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Projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire - Feu vert des députés en commission à des amendements du gouvernement sur l'ouverture à la concurrence

Saisie au fond, la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale a entamé ce 3 avril l'examen du projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire. En plein conflit social à la SNCF, les députés ont notamment voté une série d'amendements du gouvernement sur le calendrier et les modalités de l'ouverture à la concurrence. Lors de la poursuite des débats ce 4 avril, les députés ont aussi voté un amendement permettant au régulateur du rail, l'Arafer, de garder sa prérogative de validation, en amont, des tarifs d'accès aux infrastructures ferroviaires de SNCF Réseau et aux installations de service.

A la fin d'une première journée de grève à la SNCF contre la réforme ferroviaire ce 3 avril, les députés ont donné leur feu vert à une série d'amendements promis par le gouvernement sur l'ouverture à la concurrence, dans le cadre de l'examen par la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire du projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire.

"Sac-à-dos social"

Après une table-ronde avec les organisations syndicales, la ministre des Transports, Elisabeth Borne, avait confirmé vendredi que les dispositions sur l'ouverture à la concurrence seraient introduites par amendements, sans recourir à des ordonnances. Ce mardi, la ministre des Transports a défendu devant la commission ces dispositions, "fruit d'un travail important avec les partenaires sociaux", notamment sur le "sac-à-dos social", c'est-à-dire les conditions dans lesquelles les salariés passeront d'une entreprise ferroviaire à l'autre, notamment en cas de perte de contrat par la SNCF. Les salariés bénéficieront selon la ministre d'une "réelle portabilité des droits", sans limite de durée : ils conserveront notamment leur niveau de rémunération, ainsi que le régime spécial de retraite et la garantie de l'emploi pour les employés ayant été embauchés au statut par la SNCF.
"Le transfert se fera prioritairement sur la base du volontariat", a ajouté Elisabeth Borne. En cas de volontaires insuffisamment nombreux, que se passera-t-il ? Un salarié désigné pourra-t-il refuser son transfert ? "C'est un sujet sensible qui continue de faire l'objet de discussions avec les partenaires sociaux" et sera précisé d'ici l'examen du texte dans l'hémicycle à partir de lundi prochain, a-t-elle indiqué. Le rapporteur Jean-Baptiste Djebbari (LREM) a salué un "équilibre" global de la mesure.

Lignes non rentables

Par un autre amendement gouvernemental, a été ajoutée, parmi les futurs critères de calcul des redevances versées par les opérateurs du rail, "la nécessité de permettre le maintien ou le développement de dessertes ferroviaires pertinentes en matière d'aménagement du territoire". La ministre a précisé que cette disposition, "au-delà des textes européens" sur l'ouverture à la concurrence, avait vocation à s'appliquer non pas aux "petites lignes" couvertes par des contrats de service public, mais aux autres lignes, en particulier à celles à grande vitesse non rentables. Selon l'exposé des motifs de l'amendement, celui-ci prévoit également un encadrement de la tarification "pour permettre à tout opérateur en mesure de couvrir ses coûts directs d'accéder au réseau et exploiter ainsi son service". "Cette garantie donnée sur le niveau du péage vise à favoriser le prolongement de dessertes par les opérateurs au-delà des seules liaisons sur lignes à grande vitesse et entre les grandes métropoles, au bénéfice de l'ensemble des territoires", poursuit-il.

