Nouveau pacte ferroviaire - Les investissements dans le réseau s'invitent dans le débat
Les députés ont terminé ce 12 avril la première lecture du projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire, qui fera l'objet d'un vote solennel mardi 17. Après les déclarations d'Emmanuel Macron sur TF1, la question des investissements dans le réseau a resurgi dans le débat. Par ailleurs, l'exécutif a dévoilé une partie de ses intentions sur la dette de la SNCF.
Peu avant d'achever la première lecture du projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire ce 12 avril, les députés ont réagi aux déclarations d'Emmanuel Macron sur TF1. Le chef de file des députés LR Christian Jacob est monté au créneau pour demander comment étaient "gagés" les "10 millions d'euros par jour pendant 10 ans" (soit 3,5 milliards par an) investis sur le réseau ferroviaire, évoqués par le président de la République dans son interview.
36 milliards d'investissements pour le réseau
La ministre des Transports Elisabeth Borne a rétorqué que, "comme le gouvernement l'avait annoncé depuis le départ", la réforme ne visait pas "à faire des économies", avec une promesse d'investissement de 36 milliards pour le réseau ferroviaire les 10 prochaines années, ce qui revient "en effet à 10 millions par jour". Il ne s'agit "évidemment pas d'aller inventer des dépenses supplémentaires par rapport à la loi de finances pour cette année", a-t-elle ajouté, s'étonnant de "présentations caricaturales" de la réforme alors que "cela a dû être répété régulièrement lors des questions d'actualité: les 36 milliards d'euros, c'est un engagement fort".
Mais le député de Seine-et-Marne est revenu à la charge sur cette annonce "pas anecdotique". Cela entraînera "une charge pour le contribuable", sinon, "ça voudrait donc dire que le président de la République s'est livré à une manoeuvre, à nous faire croire que c'était une dépense nouvelle pour essayer de calmer la grève, mais en réalité c'est du recyclage", a-t-il lancé, appelant à "sortir de l'ambiguïté". Les Insoumis ont abondé en ce sens, Eric Coquerel jugeant les explications de la ministre peu claires et lui lançant que, depuis le début, ses explications et réponses "se résument en une dizaine de phrases".
La ministre a ensuite renvoyé à la future loi de programmation des infrastructures. Des élus de la majorité, comme Danielle Brulebois, ont appelé à "arrêter les postures", exhortant à ne pas faire le procès au gouvernement "de dépenser l'argent qu'il n'a pas". Anne-Laure Cattelot (LREM) a lancé aux députés LR qu'au bout "d'un moment il faudrait savoir leur positionnement", leurs propos se rapprochant, selon elle, de ceux de la gauche. S'il n'y a "rien de nouveau" dans l'annonce présidentielle, Jean-Louis Bricout (Nouvelle Gauche) a jugé "légitimes" les interrogations sur le financement des investissements.
Un amendement adopté à l'unanimité en fin de séance
A la fin des débats, Elisabeth Borne a déploré globalement que "certains souhaitent être dans la posture, dans l'amalgame plutôt que de construire cette réforme ferroviaire très importante pour les Français". En retour, Danièle Obono (LFI) a dénoncé les "postures idéologiques" gouvernementales, Pierre Dharréville (PCF) soulignant un "vrai désaccord politique" qui "vaut mieux que ce qualificatif", Christophe Bouillon (Nouvelle Gauche) redisant sa crainte d'une "présomption de privatisation" de la SNCF. Pour LR, Jean-Marie Sermier a dit sa "déception", notamment sur l'absence de réponses sur la dette ou les "petites lignes", sans préjuger du vote de son groupe le 17 avril.
A noter, quand même, en clôture de débats particulièrement vifs, l'adoption à l'unanimité d'un amendement de Christophe Bouillon demandant la remise au Parlement, dans les cinq mois suivant la promulgation de la loi, d'un "rapport évaluant les coûts de mise en œuvre d'un plan national d'investissement visant à diminuer les émissions de carbone du secteur ferroviaire par le remplacement total des locomotives diesel par d'autres motorisations à faible émission d'ici 2040".
