Circulaire, attentat et polémique : les MNA à nouveau sous les projecteurs
Une instruction du ministère de l'Intérieur vise à anticiper le droit au séjour des mineurs non accompagnés (MNA) qui approchent de leur majorité, afin de limiter les ruptures de droits lorsque la rupture advient. Le cas d'un "refus de délivrance du titre de séjour à la majorité supposée" est aussi évoqué. Bien que datant d'avant l'attaque de la rue Nicolas Appert (11e arrondissement à Paris), la publication de cette instruction intervient dans un contexte particulier relançant la question de l'évaluation de la minorité.
Régulièrement sur le devant de la scène, la question des mineurs non accompagnés (MNA) revient en pleine lumière avec une conjonction d'événements. Côté administratif, une instruction du ministre de l'Intérieur du 21 septembre précise les modalités de l'examen anticipé des demandes de titres de séjour des mineurs étrangers confiés au service départemental de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Par ailleurs, le 29 septembre, le ministre de l'Intérieur a adressé aux préfets un courrier leur demandant de "reconduire systématiquement les étrangers" ayant commis des "infractions graves" ou "représentant une menace grave pour l'ordre public". Entretemps, c'est un jeune Pakistanais se prétendant MNA et admis comme tel bien qu'âgé sans doute de 22 ans à son arrivée en France – malgré les doutes et le refus initial du département du Val d'Oise – qui commet l'attentat de la rue Nicolas Appert (anciens locaux de Charlie Hebdo). Il n'en fallait bien sûr pas plus pour qu'un célèbre polémiste d'extrême droite saute sur l'occasion et affirme, tout en nuances, que tous les MNA sans exception sont des "voleurs", des "assassins" et des "violeurs"...
Les autorisations de travail passent de la Direccte à l'immigration
L'instruction du 21 septembre vise à anticiper le droit au séjour des MNA qui approchent de leur majorité, afin de limiter les ruptures de droits lorsque celle-ci advient. Mais les préoccupations sécuritaires sont loin d'être absentes. Est plus particulièrement visé le cas des MNA pris en charge par l'ASE et engagés dans un parcours de professionnalisation sans détenir un titre de séjour, dès lors qu'une autorisation de travail leur est accordée dans l'hypothèse où elle est requise. Le but est d'éviter que ce parcours professionnalisant, qui témoigne d'une volonté d'intégration, soit remis en cause faute d'une anticipation. L'instruction, adressée aux préfets, insiste sur le fait qu'"il est donc dans l'intérêt du mineur d'anticiper les formalités qu'il devra effectuer à sa majorité pour clarifier le plus rapidement possible la question de son droit au séjour".
Pour cela, l'instruction prévoit de "confier à un cadre du service de l'immigration la signature des autorisations de travail délivrées aux mineurs non accompagnés étrangers confiés à l'ASE", en lieu et place des services de la main d'œuvre étrangère (SMOE) de la Direccte. S'agissant d'une demande de titre de séjour, la première phase de l'examen anticipé, durant laquelle le MNA peut être accompagné par un personnel de l'ASE, consistera en la vérification de l'état civil et de la nationalité de l'intéressé. L'instruction précise toutefois que cet examen anticipé doit être proposé et non pas imposé puisque, l'intéressé étant mineur, il n'est pas tenu de détenir un titre de séjour. En outre, l'autorisation de travail lui sera délivrée en tout état de cause (sauf si une fraude est établie), dès lors qu'il présente un contrat d'apprentissage ou de professionnalisation, accompagné des pièces requises. Une fois cette première phase achevée, le préfet indiquera au président du conseil départemental "[ses] conclusions sur l'examen du droit au séjour à la majorité, sous réserve des critères [qu'il examinera] ultérieurement". Il précisera "si cet examen conduit à envisager un refus de délivrance du titre de séjour à la majorité supposée". Auquel cas, "il appartient au président du conseil départemental de tirer les conséquences de cette information".
Délivrance d'un titre de séjour ou OQTF
La seconde phase de l'examen anticipé, qui débute six mois après le dépôt de la demande, consiste en la vérification des conditions tenant au suivi de la formation, à la nature des liens avec le pays d'origine, au degré d'insertion de l'intéressé et à l'absence de menace pour l'ordre public. A l'issue de cette phase, le préfet informe, par écrit, le conseil départemental de ses conclusions sur le droit au séjour du mineur étranger. L'alternative se résume à la délivrance d'un titre de séjour ou à l'absence de droit au séjour. En cas d'absence de droit au séjour, il n'y aura pas de refus de séjour, assorti ou non d'un OQTF (obligation de quitter le territoire français), tant que l'intéressé reste mineur. La circulaire invite toutefois les préfets à "sensibiliser l'intéressé et les services de l'ASE sur la possibilité qu'il aura de bénéficier du dispositif d'aide au retour volontaire mis en œuvre par l'Office français de l'immigration et de l'intégration" (Ofii).
