Accès aux soins - Installation des médecins : le conseil de l'Ordre se prononce pour des mesures coercitives
En publiant les recommandations issues du séminaire ordinal annuel qui s'est tenu du 10 au 13 mai sur le thème de l'accès aux soins, c'est un véritable pavé dans la mare que lance le conseil national de l'Ordre des médecins (Cnom) avec ses propositions sur la régulation de l'exercice médical. On sentait bien, depuis quelques années, que le Cnom se montrait de plus en plus sceptique sur la possibilité de lutter contre les déserts médicaux en s'en tenant aux seules mesures incitatives. Mais le conseil franchit un pas décisif en préconisant désormais "une régulation des conditions du premier exercice dans une période quinquennale éventuellement révisable". En pratique, tout médecin serait tenu, après obtention de sa qualification ou à l'issue de son post-internat, d'exercer pendant une période de cinq ans dans sa région de formation de troisième cycle. Cette obligation s'appliquerait également aux médecins choisissant de faire des remplacements une fois leur diplôme obtenu (une situation de plus en plus fréquente) et aux médecins à diplôme étranger ayant obtenu l'autorisation d'exercer. Cette première mesure - qui était déjà dans l'air du temps - constitue déjà une limitation significative, mais à une échelle régionale.
La seconde mesure devrait susciter beaucoup plus de réactions. Le Cnom précise en effet que "la détermination des lieux d'exercice, quelles qu'en soient leurs modalités, à l'intérieur de la région se ferait sous la conduite de l'ARS [agence régionale de santé, NDLR] en fonction des besoins identifiés par unités territoriales, et en liaison étroite avec le conseil régional de l'Ordre". Cette mesure mettrait un terme au principe de la liberté d'installation des médecins, considéré comme l'un des fondements de la médecine libérale, même si l'Ordre prend soin de préciser que "l'ensemble de ces dispositifs nécessiterait des mesures d'accompagnement, d'incitation et de promotion de carrière à mettre en place notamment en médecine générale avec les partenaires professionnels, les organismes de sécurité sociale, les ARS des régions concernées et les pouvoirs publics".
Un conflit de générations ?
Avec ces recommandations, le conseil de l'Ordre rejoint, pour l'essentiel, la position de la Cour des comptes et celle de la Fédération hospitalière de France (voir nos articles ci-contre du 9 septembre 2011 et du 13 janvier 2012). Les mesures proposées sont également très proches de celles qui figuraient dans la proposition de loi "visant à garantir un accès aux soins égal sur l'ensemble du territoire", déposée par Philippe Vigier et une cinquantaine de députés UMP et rejetée en première lecture par l'Assemblée en janvier dernier (voir notre article ci-contre du 26 janvier 2011).
Au-delà des considérations démographiques, la proposition du conseil national de l'Ordre - et les réactions qu'elle devrait susciter - cachent aussi un conflit de générations. Les médecins déjà installés ne seront en effet pas concernés par la mesure. En revanche, elle touchera immédiatement les actuels internes et étudiants en médecine. Leurs syndicats devraient donc être les premiers à réagir, suivis par ceux des médecins généralistes, très attachés à la liberté d'installation.
Les internes et les étudiants ne devraient pas manquer de faire remarquer que, dans sa note, le conseil de l'Ordre "considère que l'augmentation du numerus clausus national n'est pas la solution". La prise de position en faveur de mesures coercitives - même accompagnées d'un certain nombre d'avantages - apparaît ainsi comme une contrepartie à un abandon souhaité de la politique de relèvement continu du numerus clausus engagée par les pouvoirs publics. Or ce relèvement du numerus clausus national a pour conséquence d'accroître le nombre total de médecins - et donc la concurrence - avec, en outre, un effet de concentration dans les zones les plus denses, où les médecins installés sont justement déjà les plus nombreux...
Jean-Noël Escudié / PCA
Démographie médicale : un groupe de travail du Sénat
La Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire du Sénat a mis en place un groupe de travail sur " la présence médicale sur l’ensemble du territoire". Composé de douze membres, celui-ci sera présidé par Jean-Luc Fichet, sénateur du Finistère, et aura pour rapporteur Hervé Maurey, sénateur de l’Eure. Des auditions et déplacements en région se succéderont dès la reprise la session parlementaire, pour des conclusions en fin d'année. "Nous aurons à dresser un état des lieux de la présence médicale sur le territoire, à évaluer le coût et l’impact des mesures mises en place pour favoriser l’installation de médecins dans les zones sous médicalisées et à formuler des propositions concrètes pour remédier aux très grandes difficultés que rencontrent de nombreux territoires et notamment les plus ruraux. Ce travail doit être mené avec l’ensemble des acteurs concernés", explique ce 30 mai dans un communiqué Hervé Maurey, qui fut l'an dernier chargé d'une autre mission également liée à l'aménagement du territoire, celle du très haut débit, puis co-auteur d'une proposition de loi sur le sujet.
C.M.