Emplois de direction - Décharge de fonction : attention aux revers de fortune !

Les municipales ont donné le coup d'envoi du "mercato" des cadres territoriaux occupant un emploi fonctionnel. La réglementation encadre les circonstances de cette mobilité. Une circulaire du ministère de l'Intérieur en rappelle les principales dispositions. Les drames professionnels liés à la fin de détachement ne sont néanmoins pas rares.

Au lendemain du second tour des élections municipales, les directeurs généraux des services (DGS) et les directeurs généraux adjoints (DGA) des villes occupant un emploi fonctionnel peuvent légitimement s'interroger sur leur avenir professionnel. Qu'ils aient été reconduits ou portés dimanche au pouvoir, les maires aspirent souvent, au seuil de leur mandat, à un renouvellement des équipes administratives dirigeantes. Il y a sept ans, deux directeurs généraux des services sur trois avaient ainsi changé de poste ou de commune.
Même s'il peut être synonyme de précarité, ce "mercato" qui scande la carrière de beaucoup de dirigeants territoriaux est aujourd'hui considéré par ces derniers comme une composante intégrale de leurs fonctions. Un haut responsable du CNFPT affirmait récemment que cette mobilité est "un temps de respiration démocratique permettant la rencontre volontaire entre un élu et un fonctionnaire territorial".
Certains ont bien sûr anticipé l'échéance du 16 mars en réveillant leur réseau professionnel ou en adressant leur CV aux cabinets de recrutement. Mais d'autres ont peut-être été plus passifs et risquent d'apprendre dans les mois qui viennent que le maire a souhaité se séparer d'eux. Dans ce cas de figure, il n'est pas rare que les choses se corsent. Les intéressés ne voient pas toujours le "drame" s'annoncer. Bernard Bezard, DGS de Combs-la-Ville, rapportait récemment le cas d'un collègue que le maire avait confirmé dans ses fonctions. Or, après un virage à 180 degrés trois mois plus tard, l'élu affirmait clairement son intention de se séparer de lui.

Mise au placard

L'article 53 de la loi du 26 janvier 1984 apporte en principe une certaine sécurité juridique aux intéressés. En effet, si la fin de détachement sur emploi fonctionnel peut être prononcée à tout moment, un délai de six mois doit cependant être respecté suivant la nomination du fonctionnaire sur l'emploi ou suivant la désignation de l'autorité territoriale.
Mais les moyens de contourner la loi sont nombreux. Des responsables territoriaux rapportent qu'après les élections régionales de 2004, un DGS a soudainement été exilé dans les sous-sols de l'hôtel de région, perdant ainsi le prestige attaché à sa fonction et les moyens matériels pour l'exercer. En même temps que celui-ci était "mis au placard", le cadre territorial que l'exécutif souhaitait voir occuper le poste de DGS attendait sagement sa prise de fonctions officielle sur un poste provisoire de chargé de mission.
Pour motiver la fin de détachement du cadre territorial, comme l'exige la réglementation, certains élus n'hésitent pas à user de ruses. A tel DGS, le maire a demandé de préparer pour le lendemain une délibération pour le recrutement de son directeur de cabinet. En l'absence de certains éléments sur la rémunération du futur cadre, le préfet a retoqué la délibération. Ce qui a constitué une preuve matérielle irréfutable justifiant la fin de détachement.
Certains DGS se sont vu interdire l'entrée de la mairie, ce qui a posé un vrai problème, puisque les fonctionnaires sont rémunérés à condition qu'ils accomplissent leur travail. L'intéressé a dû faire venir un huissier qui a constaté l'interdiction qui lui était faite d'exercer ses fonctions.

Une circulaire tardive mais utile

Estimant unanimement que le cadre juridique de la fin de détachement était perfectible, les associations et syndicats du cadre A de la fonction publique territoriale ont récemment fait part de leurs propositions à la DGCL. Avant la rencontre, l'Association des directeurs généraux et directeurs généraux adjoints des départements et des régions (Adgdgadr) nous faisait part de son voeu d'un alignement, au profit des contractuels, de la période de préavis de six mois bénéficiant aux fonctionnaires. Pour sa part, les responsables du Syndicat national des directeurs généraux des collectivités territoriales (SNDG) souhaitaient que la loi précise davantage les conditions de déroulement de l'entretien préalable de fin de détachement et, notamment, qu'elle indique explicitement la possibilité pour l'agent d'être assisté d'une tierce personne.
La circulaire que le ministère de l'Intérieur vient de diffuser - deux jours avant le second tour de dimanche - était très attendue. Le président du SNDG avait demandé dès l'été dernier que ce texte paraisse bien en amont des élections afin d'éviter que ne se répète le scénario de 2004, où la circulaire était parue seulement après les élections régionales.
Bien que tardive, la circulaire sera malgré tout utile aux dirigeants territoriaux. Elle reprend une jurisprudence abondante qui, au fil des ans, est venue préciser la loi. On notera ainsi, concernant l'entretien préalable, qu'"il ne doit y avoir aucun risque d'ambigüité quant à l'objet de l'entretien auquel est convoqué l'intéressé" (arrêt du Conseil d'Etat du 10 novembre 2004). Quant à l'indispensable motivation de la fin de détachement par l'exécutif, elle peut reposer sur la notion de "perte de confiance". Mais le juge administratif exige que les éléments de fait motivant la décision - et donc l'origine de la perte de confiance - soient précisés.

Soutien psychologique

Les circonstances à l'origine de la fin de détachement son multiples : outre le changement d'équipe municipale, il peut aussi s'agir d'un conflit de personnes entre un adjoint au maire et le DGS. Parfois aussi, le DGS peut avoir commis une faute. Quelles que soient les raisons, "la décharge de fonction est une étape psychologiquement difficile à vivre, même lorsqu'on a toujours eu un moral apparemment à toute épreuve", souligne Corinne Hervé, présidente de la commission médiation au SNDG. "Certains collègues n'osaient plus m'adresser la parole et changeaient de trottoir en me voyant", se souvient pour sa part un ancien DGS.
Pour ne pas laisser leurs collègues dans la difficulté, le SNDG a créé un réseau de médiation qui prodigue des conseils et un soutien psychologique. La plupart du temps, les élus acceptent la proposition de médiation, qui a pour mérite de favoriser le dialogue entre les parties. Pour bénéficier de cette assistance, il est indispensable d'adhérer au syndicat. Ces derniers mois, le SNDG a largement informé les directeurs généraux de son initiative. Il s'est adressé avec un soin particulier aux DGS des communes dont la population est comprise entre 2.000 et 3.500 habitants qui, depuis un récent décret, sont eux aussi concernés par la fonctionnalité des emplois de direction.

 

Thomas Beurey / Projets Publics

 

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