Calendrier de l'ouverture à la concurrence

Les députés ont aussi approuvé, et intégré au projet de loi, le calendrier de l'ouverture progressive à la concurrence. Les régions hors Ile-de-France seront concernées dans un premier temps. Elles pourront organiser des appels d'offres pour les trains express régionaux (TER) à partir de décembre 2019, mais aussi continuer d'attribuer directement des contrats à la SNCF jusque fin 2023, pour une durée maximale de dix ans.
En Ile-de-France, le calendrier est décalé par rapport aux autres autorités organisatrices de transport régionales. Pour les nouvelles lignes créées entre le 3 décembre 2019 et le 24 décembre 2023, le choix est laissé à Ile-de-France Mobilités (ex-Stif) entre l’exploitation en régie ou par un opérateur interne, l’attribution directe à SNCF Mobilités ou l’attribution après mise en concurrence ; pour les lignes déjà existantes en 2019, en dehors des lignes du réseau express régional, Ile-de-France Mobilités peut mettre fin aux droits exclusifs de SNCF Mobilités entre le 25 décembre 2023 et le 24 décembre 2033 et pour les lignes RER C, D et E entre le 25 décembre 2033 et décembre 2039 ; pour les lignes RER A et B (dont l’exploitation est partagée entre RATP et SNCF Mobilités), les droits exclusifs de SNCF Mobilités s’arrêtent en décembre 2039.
Comme les régions, l'Etat aura aussi la possibilité dès 2019 de mettre en concurrence ou de fournir en régie les services de tout ou partie des trains d'équilibre du territoire (TET/Intercités). Il lui restera cependant possible de conclure une nouvelle convention avec SNCF Mobilités pour une durée maximale de 10 ans. Mais pour les conventions qui seront passées à compter du 24 décembre 2023, il sera tenu de choisir entre la mise en concurrence ou la fourniture directement en régie, sans possibilité d'attribution directe. L'ouverture à la concurrence sera étendue aux TGV à partir de décembre 2020.

Compétences des autorités organisatrices

Les députés ont aussi voté un amendement du gouvernement visant à préciser les compétences des différentes autorités organisatrices concernant les services d’intérêt national (TET) et les services d’intérêt régional (TER). Pour les premiers, l'amendement indique que l’État en est l’autorité organisatrice, ce qui lui permet notamment de conventionner les TET comme aujourd’hui, mais également en cas de besoin, des TGV.
Sur les services d’intérêt régional, il précise que les régions sont compétentes pour organiser des services ferroviaires à l’intérieur de leur ressort territorial ou, sous certaines conditions, de services interrégionaux desservant leur territoire (qu’il s’agisse de transports du quotidien ou de transports de longue distance). Il est ainsi possible à une région de conventionner des circulations desservant une métropole d’une région adjacente, voire des relations TGV nationales, souligne l'exposé des motifs de l'amendement. "Cela permet à une région qui ferait le constat que les trains en open access (services librement organisés) ou les trains d’équilibre du territoire (services d’intérêt national) ne répondent qu’imparfaitement à ses attentes de passer également un contrat de service public avec une entreprise ferroviaire", poursuit-il. Certaines régions le font d'ores et déjà. "Il s’agit de leur donner la possibilité de continuer à le faire, dans un système ferroviaire ouvert à la concurrence", justifie le gouvernement.
En revanche, il est également précisé que les relations interrégionales conventionnées ne doivent pas perturber l’équilibre économique de services librement organisés existants. Selon l'exposé des motifs, "il s’agit par cette règle de préciser que, pour les TGV notamment, la libre organisation (open access) est la modalité d’organisation privilégiée des relations nationales. C’est en effet celle qui donne aux clients le plus de choix dans leur service. Les relations conventionnées ne viennent qu’en complément, s’il est constaté que les services librement organisés sont insuffisants." Le gouvernement estime cependant que le besoin de recours à des conventionnements des relations longue distance (TGV) sera limité. En effet, souligne-t-il "l’objectif de la réforme est de mettre en place une péréquation entre TGV via le niveau des péages, de sorte que les péages seront ajustés à la rentabilité de chaque liaison. Cela doit permettre d’assurer que les services librement organisés répondent aux besoins d’aménagement des territoires et de desserte des villes moyennes". "Néanmoins, si cela ne suffisait pas, les régions ou l’État disposeraient donc de la capacité à conventionner des services supplémentaires, ajoute-t-il. Ces deux outils, modulation des péages et possibilité de conventionnement supplétif, doivent garantir la pérennité du modèle de desserte actuel du TGV en France."

