Christine Leconte : "La densification n'est pas un terme péjoratif, il existe une densification douce"
Loi Climat et Résilience, rapport Rebsamen, lutte contre l'étalement urbain, polémique sur le logement pavillonnaire... Christine Leconte, présidente du conseil national de l'Ordre des architectes depuis juin dernier, revient sur les multiples chantiers qui impactent une profession au cœur de la relance du logement et de la rénovation énergétique.
Localtis - L'Ordre des architectes était présent en novembre dernier au Salon des maires. Que retenez-vous de ces échanges avec les élus locaux ?
Christine Leconte - Un bilan très positif. Le stand de l'Ordre a présenté, deux jours durant, des exemples de collaborations réussies entre maires et architectes, notamment dans le cadre des programmes Action cœur de ville et Petites villes de demain. Ils montrent clairement que les échanges en amont ont permis aux élus de concevoir et de mener des projets plus ambitieux et plus qualitatifs. Dans un tel contexte, l'architecte est perçu comme un acteur de confiance, au service de l'intérêt public. Lors de ces deux jours, j'ai également été frappée par le fait que beaucoup d'élus étaient en demande de conseil sur le montage de leur projet. Nombre d'entre eux sont ainsi à la recherche de ressources en ingénierie, mais ne savent pas vers qui se tourner. Aussi est-il essentiel que les architectes soient présents sur tout le territoire. Dès l'an prochain, nous aurons un stand plus important au Salon des maires.
Vous présidez le CNOA depuis juin dernier, quelles sont vos premières réalisations ?
Nous avons lancé de nombreuses pistes avec les pouvoirs publics : la réhabilitation des logements, la transition écologique, l'étalement urbain, la frugalité, le développement des territoires... Il y a aujourd'hui un alignement des planètes qui fait que nous travaillons avec les ministères du Logement, de la Culture, de la Cohésion des territoires... Il y a eu aussi le partenariat autour de la démarche "Engagés pour la qualité du logement de demain", initiée en octobre par les ministères de la Culture et du Logement. Elle s'est, dès à présent, traduite par le lancement d'un AMI – un appel à manifestation d'intérêt – auquel j'invite vivement les élus à participer.
Les déclarations de la ministre du Logement sur la maison individuelle et la fin nécessaire du "rêve pavillonnaire" ont suscité de vives réactions. Quelle est la position du CNOA ?
Le pavillonnaire est un tissu urbain avec une mono-fonctionnalité. Ce sont des territoires longtemps délaissés, où 85% des logements sont construits sans architectes. Aujourd'hui, une question se pose et c'est sans doute ce qu'a voulu dire la ministre, qui a été mal comprise : comment réparer ces tissus, conserver les qualités du pavillonnaire – qui correspond à une attente forte des Français –, tout en améliorant la proximité des usages ? L'enjeu principal, c'est la réparation des lotissements, qui est d'ailleurs une pression forte pour les élus, avec la règle du ZAN, le zéro artificialisation nette. Pour cela, il faut ramener des aménités urbaines dans ces territoires.
Je retiens de cette polémique qu'on a confondu usage et forme. Or nous savons créer des logements qui combinent confort, proximité et qualité, sans étalement urbain. Il faut ouvrir le catalogue des possibles : les architectes savent concevoir des maisons de ville, des maisons à patios, du petit collectif, des maisons superposées... Nous ne sommes pas en train de parler de logements collectifs trop petits, sans lumière, sans espace extérieur !... Il est hors de question de perdre la relation à la nature, au dehors. Aujourd'hui, il faut bien comprendre que la densification n'est pas un terme péjoratif ; il existe une densification douce.
Et sur le rapport Rebsamen ?
Au départ, nous nous sommes interrogés sur la nécessité d'un tel rapport, alors que la loi Elan de 2018 était supposée libérer la construction de logements. En fait, la question est toujours mal posée. Nous mettons la faute sur les maires, mais le problème fondamental, c'est l'acceptabilité de la construction de logements, c'est comment travailler à la qualité des espaces construits. La crise sanitaire a servi de révélateur : durant le confinement, on a bien vu le problème posé par la surface des logements et par le surpeuplement. On s'est rendu compte de l'importance de la qualité du logement et de ce qu'on avait perdu dans les logements neufs, notamment avec des produits financiers comme le Pinel. Il faut que les logements donnent envie.
