La réforme ferroviaire définitivement adoptée par le Parlement
Le projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire a été définitivement adopté par le Parlement ce 14 juin, avec un ultime vote du Sénat, moins de 24 heures après celui de l'Assemblée nationale.
Au trentième jour de grève à la SNCF, les sénateurs ont adopté ce 14 juin, par 245 voix contre 82, le projet de loi "pour un nouveau pacte ferroviaire" qui prévoit de transformer l'opérateur ferroviaire en société anonyme, de fixer le calendrier de l'ouverture à la concurrence prévue au niveau européen et de supprimer l'embauche au statut dans l'entreprise historique. A quelques exceptions près, les groupes LR, UC, LREM, RDSE (à majorité radicale) et les Indépendants ont voté pour, socialistes et CRCE (à majorité communiste) votant contre. Depuis trois mois, le texte était entre les mains des parlementaires, qui ont trouvé lundi une version commune entre sénateurs et députés en commission mixte paritaire, conduisant la gauche à dénoncer "un pacte LR-LREM" au détriment des cheminots.
Nouvelles négociations
"La loi est définitivement votée, elle va donc s'appliquer", a déclaré la ministre des Transports, Élisabeth Borne, ce 14 juin. "D'autres négociations vont désormais s'ouvrir, à la fois au niveau de la branche, et je réunirai les partenaires sociaux demain pour qu'ils puissent s'engager dans cette discussion, et au niveau de l'entreprise elle-même", a-t-elle dit.
"La loi est votée, la grève ne sert plus à rien", a lancé le rapporteur Gérard Cornu (LR), selon qui "la poursuivre, c'est l'affaiblir, la banaliser". "Ce n'est pas aux syndicats de faire la loi, mais au Parlement. Au demeurant, le Parlement a beaucoup écouté les syndicats. La loi est votée, il faut cesser la grève". "Ce texte justifie pleinement que les salariés de la SNCF reprennent le travail le plus rapidement possible", a renchéri le président de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, Hervé Maurey (UC).
Gérard Cornu a estimé que le texte adopté comporte plusieurs avancées : "Le projet de loi initial comportait huit articles, essentiellement d'habilitation ; il en compte désormais 35, et les principales habilitations ont été remplacées, au cours de la navette, par des dispositions législatives." Nadia Sollogoub (UC) a souligné que son groupe serait "extrêmement vigilant à ce que la présente réforme ne se traduise pas, in fine, par un nouveau coup porté à la ruralité".
Olivier Jacquin (PS) a dénoncé "une réforme du XXe siècle" sans vision écologiste et "sans visibilité financière", où "rien n'est dit sur le fret". Éliane Assassi, la présidente du groupe CRCE qui s'est battue pied à pied contre la réforme tout au long du débat parlementaire, a de son côté évoqué un "pacte ferroviaire agité comme un trophée par tous les tenants de l'ultralibéralisme".
Vifs débats à l'Assemblée
La veille, en fin de journée, le vote a été acquis à l'Assemblée à une très large majorité de 452 voix contre 80, et 27 abstentions. Outre la majorité LREM-MoDem et les UDI-Agir, les trois quarts des LR ont voté pour. Les groupes de gauche (socialistes, communistes et Insoumis) et les élus FN se sont prononcés contre. Parmi les 27 absentions, on compte 23 LR et Jean-Michel Clément, en retrait du groupe LREM dont il est toujours membre officiellement.
"Transformer la SNCF, beaucoup s'y sont essayés" et "le gouvernement a trouvé un chemin", selon le rapporteur Jean-Baptiste Djebbari (LREM), vantant également les apports parlementaires pour une "protection efficace des salariés" ou un capital "incessible". Du côté des soutiens, Jean-Marie Sermier (LR) a estimé que si la réforme "permet des avancées", elle est "loin d'une révolution" ou d'une "modernisation audacieuse". Il a aussi dénoncé "avec force" une poursuite de la grève pendant les épreuves du bac. Pour le MoDem, Florence Lasserre-David a jugé que la loi aidera à "garantir un meilleur service public ferroviaire au meilleur coût pour l'ensemble des usagers et des contribuables". "Cette réforme stimulera la SNCF", a estimé Guy Bricout (UDI-Agir). Des députés de plusieurs bords ont dit leur vigilance voire leurs inquiétudes pour les territoires, regrettant l'examen de ce texte avant le projet de loi d'orientation des mobilités, reporté à la rentrée.
En forme de baroud d'honneur, les communistes ont défendu une motion de rejet du texte, synonyme selon eux d'un "grand retour en arrière", avant 1936 et le Front populaire. "Vous voulez revendre notre grande entreprise publique à la découpe", a accusé Fabien Roussel, louant la mobilisation cheminote.
"Vous vous prenez pour Thatcher ?", a lancé à la ministre des Transports l'Insoumis Alexis Corbière, affirmant que le gouvernement ne "triomph(ait) pas" et que la réforme lui "coûtera(it) des défaites électorales". Adrien Quatennens (LFI) a été hué par la majorité lorsqu'il a appelé les cheminots à "punir" et "châtier" ces élus dans les urnes.
