Ouverture à la concurrence du transport ferroviaire : le Sénat refuse une réforme par ordonnances
Hostile au principe du recours aux ordonnances choisi par le gouvernement pour réformer la SNCF, le Sénat examine à partir de ce 28 mars son propre texte sur l'ouverture du rail à la concurrence, qui prévoit notamment des contrats de service public pour préserver des dessertes non rentables.
"Sur un enjeu aussi important que l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire, il est inconcevable qu'il n'y ait pas de débat au Parlement", a déclaré lors d'une conférence de presse ce 27 mars Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat. A la veille de l'examen en séance par la haute assemblée de la proposition de loi sur le sujet dont il est le co-auteur avec l'ancien sénateur des Alpes-Maritimes Louis Nègre, le sénateur (UC) de l'Eure a dénoncé la méthode choisie par le gouvernement de réformer le transport ferroviaire par ordonnances, y voyant une forme de "mépris à l'égard du Parlement et des citoyens".
"Mépris absolu du Parlement"
Pourtant, à l'origine, les auteurs de la proposition de loi, déposée en septembre dernier, avaient travaillé avec la ministre des Transports, Elisabeth Borne. "Il s'agissait d'anticiper l'ouverture à la concurrence fixée par les textes européens à des dates précises et nous avions informé le gouvernement de notre initiative, relate Hervé Maurey. Initialement, notre proposition de loi devait être examinée en janvier mais le gouvernement nous a demandé d'attendre les résultats de la mission Spinetta", qui a préconisé de profondes réformes de la SNCF, a-t-il poursuivi. "En échange", a dit l'élu de l'Eure, "la ministre des Transports s'est engagée à ce que la proposition de loi soit le véhicule législatif portant la réforme. Un engagement sur lequel le gouvernement est revenu et nous avons vu dans ce revirement un mépris absolu du Sénat et du Parlement".
"Pour justifier les ordonnances, le gouvernement dit vouloir aller vite, a-t-il ajouté. Mais nous estimons qu'avec cette proposition de loi validée par le Conseil d'État, on pourrait aller encore plus vite qu'avec les ordonnances qui prennent 18 mois pour être adoptées."
Enjeu d'aménagement du territoire
A cette divergence de méthode s'ajoute selon Hervé Maurey un autre désaccord de fond avec le gouvernement. Celui-ci défend aux yeux du sénateur un "open access pur et dur" alors que l'esprit du texte qu'il a co-rédigé est que "la concurrence ne doit pas se faire au détriment des territoires ni au détriment des usagers". "Si elle est bien encadrée, l'ouverture à la concurrence va conduire à une amélioration du service et à une réduction des coûts pour les usagers", soutient le rapporteur, Jean-François Longeot (UC). Le texte, qui fixe le cadre juridique de l'ouverture à la concurrence et propose des solutions sur de nombreux aspects comme la question des données, le transfert des personnels, le matériel roulant, la gestion des gares ou l'accès aux ateliers de maintenance, a fait l'objet d'enrichissements en commission sur les aspects d'aménagement du territoire.
La commission a voulu en particulier éviter que l'ouverture à la concurrence ne se traduise par la disparition de lignes considérées comme peu ou non rentables, qui restent pourtant indispensables à la desserte de l'ensemble des territoires. Elle a donc prévu que l'Etat conclue des contrats de service public combinant des services rentables et des services non rentables pour préserver de façon certaine la desserte directe des villes moyennes par le TGV, sans rupture de charge pour les voyageurs.
"Un conventionnement des seules liaisons non rentables, notamment celles permettant de desservir les villes moyennes par des trains TGV, obligerait les usagers à changer de train, ce qui réduirait d'autant l'attractivité du mode ferroviaire par rapport aux autres modes de transport", a souligné Hervé Maurey. Il a ainsi donné l'exemple de la ligne TGV Paris-Nice qui "pourrait s'arrêter à Marseille !", la partie Marseille-Nice étant moins rentable. "Il ne s'agit donc pas de diviser le réseau en franchises sur le modèle britannique mais de faire coexister, dans un système équilibré, des services librement organisés et des services conventionnés comprenant des services à grande vitesse, pour éviter la disparition de dessertes TGV indispensables à l'aménagement du territoire", insistent les sénateurs.
Garanties pour les personnels transférés
En ce qui concerne les personnels, sujet très chaud en raison de l'hostilité des syndicats au projet du gouvernement, la proposition de loi sénatoriale prévoit des garanties. Ainsi lorsqu'un nouvel opérateur est choisi pour exploiter un service ferroviaire, le transfert des personnels est prévu prioritairement sur la base du volontariat, puis sur décision de l'entreprise ferroviaire sortante. Les salariés de SNCF Mobilités transférés bénéficieraient aux termes de ce texte d'un socle de droits sociaux garantis comprenant en particulier un niveau de rémunération identique à celui des douze derniers mois, ou le maintien des facilités de circulation. Les salariés sous statut garderaient l'affiliation au régime spécial de retraite de la SNCF ainsi que la garantie de l'emploi.
Deux jours de débats sont prévus sur le texte. "A l'issue de l'examen, nous tendrons la main au gouvernement en l'invitant à inscrire le texte à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale plutôt que de continuer la procédure des ordonnances, poursuit Hervé Maurey. Nous verrons alors s'il s'enferre dans une attitude d'opacité, de fermeture ou s'il réagit."