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Environnement - Gestion de l'eau : la gouvernance en débat

Envié à l'étranger, le modèle de gestion de l'eau à la française n'en reste pas moins perfectible. Ses principaux points faibles : l'enchevêtrement des niveaux de responsabilités et son manque de transparence. L'année étant dense en changements, le Conseil d'Etat et le Cese ont fait le point le 19 janvier sur cet enjeu.

Dans la continuité d'un rapport incisif consacré l'an dernier à "L'eau et son droit", le Conseil d'Etat a organisé le 19 janvier avec le Conseil économique, social et environnemental (Cese) un colloque sur la gouvernance de l'eau. Le modèle de gestion français par bassin versant y a été mis en avant. Même s'il reste beaucoup à faire pour en renforcer l'ancrage territorial - comme l'avait déjà pointé à juste titre le rapport évoqué - la ministre de l'Ecologie Nathalie Kosciusko-Morizet a souligné que ce modèle a fait ses preuves "en oeuvrant au plus près des réalités locales". Au point de bien s'exporter. "Dans le cadre de la coopération, de grands pays émergents font appel à nous pour les aider à mettre en place ce type de gouvernance sur leurs territoires. Tous les grands fleuves africains sont en train de le faire, avec l'aspect transfrontalier qui leur est propre. Le Brésil et la Chine aussi", a illustré Jean-François Donzier, à la tête de l'Office international de l'eau (OIE).
Au cœur du modèle hexagonal s'affirme une complémentarité des rôles de l'Etat et des collectivités territoriales, des communes essentiellement mais aussi des départements et des régions de plus en plus appelés à travailler main dans la main sur cet enjeu. Autre spécificité : ce modèle repose majoritairement sur la gestion déléguée. Au nom de la Fédération des professionnels des entreprises de l'eau, Marc Reneaume a ainsi tenu à rappeler que le choix d'un tel mode revient aux collectivités et que lorsqu'il y a délégation "les opérateurs attendent d'elles qu'elles instaurent des procédures de contrôle efficaces, des pénalités en cas de non atteinte des objectifs, le tout dans un climat de dialogue et de confiance réciproque".

Des remous dans les agences de l'eau

Dans le cadre de leur 10e programme (2013-2018), les six agences de l'eau se préparent à voir leurs missions évoluer. La priorité sera d'atteindre l'objectif de bon état des eaux fixé par la directive-cadre sur l'eau. Aux yeux de certains experts, c'est un objectif "réalisable". Lutte contre les pollutions diffuses ou émergentes, restauration des cours d'eau, protection des captages, intégration des impacts du changement climatique… "Autant de chantiers qui s'ouvrent et nécessitent de développer des compétences et de contractualiser avec les collectivités, par le biais des Sage ou des contrats de rivière notamment", a précisé Alexis Delaunay, directeur du contrôle des usages et de l'action territoriale à l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema). Selon lui, la politique de l'eau doit mieux intégrer l'aspect foncier dans la protection des zones humides. A améliorer également, la prise en main des "rivières orphelines" qui échappent généralement aux programmes habituels de conservation.
Dans les agences, le rôle des commissions géographiques va s'accentuer. "Le renforcement de la gouvernance aura toute sa place dans ce 10e programme, et pour atteindre les objectifs de la directive, ces commissions recenseront les difficultés rencontrées pour que dès 2012, les mesures nécessaires à prendre soient prises", a confirmé Nathalie Kosciusko-Morizet. Pour la ministre, l'une des priorités est de mettre tous les acteurs de l'eau autour d'une même table. "Sans quoi on ne pourra guère s'en sortir par le haut !", a rebondi André Flajolet, député du Pas-de-Calais et président du Comité national de l'eau. Pour lui, un écart perdure "entre le papier et le terrain, entre une organisation en théorie rôdée et la réalité des milieux aquatiques, avec laquelle la réalité administrative est parfois décalée. Si bien qu'il y a du pain sur la planche, en métropole comme dans les territoires ultramarins, où beaucoup de retard a néanmoins été rattrapé".

Financements et priorités

Le besoin de nouveaux financements pour les collectivités a été relevé. Pour André Flajolet, qui invite à s'interroger sur la légitimité du dispositif actuel fondé sur des redevances elles-mêmes fixées en fonction de périmètres, cette question sera au cœur des débats de l'année. Même volonté d'ouvrir le débat à la Commission européenne. Peter Gammeltoft, chef de son unité protection de l'eau et du milieu marin, préconise d'impliquer dans le financement de la gestion de l'eau non seulement "les utilisateurs mais tous ceux qui exercent une pression sur cette ressource, en premier lieu l'agriculture. Les politiques de tarification ne peuvent plus faire l'impasse sur les coûts externes et environnementaux". En parallèle, la commission entame l'évaluation des schémas de gestion (presque tous) transmis par les Etats membres. Ce travail sera bouclé en 2012.
Mais d'ores et déjà, les premières leçons à en tirer vont vers plus de concertation et un meilleur partage des responsabilités entre les administrations territoriales et celles qui gèrent les bassins versants. Un chantier qui, en France, s'annonce indissociable de l'achèvement progressif de la carte intercommunale. "Les rapprochements qu'elle impose suscitent des craintes que je comprends", a déclaré Nathalie Kosciusko-Morizet. Et d'ajouter que la priorité de restauration des cours d'eau intégrera les schémas départementaux de coopération intercommunale (SDCI), que les préfets ont à réaliser d'ici le 31 décembre 2011. Ils les soumettront ensuite aux communes et aux structures concernées. A ne pas négliger dans la boucle : les syndicats de rivières, dont la ministre a salué la réussite de fonctionnement. En février, elle réunira les organismes de bassin (comités de bassin et agences de l'eau) afin qu'ils accompagnent les communes et structures concernées dans "cet effort de rationalisation".