L'exécutif dévoile une partie de ses intentions sur la dette de la SNCF
L'exécutif s'est engagé explicitement ce 12 avril à reprendre une partie de la très lourde dette de la SNCF, a priori dès 2020, lâchant du lest à la veille du troisième épisode de la grève des cheminots. La dette "sera pour partie progressivement reprise à mesure que ces réformes se font", a déclaré le président Emmanuel Macron sur TF1. "Il faudra regarder les modalités techniques, mais à partir du moment où (la SNCF) deviendra une société telle que je l'ai définie à capitaux publics, elle ne (pourra) pas porter 50 milliards de dettes, donc l'Etat va dès le début en reprendre une partie", a-t-il précisé. Le gouvernement était jusqu'à présent resté assez vague, expliquant à plusieurs reprises qu'il prendrait "sa part de responsabilités avant la fin du quinquennat pour assurer la viabilité économique du système ferroviaire".
La dette concernée est celle de SNCF Réseau, l'entité du groupe public chargée des infrastructures. Elle s'élevait fin 2017 à 46,6 milliards d'euros, et devrait avoir dépassé la barre des 50 milliards au 1er janvier 2020, date annoncée pour la naissance de la future version de la SNCF.
"S'il y a un accord sur la transformation de la SNCF, que la SNCF fait sa mue, devient plus compétitive et cesse d'être systématiquement déficitaire comme c'est le cas actuellement, l'Etat est prêt à faire un effort. A savoir, reprendre progressivement la dette de la SNCF", a confirmé le ministre de l'Economie Bruno Le Maire à Europe 1. "Nous pensons que c'est une proposition juste et responsable", a-t-il ajouté, tendant la main aux syndicats : "d'un côté, les cheminots font un effort, ils permettent à la SNCF de rentrer dans la concurrence et d'instaurer la polyvalence des métiers (...). De l'autre côté, l'Etat fait un geste très important en reprenant progressivement cette dette qui empêche la SNCF de se développer."
La reprise de la dette de la SNCF est un point de friction important entre l'exécutif et les syndicats de cheminots. Pour ces derniers, cette reprise doit être un préalable à toute réforme.
"Le discours reste le même", insiste-t-on toutefois à Bercy. "Pour nous, la reprise de la dette ne peut pas être un préalable aux discussions : il faut d'abord réformer la SNCF. Ensuite, le gouvernement prendra ses responsabilités."
La transformation de la SNCF en société anonyme, actée lundi soir par l'Assemblée nationale, exige de toute façon un désendettement. "Il faut une dette soutenable, et à partir du moment où on deviendrait une société anonyme à capitaux publics", il faudrait "un taux d'endettement (...) très largement inférieur à celui qu'on a aujourd'hui", a relevé ce 12 avril le PDG de SNCF Réseau, Patrick Jeantet, sur BFM Business. Quant à savoir de combien il faut désendetter SNCF Réseau, le responsable a botté en touche : "Ca, c'est des discussions. Chacun a son point de vue là-dessus." Il s'agit selon lui "d'avoir un modèle financier soutenable qui ne recrée pas une dette supplémentaire dans le futur", le calcul dudit modèle devant prendre en compte les investissements prévus et les gains de productivité attendus dans l'entreprise.
La construction des lignes à grande vitesse représente grosso modo, selon la direction, les deux tiers de la dette de SNCF Réseau. Les importants efforts consentis depuis quelques années pour rénover le réseau continuent d'alourdir la facture, car ils sont en grande partie financés par de l'endettement supplémentaire. Et, au rythme prévu par le contrat de performance signé l'an dernier, cette dette dépassera les 62 milliards d'euros en 2026.
Pour le gouvernement, la reprise de la dette du groupe ferroviaire s'annonce cependant compliquée, au vu de l'état des finances publiques, plombées par une dette représentant près de 97% du produit intérieur brut. Reprendre à son compte l'intégralité des 47 milliards d'euros impliquerait en effet pour l'Etat d'assumer une hausse de 2 points de son déficit public. Même si élus et dirigeants de la SNCF se refusent à quantifier le désendettement nécessaire, des spécialistes du dossier évoquent volontiers une trentaine de milliards.
AFP