Je ne reviens pas sur l'absence des architectes dans la commission Rebsamen. En revanche, le second tome du rapport reprend des propositions de l'Ordre des architectes. Mais nous restons vigilants sur certaines préconisations comme le permis de construire multidestination, qui sera à suivre en termes de faisabilité. Ce second tome – tout comme la démarche "Habiter la France de demain" qui s'inscrit dans une conception plus globale – sont des approches intéressantes. Mais il ne faut pas oublier que le neuf représente peu par rapport au parc existant et aux logements vacants. La rénovation est donc un enjeu essentiel. Aujourd'hui, pour répondre aux besoins des Français, il faut tirer parti de l'existant.
La loi Climat et Résilience d'août 2021 est également un chantier structurant et un défi pour le logement et le bâtiment.
Très clairement, si on ne faisait rien, on allait droit dans le mur ! Rappelez-vous que le secteur du logement et celui du bâtiment en général représentent 66% de la production de déchets à l'échelle de la France et 40% des émissions de gaz à effet de serre. La loi Climat et Résilience est donc un texte particulièrement bienvenu. Pour autant, il faudra être attentif à d'éventuels effets rebonds : par exemple, "je suis mieux isolé, donc je vais pouvoir chauffer plus"... Par ailleurs, la rénovation thermique du parc bâti n'est pas si simple. Ce n'est pas de l'offre à 1 euro, comme voudraient le faire croire certaines publicités frauduleuses. La rénovation énergétique transforme le bâti. Or réparer le bâti, c'est travailler sur une matière vivante. Il faut donc une connaissance précise de ce dernier avant toute intervention. Il faut des solutions optimisées, des solutions pérennes et sûres. À défaut, il peut y avoir des retours insoupçonnés. La rénovation est un acte profondément optimiste et l'architecte y a toute sa part, grâce à son approche globale et à son savoir-faire. Son apport permet d'éviter des problèmes. Sur ce point, je trouve d'ailleurs que le rapport Sichel sur l'accélération de la rénovation énergétique questionne la place de l'architecte dans l'écosystème de l'État. Aujourd'hui, il faut clairement repositionner la question de l'architecture de façon transversale, en interministériel. Nous avons d'ailleurs demandé l'engagement d'une réflexion sur la place de la maîtrise d'œuvre dans les aides publiques. Il nous faut aider les particuliers à faire appel à de la maîtrise d'œuvre qualifiée dans leurs projets.
Précisément, qu'attendez vous de la création par le ministère de la Culture, il y a quelques semaines, d'un Observatoire de l'économie de l'architecture ?
Je suis assez fière de voir aboutir cet observatoire. Je faisais partie de la mission qui a préconisé la création de cette structure. L'urgence absolue est de redonner une valeur au travail de l'architecte. De façon symbolique, la présentation a d'ailleurs eu lieu, le 16 novembre, à la Cité de l'architecture et du patrimoine. Aujourd'hui, la qualité architecturale n'a pas véritablement de valeur économique. D'où un travail pas suffisamment reconnu. Il est temps de reconsidérer le coût et l'utilité de l'architecture.
On sait que le secteur du bâtiment a été très impacté par la crise sanitaire. Qu'en est-il du côté des architectes ?
La profession a su réagir très vite durant la crise. Nous sommes des structures assez souples et nous avons su rebondir, mais on verra vraiment les effets sur le long terme. Cette réactivité était d'ailleurs d'autant plus nécessaire que la profession d'architecte n'a pas tout de suite été identifiée comme impactée par la crise sanitaire. Cela s'explique notamment par le rattachement au ministère de la Culture et non pas au pôle économique autour de Bercy. Nous avons donc fait le nécessaire pour sensibiliser le ministère de l'Économie sur ce point et nous venons de lancer un questionnaire auprès des architectes sur ce sujet. Aujourd'hui, la profession est directement impactée par les pénuries de matériaux – conséquence de la crise sanitaire et de la forte reprise économique – et par les retards de chantiers qu'elles engendrent, ce qui peut créer des problèmes de trésorerie et de surplus de travail souvent non rémunéré, ce qui est anormal. N'oubliez pas non plus que, comme l'ensemble du secteur du bâtiment, nous sommes également tributaires des élections locales, mais aussi nationales, qui pèsent sur l'activité.