Le Conseil constitutionnel valide le fichier des mineurs non accompagnés
Pour le Conseil constitutionnel, le texte instituant le fichier des MNA, vivement contesté depuis l'origine par une vingtaine de grandes associations, offre des garanties suffisantes dans sa mise en œuvre et n'est pas contraire à l'exigence de "protection de l'intérêt supérieur de l'enfant".
Dans une décision QPC (question prioritaire de constitutionnalité) du 26 juillet, le Conseil constitutionnel déclare conforme à la Constitution l'article L.611-6-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda), dans sa rédaction issue de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie (voir notre article ci-dessous du 17 septembre 2018). Cet article, complété par un décret du 30 janvier 2019 (voir notre article ci-dessous du 1er février 2019), met en place un fichier biométrique national – avec empreintes digitales et photographie – des ressortissants étrangers se déclarant mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille, autrement dit un fichier des mineurs non accompagnés (MNA). Ce fichier est vivement contesté depuis l'origine par une vingtaine de grandes associations – à l'origine de la QPC –, mais aussi, à un degré moindre, par le Défenseur des droits.
Des garanties suffisantes
Dans sa décision, le Conseil constitutionnel écarte tous les arguments invoqués par les requérants. Il juge en effet que le texte offre des garanties suffisantes dans sa mise en œuvre et "ne méconnaît pas non plus le droit à un recours juridictionnel effectif ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit".
Ainsi, le Conseil estime que "ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet de modifier les règles relatives à la détermination de l'âge d'un individu et aux protections attachées à la qualité de mineur, notamment celles interdisant les mesures d'éloignement et permettant de contester devant un juge l'évaluation réalisée". Dans la mesure où la majorité d'un individu ne saurait être déduite ni de son refus opposé au recueil de ses empreintes ni de la seule constatation qu'il est déjà enregistré dans le fichier en cause ou dans un autre fichier alimenté par les données de celui-ci, ces dispositions "ne méconnaissent pas l'exigence constitutionnelle de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant".
De même, "alors qu'aucune norme constitutionnelle ne s'oppose par principe à ce qu'un traitement automatisé poursuive plusieurs finalités [argument avancé par les requérants, ndlr], le législateur a, en adoptant les dispositions contestées, entendu mettre en œuvre l'exigence constitutionnelle de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant et poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre l'immigration irrégulière".
Une décision pas vraiment surprenante
Enfin, le fichier ne recueille que les informations strictement "nécessaires à l'identification de la personne et à la vérification de ce qu'elle n'a pas déjà fait l'objet d'une évaluation de son âge". Il prévoit une durée limitée de conservation des données et "est mis en œuvre dans le respect de la loi du 6 janvier 1978" relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. Dans ces conditions, le Conseil constitutionnel juge que "le législateur a opéré entre la sauvegarde de l'ordre public et le droit au respect de la vie privée une conciliation qui n'est pas disproportionnée".
Dans une déclaration à l'AFP, Maître Patrice Spinosi, avocat des ONG, estime "décevante" la décision du Conseil constitutionnel. Pour lui, "le fichier "mêle intérêt supérieur de l'enfant et lutte contre l'immigration illégale, deux objectifs pour nous parfaitement contradictoires".
Il est cependant difficile de dire que cette décision constitue une surprise. Il y a quatre mois, dans une QPC sur la constitutionnalité des tests osseux pour essayer de déterminer l'âge réel d'un MNA, le Conseil avait déjà confirmé la constitutionnalité de la mesure, avec des considérants très similaires : légitimité du but poursuivi, absence d'atteinte à des droits fondamentaux, garanties entourant la procédure... (voir notre article ci-dessous du 22 mars 2019).
Et maintenant, le Conseil d'État...
Si le débat est clos - sauf éventuel recours au niveau européen - sur la question de l'article L.611-6-1 du Ceseda instaurant le fichier biométrique, celle de son décret d'application du 30 janvier 2019 est toujours en suspens. Dans une ordonnance du 3 avril 2019, le juge des référés du Conseil d'État a refusé de suspendre l'application du décret, en considérant qu'il n'existe "pas de doutes sérieux" sur la légalité du décret qui justifieraient une suspension en référé (voir notre article ci-dessous du 5 avril 2019). Mais le Conseil d'État a néanmoins accepté de transmettre au Conseil constitutionnel la QPC qui vient d'être jugée le 26 juillet, en estimant que "le moyen tiré de ce [que ces dispositions] portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution soulève une question présentant un caractère sérieux" (voir notre article ci-dessous du 17 mai 2019).
La décision au fond du Conseil d'État sur le recours contre le décret du 30 janvier dernier devrait intervenir dans les prochaines semaines. En attendant, l'avocat des ONG demande l'instauration d'"une présomption de minorité, qui interdirait à l'administration d'exécuter une mesure d'expulsion prise contre un étranger qui se déclare mineur tant que le juge des enfants n'a pas statué sur son âge".
Références : Conseil constitutionnel, décision n°2019-797 QPC du 26 juillet 2019, Unicef France et autres. |