ne soit déjà connu, mais constitue une bonne synthèse - souvent édifiante - sur les difficultés des déserts médicaux. Il passe également en revue - avec un regard très critique - les dispositifs structurels (planification de l'offre de soins) ou incitatifs actuels.

Des propositions déjà connues

Mais la mission était surtout attendue sur ses propositions. Au nombre de seize, celles-ci ne manquent pas de surprendre. Tout d'abord, une bonne partie d'entre elles sont d'ores et déjà mises en oeuvre. Le rapport recommande ainsi de "favoriser la coopération et les transferts d'actes entre les différentes professions de santé" ou de "faire des agences régionales de santé le point d'entrée unique des aides financières, en développant les plates-formes internet d'appui aux professionnels de santé" (autrement dit les plates-formes régionales d'appui aux professionnels de santé mises en place en juillet 2011).
Mais la mesure qui focalise l'attention est, bien sûr, celle consistant à "étendre aux médecins le conventionnement sélectif, qui existe déjà pour les principales autres professions de santé, en fonction de la nature des zones d'installation (zones sur-dotées ou sous-dotées)". Autrement dit, un médecin qui s'installerait dans une zone sur-dotée ne serait pas conventionné, perdant de fait toute possibilité d'exercer. Cette mesure se doublerait d'une autre consistant à "instaurer pour les médecins généralistes une obligation de quelques années d'exercice en zone sous-dotés en début de carrière si, au terme de la présente législature, la situation des inégalités de répartition territoriales des médecins n'a pas évolué positivement".
Ces propositions soulèvent plusieurs questions que n'évoque pas le rapport. Tout d'abord, ce dernier se contente d'effleurer en quelques lignes - et sans faire aucune proposition sur point - ce qui constitue pourtant, de façon de plus en plus évidente, le coeur du problème : la fuite devant l'exercice libéral.

La fuite devant l'exercice libéral

Comment lutter contre les déserts médicaux et l'impossibilité de remplacer nombre de généralistes âgés qui partent en retraite alors que, sur les 6.053 médecins qui se sont inscrits pour la première fois au tableau de l'Ordre en 2011, seuls 8,3% ont choisi de s'installer en exercice libéral médical exclusif (auxquels on peut ajouter 1,2% d'exercice mixte) ? Sur les 91% restant, 20,5% des jeunes médecins ont choisi de n'assurer que des remplacements (plus rémunérateurs et moins contraignants), retardant ainsi leur installation effective, au point que l'âge moyen à l'installation d'un médecin libéral est aujourd'hui de... 39 ans ! Enfin, plus des deux tiers (68,8%) des jeunes médecins inscrits en 2011 ont choisi l'exercice salarié : hôpital, recherche, médecine du travail, sécurité sociale, médecine scolaire... Dans de telles conditions, les mesures coercitives envisagées par le rapport - et notamment l'installation obligatoire en zone sous-dotée en début de carrière - pourrait bien accélérer encore la fuite devant l'exercice libéral.
Enfin, la perspective d'un accord conventionnel semble peu vraisemblable dans l'immédiat, le contexte étant très différent de celui des infirmiers libéraux qu'évoque le rapport. A défaut, il faudrait donc en passer par la loi. Mais il existe un doute sur la constitutionnalité d'une mesure qui s'appliquerait aux étudiants en cours de cursus. S'il devait y avoir une restriction radicale à la liberté d'installation, elle ne pourrait sans doute s'appliquer qu'aux étudiants entamant leur cursus après l'adoption de la mesure, autrement dit dans huit à dix ans.

Jean-Noël Escudié / PCA

Jean-Marc Ayrault : "Rapprocher la formation et les besoins"

Cité dans le rapport*, Jean-Marc Ayrault a justement consacré un discours au thème de la santé et de l'accès aux soins le lendemain de la présentation du rapport sénatorial. Dans la lignée des précédentes déclarations gouvernementales, le Premier ministre ne s'aventure aujourd'hui en aucun cas sur le terrain de la coercition. Ses propos, ce 8 février à Grenoble dans le cadre du lancement de la "stratégie nationale de santé",  semblent précisément s'intéresser davantage aux appétances qui pourraient être suscitées auprès des jeunes médecins ou futurs médecins qu'aux contraintes qui pourraient s'imposer à eux : "Dans certaines régions et dans des disciplines entières, les professionnels font aujourd’hui défaut, les jeunes hésitent à s’installer. Les attentes des professionnels ont changé, nous devons les entendre. Ils réclament de meilleures conditions d’installation et d’exercice, et beaucoup souhaitent exercer de manière moins solitaire. Les postes de praticiens territoriaux, créés par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, ainsi que les équipes de soins de proximité et le pacte territoire-santé présenté par Marisol Touraine, constituent de premières réponses. Mais il faudra poursuivre nos efforts contre les déserts médicaux, en agissant dès les études supérieures : une réflexion doit s’engager pour rapprocher la formation et les besoins, qui concernera l’ensemble des professions de santé."

C.M.

* Les sénateurs ne manquent pas de rappeler que Jean-Marcs Ayrault avait cosigné en février 2011 en tant que parlementaire une proposition de loi instaurant un "bouclier rural", texte qui prévoyait de subordonner à une autorisation des ARS l'installation dans les zones surdenses.

 

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