Egalement contre la réforme, les socialistes ont "accumulé les regrets", selon Christophe Bouillon, qui a pris la défense des cheminots et de leur statut, un "patrimoine en commun". Olivier Faure, numéro un du PS, a accusé le gouvernement d'avoir "tout fait pour attiser les tensions". Amer, le socialiste Jean-Louis Bricout a tweeté une photo du président de l'Assemblée, François de Rugy, et de Barbara Pompili, issus des rangs écologistes et devenus LREM, avec un commentaire cinglant : "Notre famille politique leur a tout donné, ils nous ont lâchés pour une tribune qui sacrifie nos cheminots et nos services publics."
RÉFORME FERROVIAIRE : LES PRINCIPALES MESURES
Nouvelles garanties en vue de l'ouverture à la concurrence, moins d'ordonnances gouvernementales : le projet de loi sur la réforme ferroviaire a été retouché depuis trois mois dans les deux chambres, sur fond de concertations avec les syndicats.
En voici les principaux points :
- SNCF, "société nationale à capitaux publics"
La SNCF deviendra au 1er janvier 2020 une "société nationale à capitaux publics" plus intégrée, au capital "intégralement détenu par l'État". Ce capital sera "incessible", ont ajouté les sénateurs, face aux inquiétudes d'une possible privatisation. Des ordonnances dans un délai de 12 mois - et non plus 6 comme initialement- devront "fixer les conditions de création du groupe public" ferroviaire et sa gouvernance. Trois établissements publics à caractère industriel et commercial (Epic) composent actuellement la SNCF : SNCF (direction), SNCF Mobilités (trains) et SNCF Réseau (rails). Il est gravé dans la loi qu'à l'avenir, la société nationale SNCF détiendra l'intégralité du capital de SNCF Réseau et de SNCF Mobilités, "incessibles". La société nationale SNCF et ses filiales constitueront "un groupe public unifié".
Pour assainir la situation financière de la SNCF et permettre ces nouveaux statuts, le gouvernement s'est engagé à reprendre 35 milliards d'euros de dette, dont 25 en 2020 et 10 en 2022. Cette dette de SNCF Réseau, qui totalisait 46,6 milliards d'euros fin 2017 et devrait dépasser 62 milliards d'euros en 2026, est largement héritée de la construction des lignes à grande vitesse. Ce geste de l'État s'accompagne dans la loi d'une règle contraignante pour les futurs investissements de SNCF Réseau, qui ne devront pas entraîner le dépassement de certains seuils.
- Calendrier d'ouverture à la concurrence
Alors que des ordonnances étaient prévues initialement, le calendrier échelonné a été inscrit dans le texte. Seules les régions seront concernées dans un premier temps, exceptée l'Ile-de-France, au calendrier décalé. Elles pourront organiser des appels d'offres à partir de décembre 2019 mais aussi continuer d'attribuer directement des contrats à la SNCF jusqu'à fin 2023, pour une durée maximale de dix ans. Le calendrier est le même pour l'Etat avec les "trains d'équilibre du territoire" (Intercités).
L'ouverture sera étendue aux TGV à partir de décembre 2020, sur le modèle de l'"open access" (accès libre). Ainsi, la SNCF devra partager les créneaux de circulation des TGV avec ses concurrents s'ils se lancent sur ce marché.
L'État pourra conclure des "contrats de services publics" pour répondre aux besoins d'aménagement du territoire et "préserver des dessertes directes sans correspondance", ont ajouté les sénateurs.
Quel que soit l'opérateur, le principe des tarifs dits "sociaux" pour les voyageurs (familles nombreuses, handicapés, etc.) sera pérennisé. Etat ou régions compenseront le coût de la mesure pour les entreprises ferroviaires et un décret fixera ces différents tarifs.
- Sort des cheminots
Traduction des concertations, une série de garanties pour les cheminots transférés de la SNCF à une autre entreprise ferroviaire ont été inscrites dans le texte, notamment en cas de perte de contrat par l'opérateur historique. C'est ce qui est appelé le "sac à dos social", dont le bénéfice a été étendu à l'ensemble des salariés du groupe ferroviaire, lundi en commission mixte députés-sénateurs.
Ces transferts se feront "prioritairement au volontariat", parmi les agents à l'échelle de la région. Sont aussi prévus, sans limite de durée, le maintien du niveau de rémunération au moment du transfert, du régime spécial de retraite ainsi que la garantie de l'emploi pour ceux ayant été embauchés au statut. Et les "avantages" accordés par l'entreprise historique, comme les facilités de circulation ou l'accès aux médecins spécialisés, seront conservés.
Un salarié consacrant plus de 50% de son temps de travail à un marché perdu et qui refuserait d'être transféré, pourra voir son contrat de travail rompu. Cependant, si le lieu principal d'affectation est dans une autre région, le refus du transfert sera possible sans licenciement. Et la SNCF devra proposer un reclassement à tous les cheminots qui consacrent moins de 50% de leur temps de travail à un marché perdu et refuseraient d'être transférés.
Un droit au retour a été également ajouté : entre la troisième et la huitième année après son transfert, un salarié parti chez un concurrent pourra être réembauché à la SNCF sur un poste vacant et aura alors le choix entre récupérer tous les droits liés au statut de cheminot ou réintégrer le groupe public en signant un nouveau contrat.
Quant au statut même des cheminots, il doit s'éteindre progressivement. A partir du 1er janvier 2020, les nouvelles recrues seront embauchées dans un cadre contractuel en cours de négociation.
AFP