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Ouverture à la concurrence du transport ferroviaire : le Sénat adopte son propre texte

En adoptant ce 29 mars une proposition de loi visant en particulier à éviter que l'ouverture à la concurrence du rail ne se fasse au détriment de l'aménagement équilibré du territoire, le Sénat confirme sa volonté d'imposer sa propre cadence pour réformer le système ferroviaire. 

Quelques jours après la première grande mobilisation nationale des cheminots, les sénateurs ont engagé la réforme du rail, en adoptant ce 29 mars - par 197 voix pour et 114 contre - la proposition de loi sur l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs préparée par Hervé Maurey (UC) et Louis Nègre (LR). Déposé en septembre dernier, le texte n'avait volontairement pas été inscrit à l'ordre du jour dans l’attente des conclusions de la mission Spinetta. La ministre des Transports, Elisabeth Borne, s’était toutefois engagée à ce que cette proposition de loi soit le véhicule législatif portant la réforme. Erreur d’aiguillage ? La voie choisie par le gouvernement a été celle des ordonnances, obérant les perspectives pour le Parlement d’être pleinement acteur dans le débat de fond. "Un tel sujet exige un débat !", s’est défendu Hervé Maurey, persuadé "qu’on peut aller aussi vite avec une proposition de loi qu'avec des ordonnances". "Notre proposition de loi est prête, elle a bénéficié de l'avis du Conseil d'État puis nous l'avons améliorée en commission", s’est félicité l’élu de l’Eure, estimant avoir trouvé la juste cadence pour assurer la transposition du quatrième paquet ferroviaire. Dès le lendemain, ce 30 mars, Elisabeth Borne faisait savoir que le gouvernement n'aurait finalement pas recours aux ordonnances mais procéderait par voie d'amendements au projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire devant bientôt débuter à l'Assemblée nationale (voir ci-dessous notre autre article de ce jour).

Impératifs d’aménagement du territoire

A l'opposé du rapport Spinetta, l'un des axes forts de cette proposition de loi est de préserver les dessertes directes des villes moyennes par des TGV "pour répondre aux besoins d’aménagement du territoire" (article 4). Pour éviter leur disparition, le dispositif adopté prévoit la conclusion par l’État de contrats de service public combinant services rentables et déficitaires. Sans remettre en cause le droit d’accès au réseau ("open access"), l’article acte la coexistence de services librement organisés et de services conventionnés -comprenant des services à grande vitesse -, comme il en existe déjà pour les trains d'équilibre du territoire (TER). "C'est la seule solution pour préserver des dessertes non rentables dans le contexte de l'ouverture à la concurrence, sans rupture de charge pour les usagers. L'open access, à l'inverse, conduirait à un écrémage des dessertes, et un conventionnement des seules dessertes non rentables obligerait les usagers à changer de train en début et fin de voyage", a souligné le rapporteur, Jean-François Longeot (UC). 

Garantir l'accès aux données

Autre sujet primordial : le recueil par les autorités organisatrices de transport (AOT) des données nécessaires à l’exercice de leurs missions (article 7). La perspective de l'ouverture à la concurrence accroît encore ce besoin, dans la mesure où elles devront préparer en amont leurs appels d’offres. Cet enjeu n’a pas échappé à l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières - Arafer - (lire notre article du 27 mars ci-dessous). Le texte met en place un dispositif contraignant pour l’opérateur historique, assorti d'une possibilité de sanction administrative prononcée par l’Arafer. En séance, les sénateurs ont précisé que SNCF Mobilités devra fournir les informations demandées "dans un standard ouvert et réutilisable". Un dispositif identique de transmission obligatoire s’applique à SNCF Réseau, ainsi qu’à Gares et Connexions suite à un amendement défendu dans l’hémicycle (article 11). La question se décline différemment concernant les données qui doivent être mises par les AOT à disposition des candidats afin de leur permettre de préparer leurs offres (article 2). Certaines informations relevant du secret industriel et commercial devraient ainsi bénéficier d’une protection particulière, pour éviter les distorsions de concurrence. 

Marge de manoeuvre pour les régions

Suite à un amendement du rapporteur, le texte aménage une période transitoire entre 2019 et 2023 durant laquelle l’attribution directe de nouveaux contrats de service public ferroviaire demeure possible. Cette dérogation calendaire est en réalité prévue par le règlement européen. Mais contrairement aux autres exceptions prévues à l’article 5 du règlement, cette dérogation n’est pas permanente. Elle cessera de s’appliquer à partir du 25 décembre 2023. Dans cette hypothèse, la durée maximum des contrats est en outre fixée à dix ans. "La France, comme tout État membre, peut ne pas reprendre l'ensemble des dérogations proposées. C'est le choix que nous faisons car pèse un risque, l'Arafer l'a souligné, de ralentir une fois de plus l'ouverture à la concurrence si nous les reprenons toutes. (…) En revanche, parce que 2019 pourrait être un peu court pour les régions, nous proposons d'aller jusqu'à 2023", a expliqué Hervé Maurey.

Périmètre des transferts de personnel

A l’occasion de l’examen de l’article 8, les sénateurs ont également revu les modalités de définition du périmètre des salariés à transférer. La nouvelle rédaction prévoit une procédure en plusieurs étapes, dès avant l’appel d’offres. Ce sujet "est complexe dans la mesure où il y a des emplois mixtes sur SNCF Mobilités et Gares et Connexions. J’ai essayé d'assouplir le texte initial", a justifié Gerard Cornu (LR). "Mon amendement pourra servir de base de négociation", a-t-il ajouté. L’article 11 prévoit qu’un accord doit être conclu entre Gares et Connexions et SNCF Mobilités relatif au transfert des personnels assurant des prestations en gare. A défaut d’accord, les modalités de ce transfert seront déterminées par décret,  "après avis de l’Arafer", en guise de garde-fou. La nouvelle version de l’article 15 garantit en outre que les dividendes qui pourront être prélevés par SNCF une fois Gares & Connexions transformée en société anonyme à capitaux publics iront effectivement à l'entretien du réseau. Quant au matériel roulant, les AOT seront libres de déterminer le dispositif le plus adapté (article 9). Elles pourront le louer, demander aux entreprises d'apporter leurs propres matériels, ou récupérer la propriété des matériels de SNCF Mobilités pour les mettre à la disposition de l'entreprise remportant le marché. Elles pourront également récupérer la propriété des ateliers de maintenance (article 10). Enfin, le texte rend désormais "obligatoire" la mise en place d’un système commun d’information des voyageurs et de vente des billets (article 12).
Hervé Maurey et Jean-François Longeot ont appelé le gouvernement et l'Assemblée nationale "à poursuivre la discussion sur la base du texte adopté par le Sénat".  La ministre a pour sa part assuré que l'intention "n'est pas d'éluder le débat devant Parlement" et que "dès que la concertation aura abouti", le débat se fera "dans le cadre de l'examen du projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire."
La proposition de loi sénatoriale a été transmise à l'Assemblée, pour l'heure sans date d'examen. Le projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire doit pour sa part être débattu en commission à l'Assemblée à partir du 3 avril.