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Europe - Droit communautaire de l'environnement : les prochains dossiers à risque pour la France

Depuis 2008, la France a progressé dans l'application du droit communautaire de l'environnement, estime la sénatrice Fabienne Keller dans un rapport d'information rendu public ce 26 octobre. Mais le nombre de contentieux reste encore important et les acquis fragiles, en particulier dans le domaine de l'eau. Surtout, de nouveaux dossiers à risque se profilent, qu'il s'agisse de qualité de l'air ou de la lutte contre le bruit.

Fabienne Keller a rendu public ce 26 octobre son quatrième rapport d'information réalisé au nom de la commission des finances du Sénat sur l'application du droit communautaire de l'environnement. Depuis le précédent, en 2008, la sénatrice UMP du Bas-Rhin a constaté des progrès dans la transposition des directives et le classement de plusieurs procédures importantes comme le contentieux relatif à l'étang de Berre. Une évolution due, selon elle, à des changements institutionnels, l'accélération des procédures dans le cadre du traité de Lisbonne ayant imposé une vigilance accrue de l'exécutif pour la mise en oeuvre des directives mais aussi à "une prise de conscience, au plus haut niveau de l'administration, des enjeux budgétaires associés à ces contentieux". En 2010, les provisions pour litiges inscrites dans le compte général de l'Etat ont ainsi atteint 253,5 millions d'euros contre 258,1 millions en 2009.
Mais si la France se situe dans la moyenne européenne au regard du nombre d'infractions au droit communautaire, celles-ci restent nombreuses - elles représentent 17% des contentieux engagés contre l'Hexagone, note la rapporteure. Actuellement, onze procédures sont ouvertes au stade du manquement et quatre au stade plus grave du manquement sur manquement. Les domaines les plus concernés par les infractions sont l'eau, les déchets et la biodiversité. Fabienne Keller juge particulièrement préoccupant le retard chronique de mise en oeuvre des directives sur l'eau. Celle de 1991 sur les eaux résiduaires urbaines (Deru) a suscité une mobilisation tardive et la France est aujourd'hui sous le coup de trois procédures d'infraction "dont une procédure de manquement sur manquement au stade de l'avis motivé qui fait peser le risque financier le plus imminent", souligne le rapport.
Pour Fabienne Keller, les facteurs expliquant le retard de la Deru ont des causes multiples. Il y a d'abord eu une prise de conscience beaucoup trop tardive des risques contentieux et des délais nécessaires à la mise aux normes des stations. "La mobilisation n'est devenue vraiment tangible qu'à compter de la première condamnation financière de la France dans l'affaire dite des "merluchons" (un contentieux portant sur la taille des filets de pêche, NDLR) en 2006", rappelle la sénatrice qui pointe aussi la lourdeur des financements requis (75 milliards d'euros sur vingt ans) et le défaut d'anticipation des pouvoirs publics qui n'ont inscrit les investissements nécessaires, accompagnés des mesures incitiatives, que dans les neuvièmes programmes d'actions des agences de l'eau (2007-2012). Le plan Borloo, mis en place à l'automne 2007 pour coordonner les outils financiers et réglementaires afin de mettre en conformité l'ensemble des stations d'épuration d'ici le 31 décembre 2011, a permis pour la première fois une mobilisation de tous les acteurs sur le terrain, observe la sénatrice. Mais au total le bilan coûts-avantages de la Deru demeure pour elle mitigé. "Le bénéfice environnemental n'est pas à la hauteur des investissements consentis, estime-t-elle. Au contraire, la mise aux normes des stations d'épuration se traduit par une consommation d'énergie colossale. Par exemple, la station de Seine-Aval, la plus grande d'Europe, consomme autant d'électricité que la communauté urbaine de Nantes."

Directive cadre sur l'eau : l'échéance de 2015 difficile à tenir

Le respect des objectifs de la directive cadre sur l'eau (DCE) de 2000, qui impose d'atteindre un bon état écologique des masses d'eau d'ici à 2015, risque aussi d'être compromis malgré une mobilisation plus précoce que pour la Deru, redoute aussi la sénatrice. Même si de nombreux outils de planification existent pour appliquer ce texte (schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux, schémas d'aménagement et de gestion des eaux, programmes de mesures, programmes d'action des agences de l'eau), l'échéance de 2015 pourrait ne pas être respectée, d'abord pour des raisons financières. "Les collectivités sont aujourd'hui confrontées à l'incertitude des subventions et il peut y avoir par exemple un téléscopage de priorités avec les plans d'actions liés aux risques d'inondation", explique Fabienne Keller qui se demande si face à la raréfaction des ressources financières il ne faudrait pas envisager de relever les redevances des agences de bassin. Mais les obstacles ne sont pas seulement financiers, relève la rapporteure. Il y a aussi "la difficulté d'identifier les maîtrises d'ouvrage, notamment pour la restauration des cours d'eau, ce qui ralentit trop souvent les travaux", des "délais de mise en oeuvre des différentes actions qui pourraient s'avérer beaucoup plus longs que prévu" et l'inertie propre des milieux naturels qui ne peuvent se reconstituer que 2 à 3 ans après l'achèvement des travaux. Autre problème récurrent : la gouvernance. Malgré la présence des agences de l'eau, "le pilotage de la politique de l'eau est encore imparfait" et la coordination des acteurs "nombreux et trop dispersés" apparaît "insuffisante", pointe la sénatrice qui relève aussi un "problème d'efficacité des outils, notamment de la police de l'eau dont l'action doit être améliorée".

