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Le Conseil d'État valide l'évaluation et le fichier des MNA, mais encadre leur utilisation

Le Conseil d'Etat a rendu le 5 février sa longue décision sur le décret du 30 janvier 2019 relatif aux modalités d'évaluation des personnes se déclarant MNA et autorisant la création d'un traitement de données à caractère personnel. S'il valide la quasi-totalité de ce décret, il apporte des précisions afin d'encadrer sa mise en oeuvre.

Dans une longue décision du 5 février, le Conseil d'État valide le décret du 30 janvier 2019 "relatif aux modalités d'évaluation des personnes se déclarant mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et autorisant la création d'un traitement de données à caractère personnel relatif à ces personnes" (sur le contenu du décret, voir notre article ci-dessous du 1er février 2019). Certes, la décision annule l'article 6 de ce décret, mais il s'agit uniquement d'une question juridique sur la date d'application, qui ne remet pas en cause le fond du texte. Pour autant, le Conseil ne donne pas un blanc-seing sur la mise en œuvre du décret et apporte un certain nombre de précisions qui valent encadrement.

Les dispositions du décret ne modifient pas les règles relatives à la détermination de l'âge

Comme devant le Conseil constitutionnel (voir nos articles ci-dessous du 5 avril et du 26 juillet 2019), le recours en excès de pouvoir contre le décret était introduit par plusieurs associations (Unicef France, Médecins sans Frontières, Médecins du Monde, Secours catholique, FAS, Cimade, Gisti, Ligue des Droits de l'Homme, Uniopss, Syndicat de la magistrature, Syndicat des avocats de France...), ainsi que par le Conseil national des barreaux. Par ailleurs, il faut rappeler que le juge des référés du Conseil d'État avait déjà refusé de suspendre le fichier des MNA, en estimant qu'il n'existait "pas de doutes sérieux" sur la légalité du décret qui justifieraient une suspension en référé (voir notre article ci-dessous du 5 avril 2019).

Dans sa décision du 5 février 2020, le Conseil d'État se prononce donc sur le fond du décret. Comme le Conseil constitutionnel, il juge que les dispositions relatives à l'évaluation de l'âge des personnes se disant MNA (mineurs non accompagnés) et à la création d'un fichier "n'ont ni pour objet ni pour effet de modifier les règles relatives à la détermination de l'âge d'un individu et aux protections attachées à la qualité de mineur, notamment celles interdisant les mesures d'éloignement et permettant de contester devant un juge l'évaluation réalisée".

Les échanges avec les préfectures validés

De même, la possibilité donnée au président du conseil départemental dispose de demander au préfet de l’assister dans ses investigations en fournissant, à sa demande et afin d’éclairer sa décision, des informations relatives à l’identité de la personne et à sa situation au regard de son isolement et de sa minorité, ne méconnait pas le principe d’égalité devant la loi.

Plus précisément, le fait que la personne se disant MNA communique aux agents habilités des préfectures toute information utile à son identification et au renseignement du traitement dénommé "Appui à l’évaluation de la minorité" et soit ainsi amenée à se rendre en préfecture et à y être accueillie par des agents habituellement chargés de la mise en œuvre de la réglementation concernant les ressortissants étrangers, "n’est pas, en lui-même, contraire à l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant". En effet, cette intervention des agents des préfectures "a pour seul objet de fournir au président du conseil départemental des informations permettant d’aider à la détermination de l’identité et de la situation de la personne, qui sont alors l’un des éléments de l’évaluation qui doit être conduite [...] par les services du département, ou de la structure du secteur public ou du secteur associatif à qui cette mission a été déléguée par le président du conseil départemental". Le Conseil d'État rappelle aussi que si le président du conseil départemental est informé d'un éventuel refus de l'intéressé de fournir les renseignements demandés, ce refus n'est assorti d'aucune sanction.

Dans sa décision, le Conseil d'État écarte également, un par un, les arguments avancés contre la création et le fonctionnement du fichier national et du traitement de données automatisées. Dans ces conditions, "les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les dispositions du décret attaqué relatives aux traitements automatisés de données à caractère personnel méconnaîtraient l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, le droit au respect de la vie privée protégés par l’article 2 de la Déclaration de 1789 et par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et le droit à la protection des données personnelles, qui découle du droit au respect de la vie privée et est également protégé par l’article 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne".

Quatre précisions qui valent encadrement

Le Conseil d'État assortit toutefois la validation du décret du 30 janvier 2019 de quatre précisions portant sur sa mise en œuvre. Ces précisions sont déjà, pour l'essentiel, dans les textes, mais leur mise en avant par le Conseil d'État devrait couper court à toute tentative éventuelle de contournement. Ainsi, l'accueil provisoire d'urgence – prévu par les textes – d'une personne se déclarant MNA "ne peut être subordonné à la condition qu'elle aille d’abord en préfecture dans le cadre de cette nouvelle procédure".

De même, le Conseil d'État rappelle que l’évaluation de la minorité relève toujours d’une approche pluridisciplinaire conduite par le département. Avec, pour conséquence, qu'"il ne suffit pas qu’un jeune apparaisse comme majeur dans l’une des bases consultées en préfecture pour qu’il soit évalué comme majeur. De même, si un étranger refuse d’aller en préfecture, le département ne peut pas déduire de ce seul refus que l’intéressé est majeur".

Troisième précision : une mesure d’éloignement ne peut pas être prise contre l’étranger à la suite de son passage en préfecture, tant que l’évaluation de sa minorité n’est pas achevée. Enfin, le fichier mis en place par le décret "vise uniquement à faciliter et rendre plus cohérente l’évaluation des étrangers se déclarant mineurs. Il ne comporte pas de finalité pénale".

 

Références : Conseil d'État, section du contentieux, 1e et 4e chambres réunies, décision n° 428478 et 428826 du 5 février 2020, Unicef France et autres, Conseil national des barreaux.

 

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