En revanche, "dans l'hypothèse où le conseil départemental aurait sollicité et obtenu la mainlevée de la mesure d'assistance éducative prononcée par le juge des enfants au motif que le mineur était en fait majeur à la date à laquelle il a été placé à l'ASE", les services de l'Etat pourront "convoquer l'intéressé à la préfecture en vue de vérifier sa situation administrative". S'il apparaît alors que l'intéressé ne remplit les conditions de délivrance d'aucun titre et sous réserve qu'il n'appartienne pas à une catégorie d'étrangers protégée contre l'éloignement, il devront "prendre un refus de séjour assorti de l'obligation de quitter le territoire français", le ministre ayant souligné de sa main les mots "vous devrez".
Un MNA de 25 ans, malgré les doutes du département
A la différence de l'instruction, la lettre aux préfets du 29 septembre ne vise pas spécifiquement le cas des MNA refusés au séjour. A la fin du mois d'août, Gérald Darmanin avait également appelé à un renforcement en ce domaine, après l'affaire de la jeune Bosniaque de Besançon frappée et tondue par sa famille parce qu'elle était amoureuse d'un Serbe, alors que la famille n'avait pas obtenu l'asile et était sous le coup d'une OQTF non exécutée.
Il est néanmoins difficile de ne pas voir un lien avec l'affaire du terroriste de la rue Nicolas Appert. Avec les réserves qui s'imposent à ce stade de l'enquête, l'agresseur aurait reconnu être né au Pakistan en 1995 et non en 2002 comme il l'affirmait jusqu'alors. C'est pourtant avec cette fausse date de naissance qu'il est arrivé en France il y a trois ans, à l'âge affiché de 15 ans (alors qu'il en avait sans doute 22). Et il était donc officiellement MNA lors de l'attentat, alors qu'il avait sans doute 25 ans. Un tel écart de sept ans avait fait naître de sérieux doutes au conseil départemental du Val-d'Oise, qui voulait refuser la prise en charge au titre de MNA. Mais le département y a été contraint par un jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, qui aurait refusé la réalisation d'un test osseux (qui n'est au demeurant pas totalement fiable, mais aurait sans doute pu déceler un écart de cette ampleur).
Un dispositif "réinterrogé" ?
C'est un secret de polichinelle que tous les jeunes admis comme MNA ne sont pas mineurs, mais il est impossible d'en évaluer la proportion. Les contrôles se sont pourtant renforcés avec la création du fichier centralisé des MNA, qui a donné lieu à de nombreuses polémiques mais a été validé par le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État (voir nos articles ci-dessous du 26 juillet 2019 et du 6 février 2020). Mais l'affaire va forcément relancer les débats sur la question de la minorité réelle ou non de certains MNA, d'autant plus que les départements mettent en avant le coût très élevé de leur prise en charge.
Lors du conseil des ministres du 28 septembre, Emmanuel Macron a rappelé que "la menace terroriste est toujours persistante dans notre pays" et a indiqué que "les informations de l'enquête conduiront immanquablement à réinterroger un certain nombre de procédures et de fonctionnements si des défaillances sont constatées". Reste à savoir si la question des MNA sera intégrée dans ce réexamen.
Éric Zemmour – puisque c'est de lui dont il s'agit – n'aura pas attendu jusque-là, avec ses propos sur les MNA tenus sur la chaîne CNews, et son invitation à tous les "renvoyer" sans délai. Saisi notamment par le CSA et la Dilcrah (Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT), le parquet de Paris a déjà ouvert une enquête sur ces propos.
Les présidents PS des départements du Gers, Philippe Martin, et des Landes, Xavier Fortinon, ont eux aussi annoncé tour à tour ce vendredi 2 octobre porter plainte contre le polémiste "suite à ses propos sur les migrants mineurs", suivant en cela la procédure engagée la veille par la Loire-Atlantique. Le président de Loire-Atlantique, Philippe Grosvalet (PS), soulignait jeudi dans un communiqué que "les mineurs non accompagnés pris en charge par le département de Loire-Atlantique manifestent une forte volonté d'insertion". Les paroles prononcées "portent atteinte aux mineurs dont le département de Loire-Atlantique s'est vu confier la tutelle", a-t-il affirmé pour motiver son dépôt de plainte.
Références : ministère de l'Intérieur, instruction n°INTV2012657J du 21 septembre 2020 relative relative à l'examen anticipé des demandes de titres de séjour des mineurs étrangers confiés au service départemental de l'aide sociale à l'enfance. |