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Environnement - La politique de l'eau n'est pas un long fleuve tranquille

Selon un rapport de la sénatrice du Bas-Rhin Fabienne Keller présenté ce 27 juin, le pilotage de la politique de l'eau doit encore être sérieusement amélioré pour que la France puisse satisfaire à l'objectif européen de bon état écologique des eaux en 2015.

Qu'il s'agisse d'organisation administrative, de traduction budgétaire dans le cadre de la Lolf ou des modalités de coordination entre l'Etat et les collectivités territoriales, la France semble "au milieu du gué" en matière de politique de l'eau. Telles sont les principales conclusions du rapport sur le pilotage de la politique de l'eau présenté ce 27 juin par la sénatrice du Bas-Rhin Fabienne Keller au nom de la commission des finances du Sénat.
"Beaucoup d'acteurs interviennent dans le domaine de l'eau. Mais on constate qu'on ne se prépare pas suffisamment en France à décliner les directives européennes, souligne Fabienne Keller. Il faudra rapidement améliorer notre organisation pour mettre en oeuvre la loi sur l'eau du 30 décembre 2006 et satisfaire  aux exigences de bon état écologique des eaux que l'Union européenne nous assigne à l'horizon 2015."
Certes, des progrès ont été accomplis ces dernières années. L'administration a été partiellement rénovée avec la création de services uniques de police de l'eau ou le regroupement de 52 services d'annonce des crues en 22 services régionaux de prévision de crues. La coordination des différents intervenants de la politique de l'eau a également été améliorée grâce à l'élargissement des compétences des préfets coordonnateurs de bassin et à la réforme des missions interservices de l'eau dont les nouvelles attributions favorisent le "réflexe eau", selon Fabienne Keller. Autre point positif : le renforcement du cadrage national des agences de l'eau, dans le respect des compétences dévolues aux différents acteurs présents dans les comités de bassin (industriels, collectivités, consommateurs, etc.), grâce à une tutelle équilibrée de la direction de l'eau du ministère chargé de l'écologie. 

 

Risques de conflits d'intérêts

Mais le pilotage de la politique de l'eau bute encore sur de nombreux écueils, à la fois administratifs et financiers. Tout d'abord, des interrogations persistent sur ce que sera le rôle véritable de la direction de l'eau du ministère chargé de l'écologie, après le transfert d'une partie de ses compétences vers l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema). "Cette redistribution doit notamment renforcer notre capacité de négociation communautaire dans le domaine de l'eau", insiste Fabienne Keller dans son rapport.
Autre casse-tête : les directions départementales de l'agriculture et de la forêt (Ddaf) et les directions départementales de l'équipement (DDE), qui disposent d'importantes attributions en matière d'eau, ne sont pas placées sous l'autorité directe du ministère chargé de l'écologie. Leur  pilotage s'en trouve affaibli puisque ce ministère n'a pas la maîtrise des effectifs consacrés à la politique de l'eau et que, de surcroît, des conflits d'intérêts peuvent survenir au sein des directions entre les missions eau et les missions agriculture ou équipement. Sur ce point, la création du "super ministère" de l'Ecologie, du Développement et de l'Aménagement durables ne répond pas à l'objectif de gestion transversale de l'eau puisque les Ddaf restent sous la tutelle du ministère de l'Agriculture et de la Forêt.
Sur le plan financier, la politique de l'eau souffre aussi d'un trop grand éparpillement que la Lolf n'a pas contribué à résoudre. Au moins onze programmes répartis dans cinq missions, pilotées par cinq ministères, contribuent à la politique de l'eau. "Cette dispersion rend difficile une appréhension globale de la politique de l'eau, ne permet pas de connaître précisément quels moyens de personnel et de fonctionnement lui sont consacrés et fait douter de l'existence d'une véritable stratégie gouvernementale en la matière", constate Fabienne Keller dans son rapport.
De plus, la lisibilité budgétaire de la politique de l'eau souffre du fait que 94% de ses ressources ne transitent pas par le budget de l'Etat, notamment en raison de l'affectation directe de recettes aux agences de l'eau. "La scission des crédits de politique de l'eau entre les deux programmes de politique publique de la mission "Ecologie et développement durable" est contraire à une gestion intégrée qui doit concilier les approches en termes de milieux et d'usages. Par ailleurs, cette scission entrave le pilotage de la politique de l'eau et nuit à la visibilité de notre action pour les autorités communautaires", déplore encore la sénatrice. Elle regrette aussi que les actions territorialisées mises en oeuvre à travers le programme d'interventions territoriales de l'Etat (PITE) contreviennent parfois aux priorités nationales de la politique de l'eau.
Enfin, le partage des responsabilités entre l'Etat et les collectivités territoriales dans le domaine de l'eau mérite d'être clarifié. Le non-respect de la directive communautaire de 1991 sur le traitement des eaux résiduaires urbaines, qui expose la France à une amende de plusieurs centaines de millions d'euros, offre une bonne illustration du fait que l'Etat, responsable de sa politique de l'eau devant les autorités communautaires, peut être tributaire de l'action des collectivités territoriales. Aujourd'hui, 83 stations d'épuration sont jugées non-conformes à la directive et leur mise en conformité devrait s'étaler jusqu'en 2011. "Un examen attentif révèle que les responsabilités en la matière sont largement partagées entre l'Etat, qui a tardé à transposer la directive et n'a pas assuré un suivi efficace de son application, et les collectivités territoriales, qui ont longtemps différé  des investissements coûteux", souligne le rapport.

 

Pour des échanges permanents Etat-collectivités territoriales

Pour un pilotage plus efficace de la politique de l'eau, Fabienne Keller a formulé une dizaine de recommandations. Elle propose ainsi de recentrer la direction de l'eau sur ses fonctions régaliennes, de simplifier les échelons territoriaux de la politique de l'eau, de diminuer le nombre de services y concourant  et de renforcer le pilotage des services départementaux. Il faudrait aussi améliorer la traduction budgétaire de la politique de l'eau en remédiant à la scission des crédits et en consolidant l'information disponible.
Enfin, pour mieux coordonner l'action des collectivités territoriales et de l'Etat, la sénatrice présente plusieurs pistes. Tout d'abord, il faudrait tenir compte des positions exprimées par les collectivités lors de la négociation d'actes communautaires dans le domaine de l'eau. Le caractère fortement incitatif des financements des agences de l'eau, tel qu'il a été défini dans la circulaire du 8 décembre 2006, qui consiste notamment à appliquer des conditions d'aide dégressives en cas de refus des collectivités de contractualiser ou de non-respect des échéances réglementaires, devrait aussi être pérennisé et systématisé. Enfin, le rapport de Fabienne Keller propose de favoriser les échanges permanents entre l'Etat et les collectivités territoriales dans l'application concrète du droit communautaire de l'eau. L'échelon le plus approprié pour mener ces concertations pourrait alors être le ressort départemental des missions interservices de l'eau.

 

Anne Lenormand