Air : les émissions de particules et de dioxydes d'azote dans le collimateur

L'eau n'est pas le seul dossier épineux au regard du droit communautaire. Fabienne Keller met en exergue dans son rapport les risques émergents que constituent les difficultés d'application de la directive de 2008 sur la qualité de l'air ainsi que celle de 2002 sur l'évaluation et la gestion du bruit. La directive sur la qualité de l'air concerne notamment les particules, les oxydes d'azote, le dioxyde de soufre et l'ozone pour lesquels elle fixe des valeurs limites. La France fait aujourd'hui l'objet d'une procédure contentieuse pour non respect des valeurs limites des particules dont le diamètre est inférieur  à 10 micromètres (PM 10). "La Commission a saisi la Cour de justice en mai dernier et la condamnation semble inévitable car la plupart des grandes agglomérations sont concernées par le dépassement des valeurs limites de PM 10", relève la sénatrice. Pour elle, la mauvaise application de la directive tient à la diversité des sources de pollution et à la contradiction entre des enjeux environnementaux qui deviennent concurrents - c'est le cas, par exemple, de la promotion du chauffage à bois, qui peut être émetteur de particules quand il est mal géré. Mais comme dans le domaine de l'eau, il y a aussi à ses yeux un problème de gouvernance et de pilotage avec "une multiplicité d'outils insuffisamment hiérarchisés et coordonnés" et aucun lieu de décision commun aux différents acteurs, empêchant un traitement global du problème. Il faut encore y ajouter "un problème de ressources financières pour mettre en oeuvre efficacement les (trop nombreux) plans". D'ici à 2015, la valeur limite annuelle des émissions de particules inférieures à 2,5 micromètres (PM 2,5), encore plus fines et donc plus dangereuses pour la santé que les PM 10, va être abaissée peu à peu puis devenir obligatoire à cette date. Or elle est déjà dépassée à proximité de certains axes majeurs. Les valeurs limites des émissions de dioxyde d'azote (NO2), qui proviennent principalement des transports sont, elles, obligatoires depuis 2010 mais sont dépassées dans les grandes agglomérations. "Le ministère de l'Ecologie est conscient de l'imminence d'un précontentieux sur le NO2 et il envisage de présenter une demande de report pour les zones concernées, indique Fabienne Keller. Il faut donc agir dès maintenant si l'on souhaite éviter de nouveaux contentieux à l'horizon 2012, d'autant plus que ces polluants sont particulièrement nocifs." Quant à la directive sur le bruit, elle impose notamment l'élaboration d'une cartographie du bruit autour des principales infrastructures et agglomérations, ainsi que des plans d'action destinés à réduire ces nuisances sonores. "A ce jour, seul un tiers des cartes prescrites par la directive a été réalisé, constate la rapporteure. Or, la Commission européenne surveille de très près l'évolution de la situation. Il est donc urgent de se mobiliser rapidement. A cet égard, les préfets jouent un rôle important d'animation sur le terrain. Il leur appartient d'informer et de conseiller les communes et les EPCI concernés afin qu'ils puissent établir leurs cartes de bruit."

Associer les collectivités au travail législatif européen

Pour l'avenir, la sénatrice émet plusieurs recommandations pour améliorer la transposition des directives. Elle propose ainsi d'anticiper leur mise en oeuvre par une élaboration simulanée des textes d'application français. Outre le développement de relations de travail directes entre le Parlement européen, le Parlement national et le Conseil européen, Fabienne Keller suggère notamment d'associer au travail législatif européen les collectivités (régions, départements, communes, syndicats et intercommunalités) ainsi que les agences et autres structures publiques chargées de les mettre en oeuvre. Autre piste pour améliorer cette fois le pilotage et la gouvernance de la mise en oeuvre des directives : la création de lieux de gouvernance partagée. A l'échelon national, il pourrait y avoir, par exemple au Sénat, propose Fabienne Keller, une instance de suivi des textes en cours d'élaboration ou de mise en oeuvre, composée de représentants du Parlement national, de l'exécutif et des collectivités territoriales. Il pourrait aussi y avoir un lieu de gouvernance régional rassemblant l'ensemble des acteurs sur une directive, "avec un cadrage financier réaliste (à l'image des agences de bassin) et un suivi opérationnel des actions". Enfin, la sénatrice estime nécessaire d'"engager une réflexion sur une appréhension globale des enjeux" prenant en compte les "effets croisés" et les interdépendances entre différents objectifs. Elle invite également à réfléchir à la notion de "valeur environnementale" et au coût des obligations des directives européennes "en termes de consommation d'énergie, d'investissements et d'enjeux concurrents".

 

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