Caractère public de la SNCF "confirmé"

Pour le reste, les députés ont à peine retouché le projet de loi. Sur l'article 1er autorisant le gouvernement à modifier par ordonnance missions, organisation, et encore forme juridique de la SNCF, ils ont précisé, sur proposition PS, que cela devait se faire "en confirmant" son caractère public, et non "sans (le) remettre en cause" comme prévu par le texte initial. Elisabeth Borne a évoqué à plusieurs reprises un "fantasme de privatisation", épinglant une "fake news". Députés PCF et Insoumis ont cherché en vain à obtenir de réunifier le système ferroviaire autour d'une entreprise intégrée, d'évaluer la reprise de la dette par l'Etat, ou de supprimer le changement de statut de l'entreprise. Les deux groupes d'opposition se sont aussi opposés sans succès à la fin du statut de cheminot pour les nouvelles embauches, comme les députés PS. Le communiste Hubert Wulfranc a parlé "au sens premier" d'une "épuration des salariés statutaires au profit des salariés contractuels" à la SNCF, et a été aussitôt repris par Elisabeth Borne qui n'a pas voulu "laisser employer n'importe quel terme".

Tarification ferroviaire : l'avis de conformité de l'Arafer maintenu

 Lors de la poursuite des débats ce 4 avril au matin, deux amendements de fond ont été adoptés. Le premier concerne l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer), qui gardera finalement sa prérogative de validation, en amont, des tarifs d'accès aux infrastructures ferroviaires de SNCF Réseau et aux installations de service. Le régulateur du rail avait tiré la sonnette d'alarme mardi dernier sur le "rôle essentiel" de son avis de conformité de la tarification ferroviaire, selon lui menacé dans les projets de réforme du gouvernement. "L'avis conforme n'est pas à vendre" et "cette évolution serait une erreur et même une faute dans des logiques plus budgétaires que performantes", avait notamment objecté le président de l'Arafer, Bernard Roman, un ancien député PS.
Finalement, la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a voté un amendement du rapporteur Jean-Baptiste Djebbari, proche d'amendements de Laurianne Rossi (LREM) et de Christophe Bouillon (PS), pour préserver les pouvoirs juridiquement contraignants de l'Arafer. "Partageant l'objectif d'avoir un régulateur indépendant", le rapporteur a souligné que cela "permet de sanctuariser le caractère conforme de l'avis de l'Arafer". "Avec l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire, il sera d'autant plus important de préserver un accès équitable au réseau", selon Laurianne Rossi. D'autant que "personne aujourd'hui n'irait diminuer ou contester le travail réalisé par l'Arafer", estime Christophe Bouillon.
Des députés de gauche et de droite ont échoué, par contre, à inclure des associations d'usagers et environnementales dans le collège de l'Arafer. Doutant de "la plus-value dans cette enceinte (...) technique", Jean-Baptiste Djebbari a jugé plus pertinente la présence des représentants d'usagers et d'associations environnementales dans les autorités organisatrices. "L'Arafer est une autorité indépendante" dans laquelle les membres du collège n'ont "pas vocation à porter des intérêts corporatistes", a justifié Laurianne Rossi, l'Insoumis Loïc Prud'homme répliquant que "c'est bien tout le contraire". Stéphane Le Foll (PS) a regretté, "avec le poids que va prendre l'Arafer, de ne pas laisser des représentants d'usagers au moins", alors que "d'autres autorités administratives ont des représentants des usagers, de syndicats, d'associations environnementales".

Un rapport sur les conséquences des PPP dans le ferroviaire

Un seul autre amendement de fond du communiste Hubert Wulfranc a été voté dans la matinée, contre l'avis du rapporteur, pour obtenir un rapport sur les conséquences des partenariats public-privé (PPP) dans le ferroviaire. L'utilisation de ce mode de financement a fait débat. A gauche et à droite, plusieurs députés ont aussi critiqué la méthode du gouvernement, jugée néfaste pour le travail parlementaire, notamment le dépôt tardif d'amendements.
Le travail en commission devait se poursuivre ce 5 avril avant le débat en séance à partir de lundi prochain.